L'invité de
la semaine dernière : Michel Granger
LES
INVITES DU COSMOPIF
N°318
(lundi 28 mars 2011)
Ancien directeur
des lanceurs du CNES
et ancien
PDG d’Arianespace
Photo Pif
Charles Bigot en bref
Né le 29 juillet 1932 à Angers
Etudes supérieures : Polytechnique (1952), ENSA
(1957), College of Aeronautics de Cranfield (1958) et Centre de Perfectionnements
aux Affaires (1973)
1957-1960 : ingénieur en chef de l'Armement et
pilote CT (1 000 heures de vol) au sein du Groupe des engins
balistiques du Service Technique de l'Aéronautique
1961-1963 : détaché au service d'Aéronomie du CNRS
pour les recherches par fusées-sondes
1963-1971 : ingénieur à la division satellites du
CNES puis directeur de la division lanceurs puis directeur adjoint du centre
spatial de Brétigny
1971-1975 : directeur du développement à Air
Inter
1975-1980 : directeur général de SERI-RENAULT
Engineering
1980-1982 : directeur commercial Espace chez
Aerospatiale
1982-1997 : directeur général puis PDG
d’Arianespace
Président d'Honneur d'Arianespace, membre du Groupe
Parlementaire sur l'Espace, de l'AAAF et de l’Académie de l’Air et de l’Espace,
administrateur de l'Institut Français d'Histoire de l'Espace et de l’IAA.
Comment vous êtes-vous
intéressé aux affaires aérospatiales ?
Vous me faites remonter aux années
50, quand j’étais à l’Ecole Polytechnique qui nous permettait de choisir notre
orientation en sortant de l’école -surtout à cette époque-là- et j’ai visé
l’aéronautique. Il me semblait qu’après la guerre, l’aéronautique française
avait d’extraordinaires opportunités. En 1954, je suis donc entré dans le corps
des ingénieurs de l’Air -plus tard le corps des ingénieurs de l’Armement. Je
suis naturellement sorti ingénieur de l’Air à Sup’Aéro et à Sup’Aéro je me suis
surtout intéressé à la robotique qu’on appelait à l’époque les
« asservissements ». J’ai même exercé à Sup’Aéro pendant une dizaine
d’années en tant que professeur de pilotage et des asservissements. A la fin de
mes études, j’ai alors regardé ce qui se faisait et j’ai découvert qu’il
existait une section « Engins Spéciaux » au Service technique. J’ai rencontré
le responsable de cette section et je lui ai demandé ce qui était intéressant à
faire. Il m’a répondu : « Venez avec moi à Hammaguir et vous
verrez… ». J’y suis allé et j’ai vu des engins partout, des engins tirés
dans tous les sens ! Quand je suis revenu, je me suis dit que c’était-là
où je voulais aller.
Photos Pif
Je crois être aujourd’hui le seul
avec le professeur Jacques-Emile
Blamont à pouvoir raconter l’histoire de la Véronique qu’on a tirée
au MAS-36 -le fusil en service dans l’armée française à l’époque- à Hammaguir
le 4 juin 1962 car nous n’étions que deux dehors, sur place !
Imaginez la base Blandine,
Véronique est dressée sur son pas de tir, le portail est reculé. Il y a un mat
avec un contrepoids qui, quand on vient appuyer sur une pédale, libère le frein
qui permet d’arracher la prise ombilicale. C’était très simple, pas idiot mais
très dangereux : c’est un technicien qui devait venir appuyer sur la
pédale (après avoir branché les fils de commande de la mise à feu, sous la
fusée) et vite rentrer dans le blockhaus pendant que le système
basculait ! A ce moment-là s’égrenait le compte à rebours.
Véronique
et le mat de contrepoids
© LRBA/CNES
Exceptionnellement ce jour-là, il y avait deux personnes
qui étaient à 30 mètres de la fusée - Blamont et moi- car Blamont avait absolument
exigé que nous soyons près de la fusée, il voulait toujours des choses
extraordinaires ! Il fallait installer le « BLU », un appareil
radio qui était en liaison avec les personnes qui étaient postées avec des
caméras dans le désert autour d’Hammaguir pour observer les lancements et
c’était moi qui était chargé de veiller au bon fonctionnement de
l’ensemble ; il m’a dit qu’il voulait être au BLU pour pouvoir donner des
instructions, dire à quel moment l’engin vient de partir, de l’observer à tel moment,
etc. Evidemment, il n’y avait pas d’autres moyens à cette époque. J’ai fini par
accepter et puis, finalement, je trouvais assez amusant de voir partir la fusée
à 30 mètres... Tout d’un coup, on aperçoit le technicien sortir et
repartir dans le blockhaus en hurlant : « ça pisse, ça
pisse ! », sans avoir ni branché, ni actionné quoi que se soit.
Silence général. Puis on entend la voix sépulcrale du directeur de tir, le
colonel Marchal, annoncer : « Nous avons un incident… apparemment une
fuite. Que chacun reste à son poste ». Il fallait attendre et réfléchir à
ce qu’on allait faire. Blamont et moi, on s’est regardé. Qu’est-ce qui se
passe ? Moi qui suis très courageux mais jamais téméraire, je lui ai
dit : « Ecoutez, il faut foutre le camp ! ». Heureusement,
ce n’était pas de l’UDMH et du N2O4 qui sont hypergoliques, c’est-à-dire des
ergols qui s’enflamment spontanément, sans cela la fusée nous aurait déjà sauté
à la figure ! Là, ce n’était que de l’acide qui coulait de la fusée et,
même s’il y avait de l’essence de térébenthine, les deux ergols n’étaient
pas hypergoliques. Pour allumer Véronique, il fallait d’abord allumer un petit
mélange hypergolique et l’envoyer dans la chambre. Quand les ergols (acide et
essence) arrivent, ils entrent en contact avec du feu et à ce moment-là, ils
brûlent. On était donc assez rassuré quand même. J’ai alors dit à
Blamont : « S’il y a une fuite, de toutes façons, le tir ne pourra
pas se faire… ». Il valait donc mieux ne pas rester à 30 mètres d’un
engin qui fuit et surtout qui a une charge de TNT de 60 kg au sommet, avec
une fusée remplie de quatre tonnes d’ergols… Blamont ne voulait rien
entendre ! Il voulait voir comment la suite allait se passer. J’ai essayé
de le convaincre que de toutes manières on ne verrait pas grand-chose. Il a
refusé. Il tenait absolument à voir ce que les techniciens allaient
faire ! Il espérait que la fuite ne serait pas importante et que
l’opération de tir allait pouvoir reprendre. J’ai fini par accepter de rester.
On a attendu.
Au bout d’un quart d’heure, on a de nouveau entendu la voix
du colonel Marchal dire : « Nous avons décidé de vider la
fusée… » car, évidemment, le problème numéro un était de vider l’engin.
Mais il n’y avait pas de vannes accessibles ! La question était donc de
savoir comment vider la fusée… L’idée de transpercer la fusée par balles fut
alors énoncée ! Une compagnie a donc été appelée pour qu’elle envoie
d’urgence une auto mitrailleuse. Je dis alors à Blamont : « Cette
fois-ci, on a intérêt à déguerpir ! ». Blamont accepte volontiers et,
discipliné, il téléphone au blockhaus pour demander si on pouvait quitter notre
place. On a alors entendu une voix dire : « Pas de panique, que
chacun reste à son poste ! ». Pas de panique, d’accord mais que nous
restions à 30 mètres de la fusée, je ne l’étais plus ! Blamont me dit
qu’il faut rester, sinon « on va se faire fusiller, si on abandonne notre
poste ! ». Il y avait des militaires partout et on ne savait pas bien
d’où ils allaient tirer sur la fusée. J’ai répondu à Blamont que moi je ne
resterai pas dehors, que j’allais me mettre à l’abri dans un des hangars. J’ai
choisi l’endroit qui était le mieux abrité car il y avait des parties du hangar
qui étaient en dur. Vous aviez des merlons d’un bon mètre de large sur lesquels
étaient fixées les tôles. On a ensuite vu arriver l’auto mitrailleuse qui s’est
postée à l’entrée du site de Blandine et, à chaque tir, la fusée était
loupée ! Authentique ! Puis on a vu l’auto mitrailleuse repartir. Une
chose invraisemblable a ensuite eu lieu : le directeur de tir a annoncé
que finalement c’était un tireur à pied qui allait se rapprocher de la fusée
pour tirer dessus ! Un soldat est arrivé, il s’est approché beaucoup plus
près et dès qu’il a tiré plusieurs fois, au MAS-36, il a aussitôt détalé !
Au MAS-36 ! Aussitôt, on a vu la fusée pisser ; ça coulait. Pas
d’explosion.
Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs
mais la fusée a fini par tomber. J’attendais qu’il se passe alors quelque chose
mais il ne s’est rien passé : une fois au sol, elle a brûlé mais sans
exploser. Cela a duré pendant 5 à 10 minutes. Quand tout a été fini, les
pompiers ont dû arroser. A ce moment-là, on nous a dit que l’on pouvait
« sortir » de son poste. C’était fini. On a été boire un pot !
Il y avait alors au bar, le type de la STRIM, une société technique qui faisait
les explosifs. Nous étions en train de boire, quand soudainement on a vu ce
type pâlir, qui a déclaré : « Nom de Dieu, demain il va falloir que
j’aille désamorcer la pointe ! ». En effet, il restait toujours les
60 kg de TNT avec les deux amorçages ! Il fallait enlever ça. De
plus en plus pâle, le type commençait à nous expliquer la manière dont il
allait désamorcer ! Il pensait que de la poudre avait peut-être pu fondre
et se mettre dans le pas de vis et qu’au moment il faudra le démonter, ça
explosera ! Pour ce type, c’était évident, il allait sauter ! On a
essayé de le convaincre de ne pas faire cette opération, surtout s’il était
convaincu que tout pouvait exploser. Il n’en démordait pas car il répétait qu’il
était responsable de la charge explosive et qu’il allait devoir l’enlever… Tant
que la charge avait ses initiateurs, ses allumeurs, elle était en effet très
dangereuse. Le lendemain matin, lorsqu’on est retourné sur le pas de tir, on
nous a dit qu’ils avaient choisi de ne pas dévisser et enlever la charge
explosive. Ils ont juste démonté la pointe puis ils l’ont entourée d’une corde,
attachée à une jeep distante d’au moins 50 mètres qui l’a ensuite traînée
dans la Hammada ! La pointe a été traînée à plusieurs kilomètres de là,
puis ils l’ont fait sauter…
Quel serait votre meilleur
souvenir en rapport avec le spatial ?
Concernant ma propre carrière, il
n’y a pas qu’un souvenir, c’est certain, mais je mettrais en bonne place le
lancement d’Astérix, le premier satellite français lancé par Diamant, le
26 novembre 1965. J’en garde une grande fierté : la France est
devenue troisième puissance spatiale !
J’ai également un faible pour notre premier « vrai
satellite », le FR-1, lancé dix jours après (le 6 décembre 1965)
par un lanceur américain -car, pour Astérix, on ne peut pas appeler cela un
satellite : c’était une charge « neutre » presque inerte, tandis
que FR-1 était un satellite très complexe pour l’époque. Pour nous, au CNES, le
lancement du premier satellite français sera toujours le FR-1. Le jour de son
lancement, je n’étais pas au centre américain de Vandenberg situé sur la côte
ouest ; j’étais au centre de contrôle de Brétigny et on attendait la
première orbite. Le satellite n’était pas tout à fait polaire mais en latitude
élevée et on ne pouvait pas « voir » la première orbite. La première
descente ne se faisait pas au-dessus de l’Europe, peut-être de l’Asie si je me
souviens bien. En tout cas, l’attente devenait pénible et, tout d’un coup, on a
entendu les « bip, bip, bip » ; je peux vous dire que cela fait
une sacrée impression avec une immense émotion ! Il faut reconnaître que
nous avions tous autour de 30 ans et, pour la plupart d’entre nous,
c’était une première spectaculaire…
France-1
(62 kg) a été lancé par une fusée Scout le 6 décembre 1965
© D.
Ducros/CNES/Novapix
L’événement spatial international qui m’a certainement le
plus marqué a été les premiers pas sur la Lune le 21 juillet 1969.
Quelques jours plus tard après l’événement, je me souviens d’être sorti,
d’avoir regardé la Lune et de me dire que ce n’était pas possible que des
hommes étaient en train d’y marcher ! Cette histoire est restée d’autant
plus ancrée que, quelques années auparavant en 1963, j’ai eu la chance de me
rendre à Houston. A cette époque, mon patron Jean-Pierre Causse [Directeur de
la division satellites du CNES de 1962 à 1966] m’avait conseillé d’aller passer
un petit moment aux Etats-Unis, notamment à Wallops Island : j’ai donc
fait tout un tour de la NASA aux entreprises investies dans l’aventure
spatiale ; j’ai vu énormément de choses. En compagnie de Causse, qui entre
temps m’avait rejoint, nous avons été à Houston et on a été reçus non pas par
von Braun -hélas- mais par un de ses adjoints. Comme c’était peu de temps après
que Kennedy ait lancé sa fameuse course à la Lune, ils nous ont montré leur
projet. Ils nous ont parlé de tout. J’ai été complètement ahuri lorsqu’ils ont
décrit dans le menu toutes les différentes phases : le lancement, le
rendez-vous en orbite terrestre, le voyage, la mise sur orbite lunaire,
l’atterrissage puis le décollage lunaire, le rendez-vous lunaire et le retour
sur Terre... Lorsque nous sommes sortis, j’ai dit à Causse : « Ce
n’est pas possible, ils se sont moqués de nous ! ». Causse m’a
regardé et a ajouté : « C’est en effet une possibilité ». Sa
réponse m’a surpris car lui en principe il devait avoir une formation en la
matière un peu plus approfondie que la mienne ! En tout cas, nous étions
tous les deux complètement ahuris. On se demandait comment ils avaient pu
concevoir un système aussi compliqué et aussi sophistiqué ? Six mois
plus tard, on avait compris qu’il n’était pas possible de faire autrement car,
de notre côté, on avait analysé le problème. Comme tout le monde, j’ai alors
suivi tous les premiers lancements. J’observais avec émerveillement que tout se
déroulait de manière remarquable. Je dois reconnaître que le jour où ils ont
posé le pied sur la Lune, cela m’a vraiment impressionné. Je n’ai pas pu le
voir en direct car j’étais à ce moment-là dans le train dans lequel les gens
suivaient l’événement avec leur poste de radio. J’étais presque en extase
d’entendre cela.
Photos Pif
Le 4 octobre 1957 quand le monde
entier a appris la nouvelle, j’arrivais juste à Londres après une nuit de route
en 2 CV pour rejoindre le collège NATO de Cranfield pour un an, dans
la section des engins guidés. A la première heure, je me présente donc à
l’attaché militaire de l’ambassade car, en tant que militaire, vous deviez dans
un pays étranger vous adressez d’abord à votre ambassade qui doit vérifier
votre ordre de mission. On me dit alors que le colonel veut me voir absolument.
Il me reçoit et, manifestement, savait que j’étais aux engins spéciaux. Il me
demande : « Vous qui êtes aux engins spéciaux, qu’est-ce que vous
pensez des satellites artificiels de la Terre ? ». Surpris, je lui
réponds bêtement : « Ecoutez mon colonel, je n’en pense pas grand-chose
mais la seule chose que je peux vous dire, c’est que ce n’est pas pour
demain ». Il me regarde ahuri et ajoute : « Très drôle mais
encore ? ». Comme un imbécile qu’on est à 25 ans, je lui
explique qu’au Service technique, on connaissait bien la question et que la
mise sur orbite d’un satellite ne serait pas facile à faire et que, ni les
Américains, ni les Soviétiques, n’étaient encore prêts. Je lui explique alors
qu’il faudra une précision extraordinaire avec un pilotage et des vitesses
spécifiques, etc. Je le vois abasourdi et me dire : « Ecoutez, je
n’aime pas beaucoup qu’on se fiche de moi, vous pouvez partir ! ».
J’étais consterné car toujours pas au courant que dans la nuit les Soviétiques
venaient de placer sur orbite leur Spoutnik ! [Rires]
Je n’étais plus au CNES et
poursuivais une carrière non spatiale chez Renault. Je n’étais donc pas à
Kourou mais je me souviens avoir dit à tous ceux qui avaient réussi le tir que
c’était ahurissant, qu’ils avaient réussi malgré toutes les contraintes !
Je comprends ce qu’a dû être l’état d’esprit de tous ces gens le
24 décembre. C’est d’autant plus incroyable quand vous connaissez toutes
les impasses techniques qui ont été faites mais ils n’avaient rien à perdre.
Ils ont eu raison car s’ils n’avaient pas tiré en raison des voyants rouges qui
ne cessaient d’apparaître il est clair qu’à un moment donné il n’y aurait plus
eu assez d’hydrogène liquide ou encore que tous les matériels seraient arrivés
au bout de leur péremption, le lancement n’aurait pu se faire, Ariane partait
littéralement à la poubelle. Ils auraient donc lancé quelques mois plus tard le
numéro 2 et on sait ce qui est arrivé au numéro 2 : la catastrophe. Une
catastrophe qu’il n’est toujours pas si facile de comprendre aujourd’hui…
Photos Pif
De
même, quel serait votre objet spatial préféré ?
Pour moi, c’est forcément un
lanceur ! C’est Diamant-B mais aussi Ariane car j’ai été particulièrement
content de revenir travailler pour l’espace en 1982 et de contribuer à cette
aventure exaltante qu’a été l’exploitation d’Ariane.
J’ai tout de même un faible pour
Diamant-B car, à l’époque, il m’a pris toute mon énergie. Pour le premier
lancement Diamant-B, le mardi 10 mars 1970, j’étais dans la petite salle
de contrôle de Brétigny, à côté du général Aubinière, directeur général du
CNES. Aubinière était d’un nerveux ahurissant ! Ce n’était pas étonnant
car il jouait gros sur ce lancement, surtout sa réputation. Tout d’un coup, il
me regarde et me pousse le bras en disant : « Bigot, vous
m’énervez ! ». J’étais surpris car je ne disais rien ! Je lui ai
répondu quelque chose du genre : « Si vous voulez mon général, je
peux sortir ?! ». Il a aussitôt ajouté : « Mais non !
Mais enfin qu’est-ce qui se passe, vous avez l’air d’être complètement éteint,
impassible… ». Que pouvait-on faire là où nous étions ? J’ai essayé
de lui expliquer qu’il fallait attendre. Cela l’énervait et il a ajouté :
« Cela semble vous désintéresser ! ». J’ai protesté :
« Comment pouvez-vous dire cela, mon général ? Vous savez très bien
l’importance de ce tir ! ». J’ai essayé de lui expliquer qu’on avait
fait tout ce qu’il fallait mais que nous ne pouvions pas savoir si cela
fonctionnerait car c’était notre premier lancement. Nous avions fait tout ce
qu’il était possible d’imaginer ; notre équipe avait donné tout ce qu’elle
pouvait. Il fallait donc attendre. Je lui expliquais que l’opération de
lancement semblait plutôt bien se dérouler et que, de ce fait, je n’avais pas
grand-chose à dire. C’était intense malgré les apparences. Il faut souligner
que c’était la première fois de toute l’histoire de la mise au point des engins
fusées en France -et peut-être bien ailleurs aussi- que l’on effectuait un
lancement d’une nouvelle fusée à trois étages du premier coup… Le plus
important était le comportement de ce premier étage. Le deuxième étage devait
fonctionner car il était qualifié et nous avions toute confiance dans le
troisième étage (excellemment développé à partir des technologies de celui de Diamant
A), dans la case à équipement, le nouveau système de séparation et la nouvelle
coiffe. L’affaire se présentait donc bien mais serait de toute manière déjà
gagnée dès que le premier étage aurait terminé son vol correctement. Aubinière
le savait bien et connaissait bien l’enjeu de ce lancement car, à chaque fois
qu’il me rencontrait, il me disait : « Attention Bigot, vous avez la
tête sur le billot ! Et n’oubliez pas que c’est moi qui ait la hache, je
sais bien m’en servir !! » [Rires]
Diamant B, c’est aussi la clé
d’Ariane. Sans Diamant B, il n’y aurait jamais eu Ariane, tout le monde le
sait. Et ce premier lancement du 10 mars 1970, c’est un grand événement
spatial de l’Europe, c’est la première satellisation européenne, par un lanceur
français, du premier satellite scientifique allemand (WIKA), à partir du
nouveau port spatial de l’Europe à Kourou !
Vous voyez maintenant pourquoi il
faut être fier de Diamant B, chef de file de la magnifique épopée du transport
spatial européen.
Installation du satellite WIKA sur le
lanceur – Diamant B sur son pas de tir en Guyane
Comment voyez-vous l’avenir de l’exploration
spatiale ?
C’est évident que, si l’on fait de
l’exploration, on va commencer par le système solaire -et on a déjà commencé
depuis 40 ans- et cela prendra trois ou quatre siècles !
Arrêtons-nous sur le XXIe siècle : dans le système
solaire, il y a des planètes gazeuses et des planètes solides. On ne va pas
aller sur des planètes gazeuses, sauf aller autour pour les observer. Donc on
va aller sur des planètes solides : or il y en a trois en dehors de la
Terre : Mercure, Vénus et Mars. La planète la plus « facile »
est sans aucun doute Mars. Mars fait rêver bien sûr mais comme autrefois le
pôle sud, il y a plus de cent ans…
La conquête de Mars me fait rêver
et en plus je trouve cela naturel. Il faut visiter l’ensemble du système
solaire, y compris bien sûr avec des sondes qui aujourd’hui peuvent embarquer
des technologies remarquables. Il faut aussi explorer le « passé » du
système solaire, c’est-à-dire comprendre comment tout cela s’est mis en place
et donc aller sur les astéroïdes et sur les comètes. Il faut essayer de
comprendre. Je trouve admirable que l’Europe se soit engagée dans cette affaire
avec notamment la sonde Rosetta qui va se poser sur une comète après avoir
survolé un ou deux astéroïdes. C’est assez extraordinaire car cette sonde doit
se mettre sur orbite autour d’une comète et y déposer un petit robot. Voilà pour
le coup quelque chose qui fait rêver et encore plus que Mars.
Lancée le 2 mars 2004, la sonde
Rosetta a déjà survolé les astéroïdes Steins (2008) puis Lutetia (2010).
Elle atteindra en novembre 2014 la
comète Tchourioumov-Guerassimenko
sur laquelle doit se poser l’atterrisseur Philae.
Merci, Charles Bigot !
Entretien réalisé à Versailles avec Philippe Varnoteaux et Pierre-François Mouriaux le 6 février 2010
Retranscription de Philippe
Varnoteaux
La semaine
prochaine (lundi 4 avril 2011) : Jakob
Terweij