L'invité de la semaine
dernière : James McDivitt
LES
INVITES DU COSMOPIF
N°285
(lundi 21 juin 2010)
Président
d'honneur du Mouvement International du Loisir Scientifique
Et Technique
http://europe.milset.org/fr.html
Qui
êtes-vous, Jean-Claude Guiraudon ?
Je suis né en août 1937, le 24, soit 375 ans après la
Saint-Barthélemy. Notez que je ne me rappelle d’aucun de ces
deux évènements. Marcelle est mère au foyer, ancienne petite main chez
Germaine Lecomte, et Marcel, mon père, agent d’assurance à la Winthertur. Je
termine la série de casseroles comme on disait à l’époque et ainsi contribuerai
au gain de la Médaille de bronze de la Famille française par Maman en 1947. Je
vais bien m’ancrer sur le Village de VIillemoisson (Essonne) durant 15 ans
en y conduisant une enfance turbulente, très portée sur le garnementage actif.
J’aurai mes premiers rapports avec la propulsion à poudre
rapidement. En effet, voisin du camp de Brétigny-sur-Orge et de la gare de
Juvisy, nous aurons la possibilité après le départ des Allemands en août 1944
de pouvoir faire de grandes provisions de cartouches de divers calibres qui
nous permettront pendant pas mal de temps de faire tous les essais
pyrotechniques possibles. Seule la chance me fera éviter un certain nombre de
désagréments.
Parfaitement doué pour me traîner en queue de classe,
j’épuiserai mes parents et ma scolarité en fin de cours complémentaire pour
partir pour l’Ecole des Mousses pour un petit 8 ans d’engagement dans la
Marine Nationale -j’ai 15 ans. Deuxième étape d’orientation masquée vers
les fusées, bien qu’à cette époque l’artillerie est dominante.
Adulte lassé de ce pseudo "long voyage", je
reviendrai au village en 1961 pour épouser Nicole et avoir deux filles,
Sophie et Stéphanie qui aujourd’hui m’ont donné chacune un petit enfant,
respectivement Marouchka et Virgile.
Mon travail confirmera mon penchant pour le passage des
Savoirs -ayant effectué pas mal de temps comme instructeur au centre de
détection radar de Porquerolles- en devenant professeur de travaux pratiques à
l’Ecole Centrale de Radio-électricité dont j’ai suivi durant mon temps d’armée
les cours par correspondance. Ma vie strictement professionnelle qui en découle
va être d’une grande simplicité : je vais quitter l’enseignement formel
pour rejoindre le Palais de la découverte
et y créer la section Jeunesse en 1969. Puis je rejoins en 1983 la Cité des Sciences et de l’Industrie de
La Villette et y reste jusqu’à la retraite en 2002. Mais, à la manière du
docteur Jekyll, je vais avoir une double vie avec un Mister Hyde qui aura comme
constance, celle de vivre en commensalisme avec les structures sus nommées,
même si elles, elles n’en seront pas toujours dupes ou complices. C’est cette
face cachée que je crois devoir montrer en accéléré.
Commençons par
l'Association Nationale des Clubs AéroSpatiaux (devenue depuis Planète Sciences) et les campagnes
de lancements de fusées de jeunes que j’ai été amené à organiser en technique
et en solidarité -à cette époque ; il existait pour les clubs un
"esprit Goddard" et une compétition qui les amenait à
"clandestiniser" leurs travaux. La bête de course est le moteur ATEF
74 (récupéré du champ de tir d’Hammaguir) et les tirs sont à bonne cadence sur
les terrains militaires de Sissonne, La Courtine, Valdahon, le Larzac avec un
point culminant terrestre ; la visite du général de Gaulle à notre stand
au salon du Bourget, dans le pavillon du CNES.
Mme Blosset du CNES nous fait nous installer au Palais de la
découverte, où M. Rose le directeur, vient de créer les clubs Jean Perrin (et
nous la Fédération Nationale des Clubs Scientifiques). Elle nous met en
relation avec un jeune ingénieur de la Matra, Pierre Quétard, qui devient
immédiatement notre président de tous les jours et de toujours. Elle en profite
pour renforcer l’équipe technique et pédagogique du CNES -la fameuse Section
jeunesse, jamais reprise par les autres grandes agences scientifiques
françaises comme nous l’avons souvent proposé-, en faisant venir Marcel Lebaron
qui en deviendra tout à la fois le porte-drapeau, le tambour, le capitaine et
le fantassin.
En 1972, avec Michel Bignier et le Général Robert Aubinière
comme parrains -nous n’aurions jamais trouvé mieux !-, nous créons à
Marly-le-Roi l’association Les Jeunes et l’Espace qui réunit l’Europe de
l’Ouest et de l’Est. La représentation soviétique est conduite par le
cosmonaute Ievgueni Khrounov qui fut le premier à effectuer un aller-retour dans l'espace en
utilisant deux vaisseaux différents (Soyouz 4 et 5 en janvier 1969).
Il est materné par un colonel de l’Armée rouge, Mironkine, qui se révélera être
un agent du KGB lors du salon du Bourget suivant. L’association permettra le
lancement de fusées en en Allemagne, en Belgique, en Espagne, aux Pays Bas, en
Suède, en Yougoslavie et même au Québec et en Tunisie.
De gauche à
droite : Ievgueni Khrounov, Pierre Quétard, Jean-Claude Guiraudon, Michel
Bignier et Marcel Lebaron
Dans le grand bain dans les réformes post-68 de l’Education
nationale, nous plongeons avec nos partenaires associatifs dans les délices des
activités d’éveil, de la formation des maîtres et des professeurs d’Ecole
Normale, des classes transplantées, du 10 pour 100, des Projets d’Activités
Culturelles Scientifiques et Techniques. Nous resterons bien sur ancrés sur
notre fond de commerce du loisir scientifique avec les clubs et leurs camps
d’été que nous enrichirons avec l’astronomie, les ballons-sondes, l’écologie,
les énergies renouvelables, la vulcanologie, la micro informatique... Nous y
ajouterons le dopage avec nos amis de la Recherche, du CEA, de l’INRA, du
MIDIST… de la Dotation de l’éveil scientifiques et des Clubs techniques puisque
le prix Philips bat de l’aile et que nous piétinons pour installer les
Expo-Sciences.
Les espaces se dilatent et nous sommes à l’étroit dans le
Palais. Pourtant nous y avons nos aises puisque M. Rose n’hésitera pas à me
faire remarquer que cela ne lui est guère agréable de trouver le matin des
animateurs encore endormis dans son salon. Je lui explique qu’il s’agit
d’objecteurs qui rentrent fourbus de classes vertes, ce qu’il comprend très
bien mais tout de même… C’est notre première décentralisation vers un Mille Club
offert par la Jeunesse et les Sports et installé à Ris-Orangis grâce à la
municipalité, le Maire M. Perrin et son adjoint à l’éducation Bernard Martin.
Nous ne sommes pas seuls à penser
à pousser les murs et, au crépuscule des années 70, le projet de Musée National
des Sciences et des Techniques a les mêmes préoccupations : mettre le
Palais en périphérie de Paris. Intention mal conduite et les
deux équipements vont rester autonomes pour un quart de siècle. Ce qui ne
nous empêchera pas de participer à l’établissement du livre blanc -cruelle
méthode que de demander au futur pendu de tresser la corde fatale, du mieux
qu’il peut. Ce seront les Salles de Découverte. Elles contribueront même de
façon éphémère à la découverte de l’arrivée au pouvoir de la gauche dans
l’histoire de la Cinquième République en abritant les réunions
"micro-révolutionnaires" mais d’une grande générosité et porteuses
d’espoirs et de rêves, durant les trois mois qui suivirent l’élection de
François Mitterrand.
Sur cette période, au-delà de la
mise en place de la Villette, nous poursuivrons nos développements en créant
les Petits débrouillards
et consoliderons notre mission internationaliste en célébrant en 1985 l’Année
Mondiale de la Jeunesse par une grande manifestation à Toulouse : les
Assises de l’Animation scientifique, où nous créerons le Mouvement
International pour le Loisir Scientifique.
Plein de choses pour que ce 13 mars 1986 :
"le plus grand Musée des Sciences du Monde" -dont la réalisation a
été menée au galop par Paul Delouvrier- ouvre ses portes à la comète de Halley
-comme voulu par M. André Lebeau- et, par voie de conséquence, à son public. En
charge de l’animation, j’aurai la chance de voir arriver Roger Lesgards qui
avait déjà œuvré pour les associations en tant que secrétaire général du CNES,
membre du comité Jeunesse du Palais et président de la Société Européenne de
Propulsion. Il va me prendre comme chargé de mission et je pourrai ainsi
prendre jusqu’à mon départ quelques égards avec la bureaucratie interne,
d’autant plus que je vais garder durant 15 ans un mandat d’élu du
personnel au conseil d’administration. Ces années 90 vont donc être presque
celles de rêves réalisés : M. Hubert Curien est au ministère, c’est la
création de la Fête de la Science, l’extension des CCSTI, les itinérants non
stop, les grandes temporaires type "Voyage au centre d’un
Turboréacteur" dans la Cité et surtout la Cité des Enfants qui gomme
l’Inventorium. Même la travée 4 semble trouver un aménagement digne de ses
ambitions mais une nouvelle crise nous rattrape en 1994 et nous allons devoir
la rejouer plus petit bras. En parallèle, nous aurons à organiser les accueils
de nos amis en provenance de l’Europe centrale et de la Russie pour qu’ils
visitent la Cité tout en essayant de monter des programme de réhabilitation et
de modernisation des équipements dont ils disposent dans leurs grandes villes.
Cela sera très prenant, touchera des files de bus -plus de 1 250 la bonne
année- mais aura peu de réussite pour relancer les centres scientifiques à
Bratislava, Budapest, Moscou et Prague.
Aussi, je vais plus me consacrer au travail d’essaimage avec
le MILSET. Je suis devenu
président en 1995 lors de l’Expo-Sciences Internationale de Koweït, notre ami
Michel Crozon ayant décliné cette nomination. Je m’appliquerai à créer des
clubs et des associations coordinatrices à l’étranger et à multiplier les
Expo-Sciences comme base de la coopération internationales et de la
valorisation des travaux des jeunes. Nous aurons ainsi des relations avec jusqu’à 54 pays, pas
en même temps certes mais cela constitue un beau palmarès, même si l’Afrique
restera une citadelle in-investissable pour nous. Tout cela va m’éloigner de
l’action directe auprès des clubs Espace qui poursuivront leurs actions en
qualité et diversité en offrant une gamme de supports à même de satisfaire les
plus passionnés, de 5 ans à beaucoup plus, de la fusée à eau en passant
par le vol 0G jusqu’au satellite.
La passion s’est formatée à l’occasion de quelques étapes déjà signalées mais c’est une situation totalement fortuite qui va me faire prendre la route des fusées de jeunes et des musées des sciences. Peu de temps après mon installation à l’Ecole centrale de Radio Electricité, on me demande de faire des remplacements en maths et physique. Au programme de cette dernière discipline, la machine à vapeur, alors que le monde est en pleine première des vols habités. Je décide donc de la remplacer par la propulsion à réaction pour les fusées et me tailler un certain succès. Parallèlement, Albert Ducrocq, vedette incontournable de l’information scientifique sur Europe 1, fait une série d’appels aux jeunes pour qu’ils s’engagent à des activités spatiales car "après tout, rien ne s’oppose à ce qu’ils satellisent une balle de ping-pong". Peu de jours après, deux élèves m’attendent à la fin du cours de midi et me font part de cet appel du Cosmos Club de France -nous sommes début 1962- et me sollicitent pour les aider à créer un club qui construirait des fusées. N’ayant jamais su dire non à la proposition de soutenir des initiatives de jeunes enthousiastes, ma réponse est oui. Et cela va être l’aventure du GETS, Groupe d’Etudes de Télécommunications Spatiales. Nous aurons rapidement le soutien du directeur de l'école, M. Poirot, qui nous ouvrira la porte des ateliers et des labos ainsi que des classes après les heures pour nos réunions. Nous serons jusqu’à 80 élèves à travailler à la fusée GETS-1 qui sera lancée en 1965 depuis La Courtine après une présentation l’année d’avant à la seconde campagne de tir de Sissonne.
Et le CNES va se mettre en devoir d’éviter les accidents
encourus par les jeunes qui construisent des moteurs fusées artisanaux en
rencontrant les clubs un par un. Nous aurons ainsi la visite de M. Delaunay
pour juger de nos activités et c’est lui qui va nous mettre en relation avec
Roger Blauwart qui vient de créer avec M. Dubost et M. Couffignal l’Association
Nationale des Clubs Scientifiques ; sans le savoir, je venais de mettre la
main dans le pot de confiture dont je me barbouillerai les babines jusqu’à
aujourd’hui, sans indigestions, ni lassitude.
Quel souvenirs forts voudriez-vous nous raconter ?
Le tir de la fusée sur un tabouret au camp de Valdahon. Nous
sommes en avril 1967 et nous inaugurons les campagnes dans cette base militaire
de l’Est avec deux prototypes du nouveau moteur Cabri, un 9 cm de
diamètre. Qualifié au banc, il ne l’est pas en vol et le sera l’été de la même
année au Larzac.
C’est encore l’époque des organisations sommaires, le plan
d’opération existe mais encore balbutiant et l’accueil des militaires est
total. Nous avons accès sans restriction aux services -je ne devrai pas le dire
mais à cette époque, nous pouvons faire gratuitement le plein d’essence de nos
2CV aux pompes du garage de la base. Il est vrai que nous avons aussi tous les
liquides voulus au bar du mess officiers ou sous-officiers.
Bref ,la nuit est tombée, il fait frisquet et nous nous
retrouvons avec l’équipe des radars Cotal de poursuite des tirs qui nous font
la trajectographie de nos fusées sur la pas de tir. Nous décidons de regarder à
quoi ressemble ce nouveau moteur Cabri dans sa belle caisse en bois remplie de
copeaux de bois. Les discussions s’installent et l’idée d’en faire partir un
s’installe. Comme les supposés chefs sont Jacques Delaunay et moi même, cela ne
nous parait pas complètement idiot. Bien sur, la rampe n’est pas encore
construite par le lycée de Ville d’Avray qui a développé le moteur…
Comment faire, sachant qu’il est déjà tard, que les nuits du
Doubs à Pâques ne sont pas si douces et que nous avons bien bu et bien
mangé ? Après avoir constaté que nous n’avons guère de plate-forme bien
qualifiée, nous optons pour un tabouret militaire, en bonne ferraille avec ses
quatre pattes et son plateau de bois. On pose le moteur muni de ses
empennages et, pour faire mieux nous fabriquons un cône à poser dessus avec un
journal plus roulé comique que conique. La canne d’allumage est installée, une
vingtaine de mètres de fil pour l’allumage et la batterie de la 404 bleu
horizon du CNES. Nous demandons tout de même à la trentaine de participants de
faire trois pas en arrière et, après un grand décompte collectif tonique,
Jacques appuie le fil à la borne de la batterie et un grand éclair ronflant
s’élève au dessus de nos tête pour 2 secondes ; plusieurs oreilles
plus ou moins complices feront état d’un sifflement de retombée quelques
15 secondes plus tard.
Mission accomplie : le moteur peut être qualifié comme
stable. Le radar n’a rien accroché. Nous pouvons retourner au camp voir si le
mess des sous officiers est encore ouvert. Une telle expérimentation présentant
toutes les garanties scientifiques, métrologiques et toutes les conditions de
sécurité réunies…
Celle de Gagarine qui a fleuri sur tous les journaux du lendemain de son vol. Il a l’air rigolard, comme un gamin qui aurait joué un mauvais tour à la planète Terre -mais dans un confort beaucoup plus proche de celle des voyageurs de l’obus de Jules Verne que de l’ISS actuelle. Quand aux chances de revenir, l’URSS n’était pas aux normes 9002 comme le montrera sa mort dramatique lors d’un vol en Mig en 1968. Le 12 avril 1961, Gagarine avait du utiliser son joker et il a raison de porter ce sourire éclatant.
Les copains de l’Astronomie ont
donné mon nom à un astéroïde (le n°12064) et je suis fasciné à l’idée que sans
doute une marguerite s’y cramponne en attendant que je vienne l’effeuiller.
Nous étions en plein camp fusées
expérimentales sur le camp militaire de La Courtine (Creuse) avec un groupe de
Québécois et nous avons passé la nuit devant la méchante télé "noire et
blanche" du mess des officiers. Les trois fusées Chamois du camp
s’appelèrent Collins, Aldrin et devinez
le nom de la dernière… Pour conserver l’universalité de ce "petit pas pour
l’homme", nous avons vidé force
bouteilles de vodka.
Visiter notre planète Terre
devenue un lieu de bonheur pour ses habitants humains. Mais j’ai peur que nous
ayons le temps de visiter la première exoplanète avant que cela arrive…
Merci, Jean-Claude Guiraudon !
Interview
réalisée par e-mail en mars 2010
La semaine
prochaine (lundi 28 juin 2010) : Lena Oryekhova
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