L'invit� de la semaine
derni�re : Fran�ois
Forget
LES
INVITES DU COSMOPIF
N�227
(lundi 9 mars 2009)
Qui �tes-vous, Isabelle Georis ?
Je
suis microbiologiste. Mon travail consiste � �tudier le m�tabolisme de
microbes, la levure en particulier, car celle-ci nous sert de mod�le r�duit
d��tre humain pour �tudier des r�seaux de r�gulation d�expression des g�nes, en
r�ponse � des variations de disponibilit� des apports alimentaires dans
l�environnement de nos levures.
Je
travaille depuis quatre ans dans un institut de recherches
microbiologiques � Bruxelles. La recherche fondamentale est ma passion et j�ai
beaucoup de chance d�en avoir fait mon m�tier.
Je
vis � une heure environ au Sud de Bruxelles, dans la capitale wallonne, �
Namur, avec mon mari et nos deux enfants, de 5 ans et demi et
4 ans. Tr�s occup�e par mon boulot et la vie de famille, j�ai peu de temps
� consacrer � mes loisirs. Je pratique sport et lecture d�s que c�est possible.
J�ai
�tudi� la biologie � Namur entre 1991 et 2000 pour obtenir successivement une
licence en zoologie, un DEA en biologie mol�culaire en 1996 puis un doctorat en
Sciences en 2000.
Apr�s,
plusieurs contrats de type "post-doc" se sont succ�d�s � l�Universit�
de Mons, tant dans le secteur biom�dical (diagnostic de maladies pulmonaires
chez l�homme, de la paratuberculose chez les bovins) qu�en microbiologie. C�est
� Mons que j'ai c�toy� de pr�s la recherche spatiale, puisqu�il m�a �t� donn�
l�occasion d��tudier des microorganismes faisant partie de la boucle MELISSA
(pr�vue pour le recyclage lors de missions spatiales de longue dur�e) ayant
fait un s�jour dans l�espace lors du premier vol de mon compatriote Frank De Winne.
Depuis
mars 2005, je suis retourn�e � mes premi�res amours, l��tude du m�tabolisme des
levures, � l�IRMW de Bruxelles.
Ma
passion pour la recherche a�rospatiale fut un ph�nom�ne latent jusqu�il y a un
an. Quelque chose que j�avais en moi, qui m�int�ressait "sur le
c�t�", sans pour autant que ce soit une pr�occupation majeure. Faute de
temps � y consacrer probablement. Puis aussi sans doute parce que je m��tais
forg� la conviction que l�acc�s au Graal (une participation � des vols habit�s)
�tait en soit fort improbable vu mon parcours.
Cependant,
mon itin�raire est jalonn� de pas mal de souvenirs en relation avec le spatial.
Par exemple, lors d�une visite scolaire d�un observatoire dans les Ardennes
belges, l�observation des anneaux de Saturne. Aussi, le passage
"oblig�", � chaque retour dans les Ardennes (pays de ma jeunesse),
devant les engins spatiaux de l�Euro
Space Center de Redu. L��motion que je ressens d�s qu�un objet s��l�ve dans
le ciel et d�fie les lois de la pesanteur. En 2000, le projet que nous avions,
mon mari et moi, de passer notre voyage de noces � Cap Canaveral. Depuis mes
travaux sur les microorganismes de la boucle MELISSA, j�avais d�velopp� une
id�e de roman, assez difficile � concr�tiser faute de temps� dont les grandes
lignes se retrouv�rent quelques ann�es plus tard dans Le papillon des �toiles
de Bernard Werber.
Plus r�cemment, la lecture de la BD Ald�baran de L�o�
Autant
d�anecdotes et de souvenirs qui jou�rent un r�le d�incubateur et me pouss�rent,
en juin dernier, � soumettre ma candidature pour le recrutement d�astronautes
europ�ens�
En quelques lignes, je vais retracer ici les derniers mois de mon existence, empreinte des �motions ressenties au fil de la progression de ma candidature au job d�astronaute.
19 avril 2008 :
j�apprends par la voie des ondes qu�une s�lection d�astronautes se pr�pare.
Sont d�crits les personnes cibl�es. Je me reconnais dans le profil. J�ai peine
� y croire mais je crois que je vais le faire. Avec l�accord de mon mari, je
d�cide de le faire.
Fin mai : visites m�dicales,
une formalit�.
19 mai : le recrutement
est ouvert.
27 mai : je re�ois le
dossier � remplir. Ce sera abordable mais fastidieux. Les langues :
je bluffe sur le russe : je m�ach�te une m�thode pour apprendre en
90 le�ons et je note "basic knowledge". Sports extr�mes
(caving, diving, climbing�) : mmmh, pas vraiment� J�esp�re que �a ne va
pas me desservir� Quelques questions � remplir "en couple" :
combien de temps suis-je dispos�e � vivre loin de ma famille ? Suis-je
pr�te � aller vivre � la Cit� des �toiles ? Aux Etats-Unis ? A
Cologne ?
19 juin : le dossier est
boucl� et envoy�. Quelques jours d�avance, comme � mon habitude� Ca permet
d��viter les "embouteillages" sur le site au dernier moment. Puis je
pars en congr�s du 21 au 24 juin.
23 juin : de mon h�tel �
Sant Feliu en Espagne, j�apprends que les statistiques des candidatures sont
disponibles. Peu de Belges, peu de filles. J�en suis, c�est fou ! Puis un
lien vers les exercices pour le psycho-test I � Hambourg si on a la chance
d��tre parmi les 1 000 veinards� Je commence les tests de
m�moire : catastrophe ! Le reste, �a peut aller. Il va falloir
s�entra�ner !
7 juillet : je re�ois un
mail de l�ESA ayant pour objet "Congratulations !" La
convocation pour Hambourg arrive dans la foul�e. Mot de Cambronne : je
serai en vacances en Turquie le 23 juillet, impossible de changer la date.
Je prends la d�cision de "perdre" trois jours de vacances. C�est
un test de motivation, apr�s tout�
10 juillet : je
m�inscris sur le Forum de la
conqu�te spatiale, histoire de trouver d�autres "compagnons de
vir�e"�
15-21 juillet : tous les
midis, pendant la sieste des enfants, je vais dans le hall de l�h�tel et je
"joue" aux petits jeux de m�moire sympathiques du site de l�ESA. Je
m�am�liore et prends confiance. Entre temps, j�ai aussi revu les grandes lignes
de mes cours d��lectricit�, de m�canique des fluides, moteurs, etc.
22 juillet : d�part pour
Hambourg via Istanbul. Je d�ne seule, m�me si quelques personnes ont l�air de
se conna�tre. Les candidats de la veille, je l�apprendrai plus tard.
23 juillet : le jour J.
Nous sommes un peu moins de 50. Il r�gne une tr�s bonne ambiance. On arrive en
retard : le car n�est jamais venu, on a du prendre le taxi. Ca commence bien !
On re�oit un cadeau : un CD de pr�sentation de l�agence, du job. En
bonus : 13 tests, pendant toute la journ�e. Une pause de
10 minutes toutes les 1h30 et un break d�une heure � midi. Tests de
m�moire, d�orientation spatiale, d�anglais, maths, physique, de perception, de
concentration, questionnaires psychologiques, tests de motricit� fine avec
joystick. On dirait que certains tests ont pour but de saper le moral pour le
test suivant. Je m�accroche. La journ�e se termine, j�ai gard� ma concentration
jusqu�au bout, mais je suis persuad�e de mon �chec : j�aurais pu mieux
faire sur un test de perception (alors que j�excellais pendant mes r�p�titions,
je r�le) et je pense avoir confondu gauche-droite � plus d�une reprise. J�ai le
moral sous le plancher. Nous passons la soir�e avec d�autres candidats, pour la
plupart fran�ais (nationalit� dominante � toutes les �tapes de la s�lection).
J�entame un tour de table avec adresses e-mail, histoire de savoir qui aura
tir� son �pingle du jeu en septembre, convaincue que je n�en serai pas.
24 juillet : retour au
soleil. Je me fais "reconstruire" par mon mari, qui me remonte le
moral, et profite de mes deux derniers jours de vacances. Je ne regrette
pas l�interlude. L�attente, jusqu�� mi-septembre, va �tre tr�s longue.
Fin juillet : je
rencontre, par Internet, deux coll�gues microbiologistes qui �taient �
Hambourg le 23. On n�avait pas eu la chance de se faire connaissance avant. On
essaiera de se revoir, quoi qu�il arrive, car elles ne bossent pas loin de
Bruxelles.
1er septembre :
il est 17h30, je suis de retour � la maison avec les enfants. Je re�ois le mail
"magique" de l�ESA : "Congratulations !"
Waow ! J�ai du mal � contenir ma joie. Je diss�mine l�info.
Deux autres de mes contacts de Hambourg ont aussi re�u le m�me mail. Puis
pleuvent les d�ceptions. C�est dur mais �a fait partie du jeu. Nous ne sommes
plus que 192 dans la course. Selon certaines sources, il ne resterait que
22 filles. La pression monte.
3 septembre : invitation
� Cologne le 8 octobre.
4 septembre : Sylvestre,
rencontr� sur le Forum, sera aussi l� le m�me jour.
29 septembre :
j�arriverai en gare de Cologne dans le m�me cr�neau horaire que Christophe,
aussi rencontr� sur le forum, aussi s�lectionn� le 8 octobre � Cologne. On
se donne rendez-vous pour partager le taxi.
7 octobre : ma chef me
conduit � la gare. Elle me confirme son inqui�tude : elle serait vraiment
triste que je quitte le labo ! Je retrouve Christophe � la gare. On
sympathise dans le taxi. On retrouve Sylvestre � l�h�tel. L�h�tel tr�s bien
fr�quent� : abondent les photos et autographes des astronautes pass�s et
pr�sents, les r�f�rences au spatial. On se donne rendez-vous pour le d�ner.
Entre temps, je vais �vacuer le stress en salle de sport. Nous� retrouvons les trois autres candidats
le soir, autour du d�ner, ainsi que 5 des 6 candidats de la veille. Ils ne
disent pas tout, nous resterons spontan�s face aux tests psychologiques.
8 octobre : petit
d�jeuner en groupe puis le d�part. Au programme : un test en duo
informatis�, un test en groupe, une interview individuelle, une interview
devant plusieurs personnes et un questionnaire informatis�. Le test en duo,
c��tait avec Christophe et �a s�est pas trop mal pass�. J�ai un peu d�conn�
quand il s�agissait de d�l�guer le boulot mais il s�est comport� � merveille.
C�est quelqu�un de bien. Le test en groupe fut un �chec cuisant : il
fallait r�soudre un probl�me math�matique complexe mais abordable, ensemble,
dans un d�lai d�fini. Nous n�y sommes pas arriv�s. On a pass� trop de temps �
discuter� L�interview individuelle, agr�able, le panel interview, tr�s
d�sagr�able. Mais c��tait l�avis de tous, apparemment. Le questionnaire
informatis� : trop long. Deux surprises de fin de journ�e : une
rencontre avec Frank De Winne, une br�ve discussion dans les couloirs avant
qu�il rejoigne la salle de sport. Tr�s sympathique et en fran�ais s�il vous
pla�t. Puis une visite improvis�e des r�pliques de modules Colombus et de l�ATV
comme second bonus. Il est tard quand nous quittons le site : notre guide
nous d�pose � l�h�tel. Sauna, hammam, d�tente avant le souper. Rencontre avec 4
des 6 candidats du lendemain. Echanges d�adresses e-mail pour se donner
des nouvelles. On raconte un peu la journ�e, sans trop en dire, pour garantir
la spontan�it�, c�est important.
9 octobre : retour au
pays. L�attente va �tre insupportable� Quoiqu�il arrive, je suis persuad�e
d�avoir montr� ma vraie personnalit�. Donc, si je ne suis pas prise, c�est que
ma personnalit� de colle pas avec la fonction et c�est mieux de le savoir. N�emp�che,
j�aimerais vraiment pouvoir passer � l��tape suivante�
4 d�cembre : selon
certaines sources, un mail "Congratulations !" serait arriv�
chez une candidate. L�angoisse commence � se faire sentir, j�ai un mauvais
pressentiment.
5 d�cembre :
confirmation du mauvais sentiment : je re�ois un mail de l�agence, mais
pas celui qui dit "Congratulations !". D�ception. Parmi la
grosse dizaine de contacts glan�s � Cologne, seuls deux passent le cap
suivant. Il para�trait que 45 candidats seulement passeront les tests
physiques fin janvier. D�ception, dure � dig�rer. Voyons le c�t� positif des
choses : 1. Je verrai mes enfants grandir ; 2. Je ne devrai pas faire
"ceinture" aux f�tes de fin d�ann�e ; 3. Libre � moi de prendre
la balle au bond et de profiter de l��lan de la s�lection pour introduire des
projets de recherches pour envoyer, � d�faut de moi-m�me, mes bestioles
pr�f�r�es en apesanteur ; 4. J�ai rencontr� des gens formidables au fil de
cette s�lection.
7 d�cembre :
d�ner-retrouvailles avec 4 autres ex-candidats rencontr�s � Hambourg aux Armes
de Bruxelles. Nous passons une apr�s-midi m�morable. Exp�rience � r��diter.
L�ESA a du laisser sur le bord du chemin des personnes vraiment tr�s
int�ressantes. Merci Isabelle, Sophie, Gilles, Fran�ois.
7 janvier : je garde un peu d�amertume
mais vais de l�avant. Quelques publications de mes travaux, juste accept�es et
� venir, regonflent ma motivation � la recherche fondamentale. J�aurai une
pens�e pour P., S., S. et R. qui continuent l�aventure et passeront en
auscultation bient�t. Je suivrai de pr�s les aventures des 4 bienheureux
et me dirai, en suivant leur envol, que je ne suis pas pass�e (si) loin�
Je
choisis le Soleil. Au centre du syst�me plan�taire, il est responsable de
l��mergence de la vie terrestre telle que nous la connaissons et influence tant
le monde v�g�tal que le monde animal. H�liotropisme et rythmes nycth�m�raux en
sont deux corollaires. L�impact d��clipses solaires sur les �cosyst�mes et
le comportement animal est non n�gligeable.
Je
retiens l'ATV, car il propose une (r)�volution dans l�exploration spatiale.
3 avril 2008 : premier amarrage d'un ATV � la
station spatiale internationale
Une prouesse
technologique comme il y en a eu beaucoup au 20e si�cle.
Un
pionnier, face �merg�e d�un iceberg, d�une �quipe de pionniers.
Une �bauche de l�ISS
certes, mais surtout un t�moignage de la pacification Est-Ouest.
Il fut et reste le
voyage dans l�espace, voir notre bonne vieille plan�te bleue d�en haut� Qui
sait ce que l�avenir pourra me r�server� ???
Merci, Isabelle Georis !
Interview
r�alis�e par mail en janvier 2009
La semaine
prochaine (lundi 16 mars 2009) : Thomas Tsymbal