L'invité de la semaine
dernière : Mathieu Beylard
LES
INVITES DU COSMOPIF
N°312
à 314 (lundi 14 février 2011)
Romain
Charles, Diego Urbina et Wang
Yue
Participants à la
mission Mars500
Jeudi 3 juin 2010 débutait à
l'IMBP (l'Institut des problèmes biomédicaux de Moscou) la mission Mars500 organisée par l'agence spatiale russe et l'Agence
spatiale européenne. D'une durée de 520 jours, elle simule le voyage aller
et retour vers la planète Mars d'un équipage composé de six hommes :
un Italien, un Français, trois Russes et un Chinois.
Après 240 jours de
"voyage", le "vaisseau" s'est placé sur orbite martienne le
10 février 2011 et l'équipage s'est scindé en deux le lendemain :
l'Italo-Colombien Diego Urbina, le Russe Alexandre Smolevski et le Chinois Wang
Yue se sont installés dans un module d'atterrissage pour rejoindre le sol,
laissant le Français Romain Charles et les Russes Soukhrob Kamolov et Alexeï
Sitev dans le module où tous se tenaient jusqu'à présent.
L’atterrissage sur Mars
s'est déroulé le 12 février et le premier pas sur Mars est programmé pour
ce lundi 14 février. Il sera effectué par Alexandre
Smoleevski et Diego Urbina. Deux autres sorties sont au programme
les 18 et 22 février (Smoleevski/Yue et Smoleevski/Urbina).
Les
trois conquérants de Mars retrouveront le vaisseau-mère
le 24 février et retrouveront leurs compagnons après trois jours de
quarantaine. Puis ce sera le retour sur Terre, quasiment aussi long qu’à
l’aller. Rendez-vous en novembre…
Romain
Charles, Diego Urbina et Wang Yue en bref
Romain Charles
Poste occupé durant la mission Mars500 :
ingénieur de bord
Age : 31 ans
Nationalité : française
Réside à : Saint-Malo, France
Emploi actuel : responsable qualité chez Sotira,
fabricant de pièces techniques à base de matières plastiques
Formation : Master en ingénierie de l’Institut
Français de Mécanique Avancée de Clermont Ferrand (diplômé en 2004)
Centres d’intérêt : littérature, cinéma, Internet,
natation, course et plongée sous-marine. Membre de la Jeune
Chambre Internationale, fédération mondiale de jeunes professionnels et entrepreneurs.
Diego Urbina
twitter.com/diegou
Poste occupé durant la mission Mars500 :
chercheur
Age : 26 ans
Nationalité : italo-colombienne
Réside à : Turin, Italie
Dernière activité : participant à la mission de simulation
martienne MDRS-88 dans l'Utah à bord de la station Mars Desert Research de la
Mars Society (recherches sur la croissance des plantes tropicales) du 8 au
23 janvier 2010
Formation : licence et maîtrise en génie
électronique de l'école Polytechnique de Turin en Italie et maîtrise en études
spatiales de l’International Space University à Strasbourg.
Centres d’intérêt : plongée sous-marine, graphisme,
dessin, fitness et football.
Wang
Yue
Poste occupé durant la mission Mars500 :
chercheur
Age : 27 ans
Nationalité : chinoise
Réside à : Pékin, République populaire de Chine
Emploi actuel : formateur assistant au centre de formation des
astronautes chinois (formation à l'adaptation à l'environnement). A notamment participé
à la sélection du deuxième groupe d'astronautes chinois et à la préparation de
la mission Shenzhou-7 (première EVA chinoise, en septembre 2008).
Formation : médecine de prévention au Nanjing Medical College
(2000-2005) puis physiologie au centre de formation des astronautes chinois
(2005-2008)
Centres d’intérêt : basket-ball, football, natation et lecture.
Qui êtes-vous, Romain Charles, Diego
Urbina et Wang Yue ?
Romain
Charles : Je suis né à Laval et
j’ai passé toute ma jeunesse dans la campagne mayennaise. J’étais très curieux
de tout ce qui m’entourait et, petit à petit, j’en suis venu à me passionner
pour cette nouvelle frontière qui est l’espace. Sans surprise, mon parcours
scolaire fut donc orienté vers les sciences.
Ma curiosité ne s’est pas calmée et j’ai toujours beaucoup
de centres d’intérêt comme la lecture, la musique ou le cinéma. Ma préférence
va aux bandes dessinées (sous toutes ses formes) mais aussi à la
science-fiction (Isaac Asimov, Dan Simmons, etc.).
Diego Urbina : Je suis né à Bogota en Colombie et vis généralement à
Turin en Italie. En ce moment, et pour 520 jours, je vis dans une série de
modules pressurisés à Moscou en Russie avec un équipage international, où nous
simulons un aller-retour pour la planète Mars. J'aime le design graphique la
plongée sous-marine.
Wang Yue : Je suis né le
25 juillet 1982. Je suis assistant des formateurs des astronautes chinois.
J'aime la lecture et le sport.
Quel a été
votre parcours professionnel ?
Romain Charles : Une fois mon diplôme d’ingénieur en poche, je suis entré
dans l’industrie automobile en tant qu’ingénieur qualité dans l’entreprise
Mann+Hummel. Pendant un an et demi, j’ai travaillé sur des projets pour le
constructeur Nissan au Japon. La composante internationale de ce travail a été
extrêmement stimulante au point de devenir un critère pour mes futures
recherches d’emploi. J’ai ensuite trouvé un poste chez le sous-traitant Sotira.
Je suis devenu l’interlocuteur qualité de constructeurs automobiles
particulièrement exigeants comme Aston Martin, Tesla Motors et Mc Laren.
Ce travail était très difficile sur certains aspects mais aussi très gratifiant
puisque j’avais un accès privilégié à toutes ces voitures de prestige.
Alors
que mon activité dans cette société battait son plein, un appel à candidature
sur le site Internet de l’Agence spatiale européenne a fait ressurgir ma
passion pour l’espace qui dormait paisiblement. J’ai passé toutes les étapes de
sélection pour la mission Mars500 et me voici maintenant enfermé pour
520 jours à Moscou en compagnie d’un équipage international.
Diego Urbina : J'ai une
licence et une maîtrise en génie électronique de l'Ecole
Polytechnique de Turin
en Italie, où j'ai
fait des recherches sur
les systèmes d'attitude
de petits satellites.
J'ai ensuite obtenu une
maîtrise en études spatiales
à
l'International Space University de
Strasbourg en France. Puis j'ai effectué un stage au
centre d'entraînement des astronautes
européens à Cologne en Allemagne, avant
de travailler pour
des projets éducatifs en Amérique
du Sud. Il y a un an,
j'ai posé ma candidature pour
le projet Mars500
et ai été sélectionné.
Wang Yue : J'ai suivi des
études de physiologie.
Quelle est
votre passion, comment est-elle née, comment la vivez-vous ?
Romain Charles : C’est sans
doute en regardant les étoiles à partir de ma fenêtre que j’ai commencé à me
passionner pour l’espace. Je devais alors avoir 10 ans. Depuis un an
maintenant, je vis cette passion 24 heures sur 24. Que ce soit par toutes
les rencontres de cosmonautes, les visites de bâtiments ayant fait l’histoire
de la conquête spatiale russe ou ma participation à un des plus grands projets
internationaux après la station spatiale internationale, je me sens privilégié
et je suis heureux d’être ici -même si ce n’est pas tous les jours facile d’être
complètement coupé du monde.
Diego Urbina : Ma passion
est apparue à
l'école, quand j'ai
vu
combien
de grands défis devaient
encore être résolus dans l'espace
et
combien j'aimerais les résoudre, mais aussi en voyant à quel point l'espace peut
être
source d'inspiration pour les
gens. J'ai la
chance de vraiment travailler dans ce que
j'aime et me considère
donc chanceux, même si cela exige certains
sacrifices.
Wang Yue : J'essaie de profiter de la
vie
confinée avec mon équipe, même
si elle est beaucoup
plus monotone.
Quelle anecdote personnelle ou souvenir fort lié à la
conquête spatiale souhaiteriez-vous nous faire partager ?
Romain Charles : Lorsque j’étais au lycée je
dévorais tous les magasines scientifiques que je trouvais et j’étais
particulièrement attiré par l’aura des astronautes français du moment. Claudie Haigneré
(André-Deshays à l’époque) m’impressionnait particulièrement puisqu’elle était
la première Française à aller dans l’espace. Quinze ans plus tard, je suis
à Moscou pour la période d’entraînement à la mission Mars500. L’ambassade de
France organise une conférence ayant pour thème "l’espace" dans le
cadre de l’année franco-russe. J’y suis invité en tant que membre de l’équipage
de Mars500 et cela m’a donc permit de rencontrer et de discuter avec Claudie
Haigneré qui était intervenante. Un moment magique pour moi !
Diego Urbina : À l'endroit où
j'ai grandi, travailler
dans le secteur
spatial était simplement
hors de question, si bien que je n'ai
jamais été
un de ces enfants qui rêvent d'aller à
l'espace. J'ai
découvert ce monde beaucoup plus
tard dans la
vie et
m'y impliquer fut une
expérience très
agréable et m'a ouvert les yeux.
Je pense
qu'après les
sorties dans l'espace de Mars500, qui
devraient avoir lieu en février
cette
année,
et après la fin de la simulation en
novembre, cette expérience restera
sera
un souvenir assez difficile à
battre, à moins que
je n'aille vers la réelle Mars !
Wang Yue : J'ai suivi en
direct la sortie dans le vide de l'astronaute chinois
Zai Zhigang à l'extérieur du vaisseau Shenzhou-7 en septembre 2008. Quelle
beauté mystérieuse
et
tranquille !
Quelle
serait votre photo spatiale ou astronomique préférée et pourquoi ?
Romain Charles : J’ai toujours adoré les images de la nébuleuse à la tête de
cheval dans la constellation d’Orion. Elle fait appel à notre imagination pour
reconstituer le cheval en-dessous. Cette imagination est, à mon sens,
nécessaire dans le domaine de l’astronomie et de l’astrophysique. Les
phénomènes qui sont observés sont d’une telle ampleur qu’il fait parfois un
esprit galopant pour répondre à la question « qu’est ce que c’est que
ça?! ».
(N’ayant
pas accès à Internet, je vous laisse choisir une image d’Europe)
Diego Urbina : L'image
de la
première sortie dans l'espace d'Alexeï Leonov est impressionnante. L'histoire est encore mieux, il a
eu tellement de difficultés pour effectuer cette EVA et
surtout revenir
dans la
capsule. Il a
risqué sa vie
en
essayant quelque
chose de nouveau avec du matériel
que l'on n'avait jamais vraiment testé, sachant que les
chances de ne pas pouvoir
effectuer le retour étaient considérables, afin
de prouver que les hommes pouvaient
travailler dans l'espace. Il est
l'un des personnages
spatiaux les plus héroïques
que je connaisse.
De la même
manière, quel objet spatial vous fascine-t-il ?
Romain Charles : J’aime beaucoup Europe, le satellite de Jupiter. C’est sans doute
sa surface si lisse ou la référence qui y est faite dans le livre 2010 :
Odyssée deux ou bien encore un peu de chauvinisme qui me font aimer cette
lune. Dans tous les cas, je suis toujours sensible aux dernières nouveautés se rapportant
à Europe. N’ayant pas accès à Internet, je vous laisse choisir une image.
Diego Urbina : Mon
vaisseau réel préféré
est la navette spatiale
parce que c'est incroyablement complexe
et cela semble presque magique que
quelque chose d'aussi gros aille dans
l'espace et en revienne en
un seul morceau. Et en plus,
c'est
un bel vaisseau spatial !
Mon appareil préféré de
fiction est
le
Faucon Millenium dans la Guerre des
étoiles.
Quel
souvenir gardez-vous de la nuit du 20 au 21 juillet 1969 ?
Romain Charles : Je suis né
10 ans après cette nuit mémorable, presque jour pour jour. Les
innombrables photos et vidéos de cet instant historique me font rêver encore
aujourd’hui et j’attends avec impatience le jour où nous y retournerons.
Diego Urbina : Je n'étais pas
né à l'époque mais après, avoir étudié
la physique, j'ai réalisé
ce
que signifiait ce
succès étonnant : arriver à envoyer des hommes vers un autre astre avec une
telle précision
incroyable, leur
permettre d'y débarquer
et les
ramener en
vie. Je pense vraiment que c'est
la plus importante réalisation technique de l'histoire. En
regardant les images, je trouve cela tout simplement hypnotique.
Wang Yue : Je n'étais pas encore
né. Mais je peux
imaginer.
Quel serait
votre rêve spatial le plus fou ?
Romain Charles : Mon rêve
spatial le plus fou serait d’aller poser le pied sur la vraie planète
Mars !
Diego Urbina : J'imagine que
dans 1 000 ans ou plus, nous disposerons d'une importante colonie sur
Mars et que presque tout le monde sur Terre pourra s'y rendre. Nos descendants
pourront alors dire de notre génération comme nous pouvons dire des générations
de la révolution industrielle ou d'autres : "Ce sont ces gens qui ont
permis que tout ceci devienne réalité !" Je continue de penser qu'il ne suffit pas de rêver mais que
nous devons travailler dur pour y arriver et nous concentrer sur cet objectif,
non seulement techniquement mais aussi politiquement.
Wang Yue : Comme nous volons
dans le ciel et voyageons sur les océans aujourd'hui, je rêve que les gens
puissent un jour se déplacer dans l'espace. Mais ce sera dans de nombreuses
nombreuses nombreuses années…
Merci, Romain Charles, Diego
Urbina et Wang Yue !
Interviewes
réalisées par mail entre la Terre et Mars en décembre 2010 et janvier 2011.
Un grand
merci à Steve Légère d'avoir permis leur réalisation !
Traduction
et adaptation de Pif.
Prochaine
invitée (lundi 7 mars 2011) : Nelly Mognard-Campbell