L'invitée de
la semaine dernière : Nicole Née
LES
INVITES DU COSMOPIF
N°22
(lundi 26 avril 2004)
Marcel
Lebaron et l'astronaute Michel Tognini à Bourges en août 1996
Photo
Pif
Marcel Lebaron,
c'était l'éternelle jeunesse, l'enthousiasme et la bonne humeur personnifiés,
en toute simplicité. J'ai beaucoup appris en travaillant avec lui, de 1992 à
1999, et me suis également toujours amusé. Pas un de nos faxes quasi-quotidiens
n'oubliait de comporter une trouvaille amicale ou un petit dessin, chaque coup
de fil était un moment de plaisir.
Marcel aurait lui-même été
gêné devant tant de larmes mais l'annonce de sa disparition ce 29 octobre
2009 provoque un grand vide et une immense tristesse.
Pif
Une carrière au service des Jeunes
et de l'Espace
Texte de P.-F. Mouriaux
rédigé pour la Fédération aéronautique internationale
et mis à jour après la remise de la
Médaille d'Or du Nil pour l'ensemble de sa carrière
33 années durant, avec enthousiasme et modestie,
Marcel Lebaron s'est consacré aux activités spatiales
de jeunes au sein du Centre national d'études spatiales. L'œil et le sourire
malicieux, petite barbe second Empire ou moustache grisonnante, celui que tous
les membres de clubs aérospatiaux tutoyaient a presque tout inventé en matière
d'éducation à l'espace en France.
C'est en particulier lui qui a lancé les formules
magiques "L'espace, comment ça marche ?" et "L'espace, à quoi ça
sert ?".
Marcel Lebaron rejoint la section Jeunesse du CNES en 1966 après
avoir débuté sa carrière en 1965 à la division fusées-sondes. A cette époque,
l’action principale du CNES consiste à encadrer les activités de fusées
expérimentales menées dans les clubs constitués de jeunes adultes et de mettre
à leur disposition des propulseurs présentant toutes les garanties de sécurité.
Les fusées de jeunes sont mises en œuvre à l’occasion de véritables campagnes
de lancements organisées sur des terrains militaires (Sissonne, Valdahon, La
Courtine, Le Ruchard…).
La section
Jeunesse du CNES avait été créée en juin 1962 au sein du Service de
l'information et de la documentation dans un but d'information, d'éducation et
de prévention liée à la construction de fusées par les jeunes. Ce rôle a été
renforcé par l'interdiction du Ministère de l'Intérieur de fabriquer, détenir
et utiliser des propulseurs à poudre sans contrôle administratif en août 1962.
Marcel Lebaron étend l'activité aux ballons stratosphériques et
fait ouvrir les bases de lancements du CNES à Aire-sur-l'Adour et Gap aux clubs
de jeunes. A partir de 1969, à l'occasion de chaque Salon international de
l'aéronautique et de l'espace du Bourget, il fait récompenser les meilleurs
projets par les Prix du GIFAS (Groupement des industries françaises
aéronautiques et spatiales).
Il permet
l'importation de petits propulseurs à poudre américains au début des années
1970, permettant l’apparition de l’activité "micro-fusées". Elle est
accessible aux enfants à partir de 8 ans et peut être menée au sein de
l'école. C'est l'occasion pour Marcel Lebaron de
mettre en place des formations d'enseignants et de produire de nombreuses
publications pédagogiques.
Au début des
années 80, une activité intermédiaire entre la micro-fusées
et la fusée expérimentale voit le jour : la "mini-fusée". Elle
est proposée à des adolescents en clubs ou lors de séjours de vacances.
En1988,
Marcel Lebaron fait accéder les jeunes à la
micropesanteur. Des expériences de clubs peuvent être embarquées à bord de la
Caravelle zéro-G du CNES. D’autre part, une mallette pédagogique est mise au
point avec des animateurs de l'Association nationale sciences techniques
jeunesse (ANSTJ) pour être utilisée à bord de la station Mir par le cosmonaute
français Jean-Loup Chrétien. A partir de 1992 (mission Antarès), les vols
franco-russes embarquent systématiquement des réalisations (T-shirt d'école
primaire, nourriture spatiale de lycée hôtelier, vêtements pour cosmonautes
d'école de stylisme) ou des expériences de jeunes.
A deux
reprises (en 1980 et 1988), Marcel Lebaron offre aux
clubs GAREF aérospatial et ESIEESPACE la possibilité d'embarquer un satellite
amateur à bord de la fusée Ariane.
En 1992,
Marcel Lebaron lance sur la région toulousaine
l'opération "Un ballon pour l'école". Elle consiste à mettre à
disposition d'établissements scolaires (du primaire au supérieur) des ballons
stratosphériques fermés qui embarquent des expériences sur l'atmosphère ou la
télédétection. 8 ans plus tard, l'opération est devenue nationale et
touche chaque année plus de 100 classes.
Toutes ces
activités ont été menées en collaboration étroite avec le secteur associatif
(réseau Sciences techniques jeunesse, Ligue de l'Enseignement, Francas...) et l'Education nationale. Activités auxquelles
il convient d'ajouter la télédétection, l'élaboration et la diffusion
d'expositions ("L'espace, comment ça marche ?" et "L'espace à
quoi ça sert ?"), la mise en place de concours,...
Soucieux d'étendre ce savoir-faire hors de
l’Hexagone, Marcel Lebaron a toujours favorisé
l’accueil de clubs étrangers sur les campagnes de lancements de fusées
expérimentales (allemands, américains, belges, brésiliens, hollandais,
japonais, russes, tunisiens…) et a mis en place plusieurs collaborations avec
l'agence spatiale européenne (ESA).
A chaque fois que cela a été
possible, Marcel Lebaron s’est efforcé de mettre des
jeunes au service d’autres jeunes, faisant réaliser des parachutes par des
lycées professionnels, concevoir des rampes de lancements par des BTS, définir
de nouveaux propulseurs
par des écoles d’ingénieurs…
A 60 ans, Marcel Lebaron
a quitté le département Education-Jeunesse du CNES en 1999. Il a bâti une
activité unique au monde dont le CNES peut s’enorgueillir et a laissé à ses
successeurs un terrain d’action inépuisable. Il a reçu les palmes académiques
en 1998 et été récompensé par la Nile Gold Medal de
la Fédération aéronautique internationale (IAF) en 2001.
« Lorsque
après 35 ans de collaboration et d'amitiés sincères je peux me retourner et
m'apercevoir que tout a bien marché, c'est la meilleure des joies. De l'ANCS à
la FNCS pour arriver à l'ANSTJ, pour moi, seules les relations personnelles ont
eu de l'importance, les fusées, les ballons n'ont été qu'un prétexte à mieux
apprécier tous ceux qui croient en la créativité des jeunes. CNES-ANSTJ même
avenir. »
Marcel Lebaron, Bourges, 2 août 1998
Comme à
chaque fin de campagne de lancements,
le dernier
dîner du Festival des clubs Espace 1998 à Bourges a été l'occasion de faire la
fête.
Mais
également de saluer le départ en retraite de Marcel Lebaron.
(A gauche :
Thierry Stillace)
Photo Pif
Qui êtes-vous, Marcel Lebaron ?
Né le 11 avril
1939 dans le 15e arrondissement de Paris, je demeure pour
l'instant à Saint-Hippolyte du Fort, dans le Gard, en "retrait" de la
vie active et agitée, tout en participant de temps en temps aux actions
éducatives de Planète Sciences Languedoc-Roussillon. Je pratique également la
géologie régionale, l'écologie, la randonnée et la lecture.
Calculateur au
Centre d'essais en vol de Brétigny-sur-Orge de 1959 à 1965 puis au CNES à la
division Fusées Sondes de 1965 à 1970, j'ai été chargé de mission au CNES de
1970 à 1999, responsable des actions auprès de la jeunesse et de l'Education
nationale : campagnes de lancements de fusées et de ballons, formation
d'animateurs et d'enseignants.
Ma passion concerne
tout d'abord l'aéronautique, demeurant proche du Centre d'essais en vol de
Brétigny, passion des essais en vol ensuite… puis l'attrait des fusées sondes et des campagnes de lancements dans le monde…
Ensuite, je me suis consacré à l'expérimentation des fusées et des ballons au
profit des jeunes passionnés d'astronautique.
En aviation, je me souviens de l'angoisse lors des
essais de givrage en vol à bord d'un bimoteur que l'on mettait "en
décrochage" pour vérifier son comportement avec la voilure déformée par la
glace. C'était un Nord 262 en essais au CEV. Durant tout le vol d'essais, nous
étions harnachés "brêlés", prêts à évacuer en cas de "ressource"
loupée ou de réel défaut de dissymétrie de la voilure.
Nota : il plongeait toujours sur l'aile
gauche… Peut-être pour des motifs politiques ? Qui sait ? Après 1h30
de vol dans ces conditions, le copain avec qui je partageais les mesures en vol
et le contrôle des enregistreurs embarqués et moi reprenions des couleurs à la
vue de la piste de Brétigny… Ouf ! Que la passion ne fait-elle pas
supporter !
Nord 262 version Marine
Photo Jean-Michel Roche (www.netmarine.net)
Dans mes activités Jeunesse, je me rappelle d'une frayeur rétrospective sur le champ de tir de La Courtine : une grosse fusée expérimentale réalisée par des jeunes passionnés d'espace, après un vol balistique qui l'avait propulsée à plus de 3 000 m d'altitude, retombe en chute libre "derrière nous" et les spectateurs… alors que son retour était attendu loin devant notre zone de sécurité ! Frayeur rétrospective car ce n'est qu'après l'impact que nous avons mesuré le danger potentiel d'un lancement "raté" sans système de récupération en état de marche…
Je retiendrais la mise à feu et le décollage d'une fusée-sonde Véronique dans le désert d'Hammaguir au Sahara : le site est merveilleux, la propulsion d'un engin à liquides impressionnante d'énergie libérée et de vélocité et le jet de flammes ocres majestueux.
CNES
Pour le souvenir personnel et pour avoir participé à sa mise en œuvre, je choisis à nouveau la fusée Véronique, précurseur de l'astronautique, issue du passé historique de la propulsion bi-liquides.
Véronique AGI sur sa
table de lancement à Hammaguir en 1959
Photo CNES
Pragmatique par nature, je me contenterais
d'attendre les premiers pas de l'homme sur Mars…
En aurai-je la
patience ?
Merci, Marcel Lebaron !
Interview
réalisée par courrier entre janvier et mars 2004
Retrouvailles au
Cabaret sauvage à Paris en novembre 2002 pour les 40 ans de l'association Planète Sciences.
Marcel y pose avec
plusieurs générations de permanents Espace de l'association
et Anne Serfass-Denis, qui lui a succédé au CNES.
Mosaïque-hommage
réalisée par Christophe
Scicluna
La
semaine prochaine (lundi 3 mai 2004) : Yves Gauthier