LES INVITES DU COSMOPIF |
N°158 (lundi 16 juillet 2007)
Qui
êtes-vous, Guy Laslandes ?
Je
suis responsable thématique au Centre national d’études spatiales (CNES) de
tous les sujets concernant les lanceurs et plus généralement le transport
spatial, ainsi que la station spatiale internationale (ISS) et les sciences en
micropesanteur.
Je
suis né en 1948 dans une famille modeste (mon père était pâtissier et ma mère
employée du Trésor) qui nous a toujours poussés, mes deux frères et moi, à
faire des études malgré les difficultés financières que cela pouvait poser.
Maintenant, je suis marié, père de deux filles et même grand-père d’une
petite Alice et je vis dans un appartement parisien pas trop loin du bois de
Vincennes.
J’ai commencé ma
carrière professionnelle au CNES en 1973, après avoir été élève de l’Ecole
Polytechnique puis de l’Ecole nationale supérieure des télécommunications. J’ai
pris la responsabilité de chef de projet des bancs de contrôle du nouveau
programme de lanceur européen L3S qui démarrait et qui allait devenir plus tard
Ariane. Puis, tout naturellement, des bancs de contrôle je suis passé
responsable projet des essais d’ensemble d’Ariane et en particulier des
4 premiers essais en vol. J’ai ensuite été chef de projet du premier étage
d’Ariane 3 et de celui d’Ariane 4, ainsi que des propulseurs à poudre. Après le
premier vol d’Ariane 4 en 1988, je suis devenu, chez Aerospatiale aux Mureaux,
architecte industriel puis directeur de programme de la production Aerospatiale
d’Ariane 4. En 1992, le CNES m’a demandé de reprendre la Direction du programme
Ariane 5, que j’ai conduit par délégation de l’Agence spatiale européenne (ESA)
jusqu’au 2e lancement réussi. Depuis, je suis passé dans un
rôle plus politique de préparation et de défense, auprès des tutelles
ministérielles et de l’ESA, des dossiers relatifs aux différents programmes de
transport spatial et d’infrastructures orbitales.
A part ma petite fille qui est une de mes grandes fiertés, j’ai eu très
jeune une passion pour les fusées. J’avais 9 ans lors de la mise sur
orbite de Spoutnik, il n’y avait pas de télé mais on était scotchés aux bip-bip
qu’on entendait à la radio. Puis ce fut le vol de Gagarine et surtout la lutte
russo-américaine pour la suprématie dans l’espace. Toutes les semaines, les
Russes annonçaient un nouveau record et les Américains semblaient à la ramasse.
Mais on voyait apparaître un personnage qui allait tout faire basculer et
amener les Américains sur la Lune avec la fusée Saturne 5 : Wernher von Braun.
C’était mon idole à cette époque où l’on ne connaissait pas son équivalent
russe, Sergueï Korolev. Je n’aurais jamais osé envisager que j’allais devenir à
un moindre niveau son équivalent européen moins de 30 ans plus tard…
Werhner von
Braun (1912-1977), père de la fusée lunaire américaine, dans son bureau de
Hunstville
Remarquez
les maquettes de toutes ses réalisations derrière lui ; Saturn 5
touche le plafond…
Comme beaucoup de
gens de ma génération, j’ai été marqué par le premier pas de Neil Armstrong sur
la Lune qui m’a fait passer une des plus belles nuits blanches de ma vie.
Des anecdotes et
souvenirs forts, j’en ai plein ma besace, tous les lancements étant stressants,
d’autant plus quand on est responsable.
Un des moments les
plus forts a duré plus de 15 jours, pour le premier lancement d’Ariane en
décembre 1979. En effet, lors de la tentative du 14 décembre, les moteurs
se sont allumés mais les calculateurs ont arrêté le lancement du fait d’un
problème de capteurs. A partir de ce moment, il fallait tout remettre en état,
corriger le problème et lancer avant 10 jours, sinon des étanchéités de
joint seraient perdues et il faudrait tout démonter et rentrer en métropole
sans avoir effectué le lancement ! Les travaux étaient estimés plutôt à
15 jours... Il a donc fallu travailler sans discontinuer ou presque (on
dormait 4 heures par nuit). Quand enfin, on a réussi le lancement le
24 décembre après bien des péripéties dans les chronologies, on était en
bout de disponibilité des ergols et sur le point de rentrer à la maison !
Après ce succès
complet et inespéré, ça a été la fête et on a même pu faire la seule bataille
de boule de neige que la Guyane ait connu avec de la neige qui s’était formée sur
la piscine de dégazage de l’oxygène liquide du 3e étage.
Faux départ
du vol L01 le 14 décembre 1979
Je retiens la photo
du lever de Terre depuis la Lune prise par la mission Apollo 8 en décembre 1968
car, pour la première fois, on se rendait compte de la réciprocité et de la
relativité des situations entre la Terre et la Lune.
Pour moi, sans
hésiter, je choisis la station spatiale en forme de roue tournant sur elle-même
pour assurer une pesanteur artificielle par la force centrifuge, dans laquelle
embarquent les explorateurs (et l’ordinateur fou HAL) du film 2001,
l'odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.
Quoique j’aime bien
aussi la fusée de Tintin.
Je trouve que les
étoiles et les planètes qui tournent autour ressemblent beaucoup à des
électrons qui tournent autour du noyau des atomes. D’ailleurs, on sait
maintenant qu'eux-mêmes sont décomposés en particules plus petites. Alors je me
plais à penser que nous vivons sur les atomes d’une structure hypergalactique
dont nous n’avons pas idée car ne pouvant pas la voir, étant trop minuscules et
coincés dans son intérieur. Mon rêve serait de pouvoir prendre suffisamment de
recul pour voir à quoi ressemble cette gigantesque structure, et pourquoi pas
m’apercevoir que nous sommes un minuscule atome d’une table ou d’un objet
quelconque d’un être supragalactique !
Oui, je sais, c’est
du délire. Mais parfois ça fait du bien de ne pas avoir de retenue !
Bien sûr, en tant que
premier être humain à avoir échappé à l’attraction terrestre, Youri Gagarine
est le pionnier, le Christophe Colomb qui a ouvert la porte vers un monde
beaucoup plus vaste que notre petite planète et qui pouvait nous laisser
espérer un développement de l’humanité vers d’autres mondes. Ce n’est pas
encore le cas mais, si l’humanité ne se détruit pas avant en dégradant la Terre
et son environnement, cela pourra le devenir.
Mir fut un élément
parmi d’autres de la conquête spatiale mais, honnêtement, ce n’est pas celui
qui me fais le plus vibrer.
Là par contre, comme je l’ai dit plus haut, Spoutnik a été
pour moi le déclic et l’impression qu’une ère nouvelle commençait : Jules
Verne et Tintin devenaient réalité.
Merci, Guy
Laslandes !
Interview réalisée par mail en juin
2007
La semaine prochaine (lundi
25 juillet 2007) : Marie Grégond