LES
INVITES DU COSMOPIF
N�185
(lundi 24 mars 2008)
Auteur de D�compte
final
Qui �tes-vous, Eric Dautriat ?
Je
suis ing�nieur, n� en 1955. Originaire de Bar-le-Duc (Meuse), je vis � Paris
depuis 30 ans, plus exactement � Montmartre. Je suis mari� et j�ai
deux enfants.
J�aime
la litt�rature, les voyages proches et lointains, Paris, la Dr�me proven�ale et
le v�lo.
Mais
aussi (surtout ?) l�aventure spatiale, dans laquelle je suis tomb� �tant
petit, � peu pr�s en m�me temps que�
beaucoup d�autres. On ne s�en remet jamais tout � fait !
Et
puis� l��criture. Voir plus loin !
Dipl�m�
de l�Ecole Centrale de Lyon en 1977, je suis entr� � Snecma (moteurs d�avions)
en 1978 comme ing�nieur de bureau d��tudes puis d�avant-projets. Six ans
plus tard, succombant � l�appel devenu irr�sistible de l�espace, persuad� � la
lecture de 2010, Odyss�e deux, que je devais rejoindre cette
incomparable aventure humaine, m�me si je n�y trouvais pas le m�galithe
d�Arthur Clarke, j�ai rejoint le Centre national d��tudes spatiales, o� je suis
rest� 18 ans. Tout d�abord dans une fonction de d�l�gu�, pour la France, �
l�Agence spatiale europ�enne : je participais � deux "Programme
Boards" : Ariane et le Programme Scientifique. C��tait l��poque du
d�marrage des programmes Ariane 5 et Hermes, du lancement de Giotto et des
discussions sur ce qui allait devenir la sonde Huygens qui descendrait sur
Titan�
Cependant,
me lassant de cette fonction par trop "diplomatique", j�ai atterri au
CNES Evry, qu�occupe la Direction des Lanceurs. Celle-ci �tait charg�e, par
d�l�gation de l�ESA, de la ma�trise d�oeuvre des programmes Ariane et menait
aussi des programmes d�avant-projet et de recherche et technologie. J�y ai
occup� diverses fonctions, dont celle de chef de projet de l�Etage
d�Acc�l�ration � Poudre d�Ariane 5, chef de programme d�Ariane 502 (second vol
de qualification apr�s l��chec du premier), et enfin, de 1997 � 2003, Directeur
des Lanceurs.
J�ai
alors quitt� le CNES, consid�rant qu�une �poque s�achevait. Le hasard a voulu
que je revienne � Snecma, cette fois comme Directeur de la Qualit�
(entre-temps, Snecma avait absorb� SEP et �tait devenue a�ronautique ET
spatiale�). Depuis septembre 2007, sans quitter cette fonction � Snecma, j�y ai
adjoint celle de Directeur de la Qualit� du Groupe Safran (auquel bien s�r
appartient Snecma).
Tout
d�abord, bien s�r : l�aventure spatiale ! Passion n�e au d�but de
l�adolescence avec le programme Apollo, comme tant de jeunes de l��poque et en
particulier tant d�ing�nieurs de ma g�n�ration. Concr�tis�e par la suite non
avec la conqu�te lunaire ni martienne (tant pis) mais avec le lanceur Ariane et
notamment Ariane 5�
Et
puis� l��criture. Quittant le CNES, par choix raisonn� mais non par
d�saffection, j�ai eu envie de mettre en mots ces belles ann�es. J�ai �crit un
roman. Fa�on pour moi de d�canter, de filtrer et d�enrichir par l�imaginaire
une somme d�exp�riences et d�impressions. Le livre qui vient d�en na�tre parle
de la Guyane, d�Ariane mais surtout des hommes et des femmes qui la font (de
ceux qui la d�font aussi, car cela peut exister, du moins dans la fiction).
Et
maintenant, � ce propos, une page de
publicit� : il s�agit de D�compte final,
aux �ditions Pascal Galod�, paru en
f�vrier 2008.
Apr�s l�ach�vement de celui-ci, en parall�le de la longue proc�dure d��dition, j�ai poursuivi dans l��criture et je ne vois plus tr�s bien comment je pourrais m�en passer.
J�ai
14 ans, nous sommes le 20 juillet 1969 au soir. Le LEM est en train de
descendre sur la Lune. Je suis en vacances chez ma grand-m�re, qui n�a pas la
t�l�vision. Je marche dans la nuit, l�oreille coll�e � un petit transistor,
pour me rendre dans un hameau voisin chez un oncle qui, lui, est �quip� !
Je marche, vite, plus vite, puis je cours, car il faut que j�arrive avant
l�alunissage� Le lendemain, les vieux du village contestaient la v�racit� de
l��v�nement : aller sur la Lune, pensez, c��tait impossible, les
Am�ricains avaient fait semblant, il n�y avait que les gamins pour s�y laisser
prendre (on sait que par la suite, ce racontar a fait flor�s�) !
Le "Moon hoax",
contestation fantaisiste de la v�racit� du programme lunaire Apollo, existe
depuis 1968
Ou
cet autre ? Je n�ai plus 14 ans mais 42, � Kourou, dans la salle de
contr�le ; je suis responsable du second lancement de qualification
d�Ariane 5, le premier ayant �t� un �chec. C�est parti. Apr�s tant d�ann�es
d�efforts� collectifs, Ariane 5 vole.
S�paration des boosters, allumage �tage principal, s�paration coiffe� et
soudain la t�l�mesure montre que le lanceur se met � tourner sur lui-m�me dans
un mouvement de roulis, de plus en plus rapide. Chacun cherche � anticiper sur
ce qui va se passer ; de toute fa�on on n�y peut rien, tout se d�roule
bien entendu automatiquement (sauf une destruction command�e �ventuelle, si le
lanceur devenait dangereux mais ce n�est pas le cas). Nous �coutons les
informations donn�es par ceux qui re�oivent les t�l�mesures � la Montagne des
P�res, � 20 km de Kourou. Chacun imagine le pire et l�angoisse est� � son comble. Puis finalement, de p�rip�tie
en p�rip�tie, la mission parvient � son terme et les satellites sont s�par�s.
Pendant un long moment, la salle de contr�le reste silencieuse, chacun
reprenant lentement son souffle. Nous ne r�alisons pas que c�est fini, que
c�est gagn�. Puis soudain, les applaudissements �clatent, avec les rires, les
larmes et la f�te�
30 octobre 1997, le
deuxi�me vol d'Ariane 5 (V101) exorcise l'�chec du vol inaugural du juin
1996
Arianespace/CNES/ESA
Je choisis le sol de Mars photographi� par Spirit. C�est
moins beau que les anneaux de Saturne mais n�est-elle pas �mouvante, l�id�e de
ces petits robots appliqu�s qui sillonnent quelques kilom�tres carr�s de cette
plan�te et qui y apportent le mouvement, � leur mani�re fragile et presque
absurde (j�imagine ce que les vieilles roches immobiles doivent penser de leur
agitation d�sordonn�e), r�veillant peut-�tre le lointain souvenir de
formes de vie primitives et disparues ? N�est-ce pas le d�but de nos
"chroniques martiennes" ?
Je refuse de choisir entre Ariane 5 et la fus�e de Tintin. Techniquement, elles pr�sentent de grandes diff�rences et il faut admettre que la fus�e de Tintin comporte plusieurs d�cennies d�avance avec son moteur nucl�aire et son architecture mono-�tage. Mais les deux m�ont �mu, transport� (au figur� malheureusement), fait r�ver. Il ne faut pas le r�p�ter car cela nuirait � ma respectabilit�, mais lorsque, Directeur des Lanceurs du CNES, il m�arrivait de d�ambuler seul, le soir, sur les passerelles du B�timent d�Assemblage d�Ariane 5 � Kourou pendant une campagne de lancement, je n��tais pas loin de me prendre pour Tintin. Je dis bien Tintin, et non Tournesol, car je ne suis pas assez savant, et pas encore assez sourd.
Un
h�ros immense, bien s�r, mais un peu statufi�, � la diff�rence des cosmonautes
et astronautes suivants dont j�ai v�cu les aventures de fa�on plus directe,
question d��ge (j�avais 6 ans quand Gagarine a inscrit son nom dans
l�histoire de l�humanit�).
En
2001, j�ai invit� Buzz
Aldrin � un colloque sur les lanceurs futurs que mon proche collaborateur
au CNES et n�anmoins ami, Christophe Bonnal,
puits de culture spatiale et d�imagination technologique, avait organis�. Buzz
continuait (et continue encore) � inventer des "g�ocroiseurs" de toute
esp�ce. Faire sa connaissance a �t� une grande �motion. Je regardais ses
pieds : normaux pour le profane (quoique chauss�s de souliers un peu trop
vernis), magiques pour l�initi�, ils �taient respectivement les troisi�me et
quatri�me � avoir foul� le sol de la Lune, j�ignore dans quel ordre. En fait,
je me plaisais plut�t � consid�rer Aldrin comme le premier ex aequo. A
l��chelle de l��ternit� lunaire, on ne va tout de m�me pas chipoter pour
deux minutes !
Buzz Aldrin, vedette am�ricaine du colloque Lanceurs du CNES
le 21 juin 2001
Photo Manu Pedoussaut
Une
belle r�ussite, une certaine revanche aussi des Sovi�tiques apr�s leur d�faite
dans la course � la Lune ; un pr�curseur qui �tait certes us� mais qu�on
aurait aim� voir subsister encore un peu sur orbite. Et qu�on aurait mieux fait
de ne pas remplacer par ce mouton � dix-huit pattes qu�est la station
internationale. A l�occasion d�une r�union, j�ai visit� � Moscou son centre de
contr�le, apr�s sa d�sorbitation. La nostalgie se lisait dans les yeux des
ing�nieurs qui guidaient la visite. Ils savaient bien que pour eux, station
internationale ou pas, rien ne remplacerait "leur" station Mir et
rien ne serait plus pareil. Ceci �tant, la pr�sence humaine sur orbite basse
n�apporte pas grand-chose et ne fait plus r�ver. Quand se d�cidera-t-on
vraiment � aller sur Mars ?
L��v�nement
le plus important du XXe si�cle, non ? Si l�on oublie les guerres�
Vivre
2001,Odyss�e de l�Espace� jusqu�au bout�
Merci, Eric Dautriat !
Interview
r�alis�e par mail en f�vrier 2008
La semaine
prochaine (lundi 31 mars 2008) : S�bastien Vauclair