LES
INVITES DU COSMOPIF
N°200 (lundi 7 juillet 2008)
Née le 13 mai 1957 au Creusot (France)
Mariée, 1 enfant
Médecin rhumatologue, spécialiste en médecine
aéronautique
Astronaute du CNES de 1985 à 1999, membre du Corps des
astronautes européens de 1999 à 2002
Ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles
technologies (2002-2004) et Ministre déléguée aux Affaires européennes
(2004-2005)
Conseillère du Directeur général de l'Agence spatiale
européenne depuis 2005
Première française de l'espace,
septième astronaute français (352e sujet de l'espace, 31e femme
de l'espace)
2 vols spatiaux : missions Cassiopée et
Andromède (total : 25 jours 14 heures et 24 minutes).
Parcours
professionnel
Titulaire du baccalauréat à
l'âge de 15 ans, Claudie Haigneré entame immédiatement des études de
médecine à la faculté de Dijon. En 1981, à 24 ans, elle obtient son
doctorat à la Faculté de Cochin Port Royal (Paris) ainsi qu'un Certificat
d'études spécialisées (CES) de biologie et de médecine du sport. Elle complète
sa formation par un CES de médecine aéronautique et spatiale en 1982, un CES de
rhumatologie en 1984 et un Diplôme d'études approfondies (DEA) de biomécanique et
physiologie du mouvement en 1986. Enfin, elle soutient une thèse de
neuro-sciences en 1992. Forte de tous ces titres, elle exerce tout d'abord son
métier de médecin rhumatologue au sein de la clinique de rhumatologie et du
service de réadaptation de l'hôpital Cochin pendant huit ans :
consultations hospitalières de rhumatologie et traumatologie sportive,
techniques rhumatologiques, activités de recherche en électro-myographie et
biomécanique osseuse et articulaire. Elle travaille également pendant six ans au
Laboratoire de physiologie neuro-sensorielle du CNRS à Paris : définition
et préparation d'expériences scientifiques dans le domaine de la physiologie
humaine, en particulier expériences Physalie et Viminal intégrées au vol
franco-soviétique Aragatz en 1988 à bord de la station Mir (thèmes de
recherche : adaptation des systèmes sensori-moteurs en micropesanteur).
La sélection
1985 de spationautes du CNES.
De gauche à
droite : Jean-François Clervoy, Claudie André-Deshays, Jean-Jacques Favier,
Jean-Pierre
Haigneré, Frédéric Patat, Michel Tognini et Michel Viso.
Photo CNES
Claudie Haigneré est sélectionnée par le CNES comme astronaute en septembre 1985 (elle s'appelle alors Claudie André-Deshays) et participe à de nombreuses campagnes de vols paraboliques de la Caravelle zéro-G. De 1990 à 1992, elle est responsable des programmes de physiologie et de médecine spatiale à la division Sciences de la Vie du CNES à Paris, participant aux orientations de la recherche spatiale dans ce domaine, en étroite collaboration avec les laboratoires français et internationaux. Elle assure, de 1989 à 1992, la coordination scientifique de la mission franco-russe Antarès pour les expériences des sciences de la vie.
En compagnie de Jean-François
Clervoy et de Léopold
Eyharts, Claudie André-Deshays suit un stage d'entraînement de 6 semaines à la Cité
des étoiles près de Moscou en novembre-décembre 1991 (cours théoriques, séances
de simulateur Soyouz et Mir, vol parabolique en Illyouchine-76 et initiation
aux sorties extra-véhiculaires en piscine). En 1992, elle est présentée par le
CNES aux épreuves de sélection des astronautes de l'Agence spatiale européenne,
aux côtés de Jean-François Clervoy, Léopold Eyharts, Philippe Perrin et Michel Tognini.
En octobre, elle est désignée comme doublure pour le vol spatial franco-russe
Altaïr et suit une formation complète de cosmonaute à la Cité des étoiles
durant deux ans aux côtés de Jean-Pierre
Haigneré. Durant la mission, en juillet 1993, elle assure le suivi des
expériences biomédicales depuis le centre de contrôle de Kaliningrad, près de
Moscou.
Dès septembre 1993, Claudie André-Deshays assure la coordination du programme
scientifique de la mission franco-russe Cassiopée en 1996, ainsi que celle des
expériences françaises de la mission Euromir de l'agence spatiale européenne.
Elle est désignée titulaire du vol Cassiopée en tant que cosmonaute
expérimentateur en décembre 1994 et retrouve la Cité des étoiles en janvier
1995. Elle séjourne dans l'espace du 17 août au 2 septembre 1996,
dont 12 jours et 13 heures à bord de la station Mir.
Baïkonour,
le 17 août 1996
De gauche à
droite : Claudie Haigneré, Valéri Korzoun et Alexandre Kaléri
En 1997, Claudie André-Deshays est la représentante à Moscou de la
société franco-russe Starsem, qui
commercialise les services de la fusée Soyouz. Elle donne naissance à une
petite fille en février 1998. En mai suivant, elle est nommée suppléante de
Jean-Pierre Haigneré pour la mission franco-russe de longue durée Perseus. A
cette occasion, elle suit un entraînement complet d'ingénieur de bord et de
sortie extravéhiculaire à la Cité des étoiles. Alors que le vol débute en
février 1999, elle poursuit sa formation durant pour devenir en juillet 1999 la
première femme qualifiée cosmonaute sauveteur, autorisée à commander Soyouz le
vaisseau lors d'un retour sur Terre. En novembre 1999, elle est intégrée au
corps des astronautes de l'ESA et rejoint le Centre des
astronautes européens (EAC) situé à Cologne en Allemagne, pour travailler
sur le programme Columbus et les aspects médicaux des vols habités.
Claudie
André-Deshays aux côtés de Christer Fugleang (Suède), Ulf Merbold (Allemangne),
Umberto Guidoni (Italie),
Claude
Nicollier (Suisse), Gerhard Thiele (Allemagne), Hans Schlegel (Allemagne),
Jean-François Clervoy,
Jean-Pierre
Haigneré, Léopold Eyharts, Thomas Reiter (Allemagne), Paolo Nespoli (Italie) et
Roberto Vittori (Italie)
En janvier 2001, Claudie André-Deshays est désignée titulaire de la mission
franco-russe Andromède, en tant qu'ingénieur de vol. Elle retrouve la Cité des
étoiles pour un entraînement de 9 mois puis retourne dans l'espace du 10
au 31 octobre 2001, séjournant cette fois à bord de la station spatiale
internationale durant 7 jours et 14 heures.
Depuis le mois de mai, elle est devenue l'épouse de
Jean-Pierre Haigneré.
Baïkonour,
le 21 octobre 2001
De bas en
haut : Victor Afanassiev, Claudie Haigneré et Constantin Kozeïev
En juin 2002, Claudie Haigneré est nommée Ministre
déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies au sein du deuxième
gouvernement de Jean-Pierre Raffarin puis devient Ministre déléguée aux
Affaires européennes en mars 2004, poste qu'elle occupe jusqu'en mai 2005.
Depuis novembre 2005, elle est conseillère auprès du directeur
général de l'Agence spatiale européenne, Jean-Jacques
Dordain. Administrateur de France Telecom depuis 2007, elle a de plus
été désignée membre du conseil d'administration du groupe pharmaceutique Sanof-Aventis
en mars 2008.
Parallèlement, Claudie
Haigneré est engagée auprès de plusieurs associations de santé : les maisons de parents
pour enfants hospitalisés, l'Alliance des maladies rares avec la fondation
Groupama et l'association Kourir des enfants atteints de polyarthrite juvénile.
Elle est marraine de l'Institut de myologie de la Pitié-Salpétrière réalisé par
l'AFM et de la Fondation Arthritis-Courtin (recherche
sur la polyarthrite).
Elle est d'autre
part administrateur de la Cité des Sciences et de l'Industrie depuis 2006, marraine de la Cité
de l'espace à Toulouse et de nombreuses écoles et promotions d'étudiants.
Commandeur de la Légion d'Honneur, Chevalier dans
l'Ordre national du Mérite, titulaire de l'Ordre russe de l'Amitié des Peuples,
de la Médaille russe du Courage Personnel et de la Médaille d’or de l’Aéroclub
de France.
Membre de l'Académie des sports, membre de l'Académie des Technologies, membre
honoraire de la Société française de médecine aéronautique et spatiale, vice-présidente
de l'International
Academy of Astronautics (IAA), membre honoraire et administrateur de
l'Association aéronautique et astronautique de France (AAAF), membre de l'Académie
de l’Air et de l’Espace (ANAE) et administrateur de l’Aéroclub de France.
Art contemporain (peinture, sculpture), lecture et
sport (gymnastique, golf).
Une Française dans l'espace (avec Yolaine de la Bigne), Plon,
1996.
Carnet de bord - Mission Andromède, PEMF, 2002
8 questions
à Claudie Haigneré
Evidemment,
les souvenirs liés à ma carrière d'astronaute sont très nombreux, de la sélection
en 1985 à mon second vol en 2001, en passant par la coordination des programmes de
physiologie et de médecine spatiale, le rôle de doublure pour les missions Pégase et
Perseus, l'entraînement en piscine pour les sorties extravéhiculaires, la vie à
la Cité des étoiles de 1992 à 2001 ou au Centre européen des astronautes
jusqu'en 2002…
Tout,
dans un vol spatial, constitue un événement unique, mémorable : le
décollage (plus doux lors de mon premier lancement que je ne me l'imaginais),
l'arrivée sur orbite (la sensation d'impesanteur n'est pas immédiate du fait
que vous soyez harnachée : c'est mon nounours que j'avais accroché au
tableau de bord qui s'est mis à flotter avant que je ressente l'effet de
flottaison), l'amarrage avec la station (l'approche, lente, est un pur moment
de science-fiction), les retrouvailles avec les équipages à bord, la découverte
de notre nouvelle maison (j'avais été frappée par la taille de Mir et
impressionnée par le potentiel de l'ISS), le programme de travail, chargé mais passionnant,
la vue imprenable de la Terre et du ciel dont la contemplation vous arrache des
larmes de joie, les moments de partage autour de repas "améliorés"
avec le reste de l'équipage, les liaisons avec la famille au sol, les adieux
toujours tristes, le retour aussi impressionnant qu'éprouvant, les odeurs de la
nature qui se rappellent à vous quand vous retrouvez le sol…
Mais
puisque nous parlons d'anecdotes, je pense à ma pièce de 1 Euro, la
première pièce "mise en circulation" avant l'entrée en vigueur de la
monnaie européenne le 1er janvier 2002, que j'avais emportée à
bord de l'ISS lors de la mission Andromède… et que je perdais tout le
temps ! A chaque fois, c'est mon commandant, qui effectuait tous les
matins une tournée d'inspection des conduits d'aération, qui me la rapportait,
hilare. Elle a ainsi toujours été retrouvée et j'ai pu la rapporter sur Terre
pour la confier à l'Hôtel de la
Monnaie de Paris où elle est aujourd'hui exposée…
J'ai
véritablement été bouleversée par le premier pas sur la Lune, en juillet 1969.
Je m'en rappelle comme si c'était hier : j'avais 12 ans, nous étions
en camping en famille à la Grande Motte, il faisait très doux et nous avions
installé le poste de télévision dehors, sous la voûte étoilée ! Toute la
soirée, en attendant la fameuse marche, nous nous sommes amusés à imaginer l'An
2000, où les soucoupes volantes permettraient de se rendre au bureau, où les
repas seraient constitués de simples pilules, où on programmerait ses vacances
sur Mars… Mais presque tout le monde a fini par aller se coucher, sauf mon père
et moi : pas question de rater cela ! Et lorsque, enfin, Neil Armstrong
a commencé à descendre l'échelle du module lunaire, j'étais littéralement
éblouie. Je me suis alors dit : un jour aussi, je pourrai vivre la grande
aventure !
Pour être un peu poétique, je
choisirais l'équipement SVET de la station Mir (plus communément appelée la
serre), placé dans le module Kristall. Les plantes qui y étaient cultivées par
les équipages de longue durée constituaient en fait le seul endroit
"vivant" de la station. A côté des équipements
technologiques et au milieu du vide spatial, elles rappelaient la Terre.
Je me souviens m'être
"levée" une nuit, tandis que tout le monde était assoupi à bord de la
station et que nous nous trouvions dans l'ombre de la Terre, et avoir été attiré
par une lueur, au fond du module Kristall. Je me suis donc dirigé vers ce halo
de lumière, vert, et ai découvert Youri Onoufrienko planté devant. Il séjournait à bord de la station
depuis 6 mois et avait soulevé le couvercle de la serre et allumé sa lumière
pour admirer les couleurs de la nature…
L'astronaute américaine Shannon Lucid devant la serre de Mir
en 1996
Plan de la serre SVET de la station Mir (document NASA)
Je me souviens avoir pris depuis
la station Mir un superbe lever de Lune à l'horizon de la Terre avec des
couleurs magiques. Cette photo représente pour moi la magie du Petit Prince sur
sa planète qui contemple levers de Soleil, couchers de Soleil et levers de Lune
16 fois par jour sans même devoir bouger sa chaise.
Depuis la station Mir : lever de Lune sur l'horizon
terrestre
Photo Claudie Haigneré/CNES
Après sa disparition accidentelle
dans la force de l’âge (il était alors âgé de 34 ans), Youri Gagarine est
devenu une icône nationale en Russie. Au centre de formation des cosmonautes de
la Cité des étoiles près de Moscou, la vie est depuis la mort du héros rythmée
par de multiples cérémonies en sa mémoire, quasi-religieuses ou
superstitieuses. Sa statue érigée à proximité des
immeubles d’habitation est ornée de fleurs tous les jours et des rassemblements festifs s’organisent à ses pieds régulièrement,
avant le départ d’un équipage ou à son retour. Son bureau a été aménagé en musée
que chacun visite comme on effectue un pèlerinage. Son vestiaire dans la salle
de sport a également été conservé intact. De par les innombrables portraits qui
ornent les murs des couloirs, son sourire est omniprésent. Gagarine veille sur
nous mais aussi ceux qui l'ont connu, sélectionné, entraîné et ceux qui ont
travaillé avec lui. Ils sont toujours là, encore actifs et souvent à nos côtés.
Extrait de l'exposition 50 regards sur la conquête spatiale
Des rites
immuables : le dépôt quotidien de fleurs fraîches au pied de la statue de
Gagarine à la Cité des étoiles
et la
signature sur la porte de la chambre d’hôtel à Baïkonour le matin du départ
Photos Pif
et CNES
Mir
représente pour moi une multitude de souvenirs, aussi bien professionnels que
personnels. Nous Français avons commencé à travailler régulièrement à son bord
alors qu'elle entrait dans une nouvelle ère, plus internationale, mais aussi
alors qu'elle commençait à montrer quelques signes de vieillesse… Les Russes
entretenaient avec elle une relation très particulière, c'était leur vieille datcha,
à laquelle ils avaient donné une âme. Ils ont vécu comme un déchirement sa
destruction en mars 2001 et entretiennent la nostalgie. C'est vrai que nous y avons
tous laissé un peu de nous…
Spoutnik,
c'est évidemment l'An 1 de la conquête de l'espace, le début de l'appropriation
de l'espace par l'homme. Se dire que tout a commencé il y a 50 ans, quand
on voit à quel point les technologies spatiales sont aujourd'hui présentes dans
notre quotidien, paraît finalement assez surréaliste…
Je rêve de voir une femme européenne faire partie de l'expédition internationale qui verra l'arrivée d'humains sur Mars au XXIe siècle. La conquête habitée de Mars sera un moteur formidable pour l'ensemble de notre société.
Au
16e Symposium sur l’humanité dans l’espace à Pékin en mai 2007,
Claudie
Haigneré a défendu une exploration internationale de la planète Mars,
sous-entendant
la possibilité d'une coopération avec la Chine
Merci, Claudie Haigneré !
Interview
réalisée sur le parvis de l'Hôtel de ville de Paris le 9 mai 2008 puis par
mail en mai 2008
Remerciements
à Vonfeld pour les images de SVET
En mars
1996 dans le simulateur de Mir de la Cité des étoiles (Photo Loïc De la Mornais)
A Baïkonour,
le 17 août 1996 (Photo Pif)
Reprise des
invités de la semaine le lundi 1er septembre 2008
en
compagnie de David Mackay