L'invit� de la semaine
derni�re : Guillaume Bonello
LES
INVITES DU COSMOPIF
N�291
(lundi 27 septembre 2010)
Photo CNES
Roger Vignelles en bref
N� en 1936 � Montargis
(Loiret)
Ecole Centrale de Paris,
promotion 1960. Sp�cialit� "G�nie Civil"
1960-1962 : service
militaire dans l'Arm�e de l'Air
Ecole de pilotage de
Marrakech puis pilote sur avion d'appui a�rien T6 puis T28 en Alg�rie
1962-1966 : Air Liquide
Supervise le d�marrage
d'usines � l'�tranger puis s'int�resse au programme d'un petit �tage de fus�e
LOX/hydrog�ne "H3,5" financ� par la D�fense
1966-1970 :
Nord-Aviation/SNIAS
Responsable Projet du
d�veloppement des protections thermiques internes des corps de propulseurs �
poudre destin�s � la force de dissuasion fran�aise. Simultan�ment, Responsable
Projet pour Nord Aviation du d�veloppement de l'ensemble propulsif du premier
�tage de la fus�e Diamant-B et de l'industrialisation du moteur Valois en cours
de d�veloppement au Laboratoire de Recherche Balistique et A�rodynamique de
Vernon
Responsable de
l'industrialisation du deuxi�me �tage de la fus�e europ�enne Europa-2 et
adjoint au chef de projet Europa-3
1970-1973 : CECLES/ELDO
Responsable structure,
propulsion du premier �tage de la fus�e Europa-3
1973-1991 : Centre
National d'Etudes Spatiales
Responsable premier et
deuxi�me �tages Ariane dans l'�quipe de Projet (1973-1976)
Chef du projet Ariane
(1976-1982)
Sous-Directeur Technique puis
Directeur des Lanceurs (1982-1989)
Directeur G�n�ral Adjoint en
charge des Syst�mes de Transport Spatiaux Ariane et Hermes (1989-1991)
1991-1997: Soci�t� Europ�enne
de Propulsion
Directeur G�n�ral Adjoint
D�fense Espace (1991-1993)
Pr�sident Directeur G�n�ral
(1994-1997)
Roger
Vignelles pendant la r�p�tition de chronologie L01, salle Jupiter � Kourou
� Collection
Roger Vignelles
J�ai
d'abord eu une exp�rience dans l�arm�e de l�Air : j�ai eu la chance en
tant que r�serviste de faire l��cole de pilotage de Marrakech puis de piloter
des avions d�appui de chasse l�ger en Alg�rie et je dois dire que c�est une
fa�on de se conna�tre. Par ailleurs, r�ussir un vol d�pend aussi d�autres
personnes ; on le doit au travail de toute une �quipe. J�ai ainsi tir� des
le�ons sur beaucoup de choses, comme la fiabilit�, la s�curit�, etc. Tout cela
m�a beaucoup servi.
Ensuite,
j�ai travaill� � Air Liquide de 1962 -� la sortie de mon service militaire-
jusqu�en 1966. L� aussi, cette exp�rience m�a servi pour la suite. J�ai pris
contact avec l�oxyg�ne liquide et l�hydrog�ne liquide et c�est une des raisons
d�ailleurs qui m�a amen� � entrer � Nord Aviation apr�s, puisque je savais qu��
cette �poque-l� il y avait des programmes de recherche qui impliquaient des
connaissances dans les liquides cryotechniques.
Je suis donc entr� � Nord Aviation
en 1966 pour travailler sur un programme de stator�acteur. On parlait de
"propulsion miracle" � cette �poque-l�. On voulait notamment utiliser
de l�hydrog�ne liquide dans les stator�acteurs. Les programmes de Nord Aviation
ont �t� d�croch�s en coop�ration avec les Etats-Unis. C�est aussi l��poque o�
le g�n�ral de Gaulle a fait des d�clarations sur l�OTAN qui n�ont pas �t�
appr�ci�es par les Am�ricains. Lorsque je suis entr� � Nord Aviation, ces
contrats ont �t� arr�t�s. D�s lors, je me suis retrouv� sur le programme
Diamant�
Dans votre
carri�re, quel(s) grand(s) moment(s) retiendriez-vous ?
Pour moi, le grand moment a �t� le
lancement avort� Ariane L01 ! De tr�s loin� Chaque lancement, chaque
"premi�re" r�ussie a aussi �t� un grand moment, m�me si cela n��tait
pas � la hauteur d�Ariane L01. Le temps que j�ai pass� au CNES, toutes les
"premi�res" ont r�ussi� Il ne faut pas en sortir une certaine gloire
mais il ne faut pas oublier quand m�me qu�� chaque nouvelle version d�Ariane,
notamment � l��poque des six configurations d�Ariane-4, chaque premier tir
�tait une "premi�re" et donc une �preuve particuli�re. Je dois avouer
que j�ai v�cu une p�riode passionnante, une p�riode de conception absolument
passionnante ! Au moment o� on a fait Ariane-5, nous avions une �quipe de
personnes au niveau de l�Europe qui avaient accumul� l�exp�rience d'Ariane-1 �
4, chacune dans leur domaine et qui �taient motiv�es par cette affaire-l� o�
nous avions l�occasion de concevoir totalement un nouveau syst�me. Cela a �t�
un enrichissement consid�rable.
Le 15 d�cembre
1979 � 11h24, le tir L01 est avort�
�
CNES/ESA/Arianespace
Quel
�v�nement de la conqu�te de l�espace qui vous a particuli�rement marqu� ?
Le premier pas sur la Lune m�a
marqu�. Je dois m�me dire que cela m�a davantage marqu� apr�s coup car, en 1969,
je ne r�alisais pas vraiment encore tout ce qu�il fallait faire pour r�ussir un
tel exploit. Plus j�ai r�alis� les conditions dans lesquelles cela a �t� fait,
c�est-�-dire avec des moyens d��poque (pas de calculateurs, pas de centrales
inertielles au tout d�but, etc.), avec des connaissances des ph�nom�nes
basiques extr�mement limit�es et plus j�ai �t� admiratif de cet exploit. Et je
dois dire malheureusement que je me pose la question de savoir si nous serions
capable de refaire aujourd�hui un tel exploit, notamment de part les
organisations lourdes que l�on met syst�matiquement en oeuvre� J�ai revu sur
ARTE d�excellents documentaires sur cette question ; j�ai d�couvert des
tas de choses sur ce qu�ils ont notamment �t� oblig�s de faire. J�ai surtout d�couvert
qu�ils n�avaient rien au d�part ! Alors que nous, quand on a fait Ariane,
on disposait d�un certain nombre de bases. S�il y avait peu d�outils pour faire
de la mod�lisation, il y avait n�anmoins des calculateurs (peu puissant
certes)... Pour Apollo, il a fallu �tre intelligent pour mettre au point les
logiciels compatibles avec les moyens de calcul de l��poque. Je dirais m�me
qu�� l�inverse, pour Ariane-5, la disponibilit� de calculateurs puissants nous
a conduit � faire des programmes trop lourds. En �coutant ces �missions, j�ai
pris conscience de l��norme pas que cela a demand�. J�ai aussi d�couvert les
probl�mes qu�ils ont eu au moment d�alunir.
Pour moi, Apollo reste l�Exploit�
et avec la question "Serait-on capable de refaire un tel
exploit ?". Non pas sur le plan technique, car on a aujourd�hui
davantage de connaissances et de moyens techniques, mais plut�t au niveau de
l�organisation qu�il faudrait mettre en place.
En dehors de celle du premier pas
sur la Lune, il y a une photo qui me pla�t beaucoup, c�est celle o� l�on voit
le pr�sident du CNES et des responsables du tir d�Ariane L01 en train de se
battre � coup de boules de neige � Kourou ! C�est la seule fois d�ailleurs
o� cela est arriv� parce qu�apr�s on a �limin� la piscine qui servait de clapet
anti-retour au d�gazage de l�oxyg�ne et de l�hydrog�ne. Il faut avouer que,
apr�s toute la concentration au moment du tir, qui a �t� � la limite de la
rupture, voir tous ces gens-l� se comporter comme des grands gamins en lan�ant
des boules de neige, �a m�a assez plu !
Le Chef des
Op�rations sur l�Ensemble de Lancement Alexandre Merdrignac et le
pr�sident du CNES
Hubert
Curien (futur ministre de la recherche) entament une bataille de � boules
de neige � sous le Soleil de Guyane.
Fr�d�ric
d'Allest est visible sur le c�t� gauche de la photo.
� SYGMA/ Alain NOGUES, 1979
Apr�s le
lancement, la premi�re chose que j�ai faite a �t� de revenir sur le lieu du
lancement, d'inspecter le pas de tir. Je crois que quelques photos ont �t�
faites o� on nous voit tous regarder le trou. On pensait tous � la m�me chose.
Apr�s avoir travaill� comme un dingue, apr�s avoir fait les trois-huit et �t�
sous pression constante� voir ce pas de tir vide avec les bras de la tour
�cart�s, je me suis senti seul. Je n��tais pas le seul ! Mais c�est vrai,
on n�avait subitement plus rien � faire. Cette chose, qui nous a mobilis�s
pendant sept ans, n��tait plus l�� Je garderai toujours ce souvenir-l�.
Deux heures
apr�s le lancement L01, neuf personnes ont le privil�ge d'effectuer la
visite du pas de tir.
De gauche �
droite : Alexandre Merdrignac, Guy Laslandes,
Michel Mignot, Joseph Bertrand,
Gustavo
Oelker, Roger Vignelles, Raymond Orye, Fr�d�ric d'Allest et Hubert Curien.
� SYGMA/ Alain NOGUES, 1979
Sans aucun doute, c�est Ariane. Ma
vie, �a �t� Ariane ! Cela n�emp�che pas que j�ai aussi de l�admiration
pour un syst�me comme la navette spatiale. J�admire les gens qui l�ont faite.
Mais, personnellement, ma vie professionnelle a tourn� autour d�Ariane. Ariane,
pour l�objet lui-m�me qui a �t� tr�s motivant mais aussi pour toutes les
personnes motiv�es avec lesquelles j�ai travaill� de 1973 � 1991. Je dois vous
dire que c��taient des personnes qui, rarement, rechignaient � faire des heures
en plus ou � venir travailler le dimanche. Les personnes en voulaient. C��tait
extraordinaire. C��tait une ambiance. On ne rencontre plus gu�re cela
aujourd�hui�
Kourou,
24 d�cembre 1979 : premier lancement d'Ariane
�
CNES/ESA/Arianespace
On ira un
jour sur Mars, c�est s�r. Je trouve d�ailleurs qu�il est plus justifiable
d�aller sur Mars que de retourner sur la Lune, ne serait-ce qu�un jour lointain
Mars deviendra peut-�tre un refuge pour l�humanit�, si l�humanit� n�a pas disparu
d�ici l�� Je crois en effet que cela sera une formidable aventure mais je crois
que je ne la verrai pas� Et je suis � peu pr�s s�r que mes enfants ne la
verront pas non plus.
Mon souci
aujourd�hui est plut�t que l�aventure Ariane continue longtemps et surtout que
l�on ne cesse pas de se souvenir des conditions dans lesquelles on est partis,
et aussi du fait que l�on a toujours voulu anticiper l��volution des satellites
et �a plusieurs fois. Depuis que j�ai quitt� le CNES, j�ai le sentiment que
l�on cesse de vouloir �tre en avant. A moins que ce soit l�absence compl�te de
vision. Si cela s�av�re exact, c�est le d�but de la fin. En ce moment, ils sont
en retard, c�est clair. Ariane est utilis� � la limite de ses capacit�s et il
n�y a toujours pas de programme d�am�lioration des performances en cours. De
plus, il y a divergence sur la fa�on de voir l�avenir. Cela m�inqui�te
beaucoup�
Merci, Roger Vignelles !
Interview
r�alis�e le 25 novembre 2009 en compagnie de Philippe Varnoteaux
au caf�
L'Est parisien pr�s de la gare de l'Est � Paris.
Retranscription
effectu�e par Philippe Varnoteaux.
R.
Vignelles et P. Varnoteaux � l'issue de la rencontre du 25 novembre 2009
Photo P.-F.
Mouriaux
La semaine
prochaine (lundi 4 octobre 2010) : Axel Debruyne