LES INVITES DU COSMOPIF
N�196
(lundi 9 juin 2008)
www.space-launcher.com
(en cours de refonte)
http://orbitales.blog.lemonde.fr (blog intermittent)
www.orbitale.eu
(en pr�paration)
Photo
ISP/Clovis Temboire
Qui �tes-vous, Stefan Barensky ?
Vaste
question ! O� dois-je m�allonger docteur ? Je suis l�un des rares
journalistes fran�ais � ne traiter que du spatial et � r�ussir � en vivre. Nous
sommes une toute petite communaut� qu�il faut prot�ger et traiter avec douceur
comme toutes les esp�ces en danger.
Je suis n� douze jours apr�s la mission Gemini 4 qui avait vu Ed White sortir dans l�espace. Peut-�tre est-ce cela qui m�a incit� � tenter une sortie moi aussi, avec un bon mois d�avance (ce qui n��tait pas conseill� � cette �poque). J�ai grandi au sein d�une tribu d�ing�nieurs des Arts & M�tiers (des "Gadzarts"). Ils m�ont l�gu� la capacit� de voir la beaut� dans ce qui est bien con�u et le go�t des concepts ing�nieux. J�ai aussi grandi dans une maison pleine de livres et je suis rest� un papivore acharn� et �clectique.
Si
l�on en croit ma d�claration d�imp�ts, je suis c�libataire, ce qui ne m�emp�che
pas d�avoir trois enfants pour qui le spatial fait tellement partie du
quotidien qu�ils n�y voient plus grand-chose de passionnant. C�est bien
dommage.
Comme
je suis un incorrigible gourmand, je vis dans la Dr�me, � l�intersection entre
les gastronomies lyonnaises, proven�ales et alpines. Je suis aussi �
deux pas d�une de ces gares TGV construites en plein champ qui me place �
2 heures de Paris et 3 heures de Toulouse ou Cannes, autres sites que
je fr�quente r�guli�rement.
Quand
je n��cris pas sur le spatial, je me passionne pour l�histoire antique, les
mythologies m�connues, l�ethnologie, la linguistique et l�onomastique
(l��tymologie des noms propres). Je collectionne les dictionnaires de langue et
les atlas, ainsi que les yoyos en bois (chacun ses vices).
Ed White � l'ext�rieur de la capsule Gemini 4
Une
fois que ma myopie et mon asthme m�ont convaincu -d�s le primaire- que je ne
serais jamais astronaute, j�ai �t� tiraill� entre deux id�aux :
ing�nieur (comme papa) ou journaliste (� 10 ans, j��tais r�dacteur en
chef, reporter, secr�taire de r�daction, imprimeur et routeur du journal de mon
�cole). Apr�s quelques ann�es d��tudes scientifiques � la fac, je suis parti
enseigner les math�matiques et la physique dans le cadre de mon service
militaire.
J�ai
embray� sur des �tudes de journalisme � Bordeaux (ville spatiale et culinaire).
Dipl�me en poche, j�ai fait un peu de t�l�vision sur France 3 avant d��tre
embauch� dans une agence de presse sp�cialis�e. Mes analyses strat�giques m�ont
valu de rejoindre un cabinet de conseil renomm�. Ensuite, j�ai mont� ma propre
agence de presse. Pendant plusieurs ann�es, j�ai publi� une
"newsletter" intitul�e The
Orbital Launcher Report, qui a connu un certain succ�s puisqu�elle a �t�
rachet�e par un groupe am�ricain qui a continu� � la publier sous le nom de The International Space Industry Report
et pour laquelle j��tais r�dacteur en chef adjoint et correspondant europ�en.
L�aventure s�est achev�e quand un de nos concurrents nous a rachet� pour
arr�ter la publication.
En
compl�ment de mes activit�s de presse (Les
Echos, ESPACE Magazine, Science & Vie...), je continue �
faire du conseil strat�gique et j��cris beaucoup pour l�industrie ou pour les
agences spatiales. En particulier, cela fait des ann�es que je suis l�une des
plumes de l'Agence spatiale
europ�enne. R�cemment, j�animais les versions fran�aises des blogs de
Columbus et de l�ATV sur le web de l�ESA. Aujourd�hui, je travaille sur un
nouveau projet avec quelques autres invit�s du Cosmopif mais je ne peux pas en
dire plus car c�est encore � un stade tr�s pr�liminaire. J�esp�re juste que
cela vous plaira.
Ma
passion du spatial date d�il y a bien longtemps. Mon plus vieux souvenir
remonte au 21 juillet 1969 vers 4 heures du matin. J�avais demand� �
mes parents de me r�veiller au milieu de la nuit pour voir les premiers pas sur
la Lune. J�avais 4 ans et la "folie Apollo" de l��poque ne
pouvait qu�enthousiasmer le petit gar�on curieux que j��tais. D�s que j�ai su
lire, j�ai commenc� � d�couper les journaux pour conserver les articles sur les
missions spatiales. J�ai encore ces coupures de presse : je les ai
retrouv�s lors de mon dernier d�m�nagement ! Durant l��t� 1975, je me
souviens de m��tre organis� pour ne rater aucune des retransmissions t�l�vis�es
de la mission Apollo-Soyouz, quelle que soit l�heure. Comme la t�l� �tait dans
la chambre de mes parents, �a a �t� chaud ! Heureusement, ils ont toujours
compris et encourag� ma passion.
Une
trentaine d�ann�e plus tard, la passion est toujours l� mais elle a m�ri, elle
est devenue plus r�fl�chie. Mes convictions �cologistes sont venues renforcer
mon int�r�t pour l�observation de la Terre, je ne peux m�emp�cher d�aborder les
t�l�communications spatiales sous l�angle de leur influence culturelle.
Surtout, je ne d�fends plus un projet spatial simplement parce que cela me
ferait plaisir de le voir voler. J�essaie de "coller" un peu plus �
la r�alit�, ce qui ne fait pas toujours plaisir � quelques-uns de mes amis,
lorsque je souligne l�absurdit� de certains de leurs concepts favoris. Cela
frise l�incompr�hension totale lorsque je d�montre pourquoi un lanceur
r�utilisable n�a aucun sens dans un avenir pr�visible ou que j�explique
pourquoi je pr�f�re qu�on envoie des hommes sur la Lune mais pas sur Mars (du
moins pas tout de suite) ou encore pourquoi je ne crois pas du tout � la colonisation
des autres plan�tes.
En
fait, depuis que je suis tomb� dans le conseil strat�gique, j�ai r�alis�
combien le secteur spatial est mal compris des d�cideurs et combien les
ressources disponibles sont limit�es. Ce qui nous fait le plus de tort, ce n�est
pas qu�une bonne id�e passe � la trappe (m�me si �a fait mal au c�ur), c�est
qu�une mauvaise id�e mobilise les �nergies et le ressources dans la mauvaise
direction. Lorsqu�elle �chouera (ce qui est le propre des mauvaises id�es), non
seulement tout cet investissement sera perdu mais la cr�dibilit� de l�ensemble
du secteur sera remise en cause. Nous aurons donn� des arguments � ceux qui
nous ressassent encore aujourd�hui que "tout cela co�te cher et ne sert �
rien". C�est pourquoi je pr�f�re �tre un "enthousiaste r�fl�chi"
et un "optimiste prudent". Je suis aussi tr�s heureux d�avoir
d�autres passions pour me changer les id�es et m��viter de devenir
monomaniaque.
L�avantage
de ce m�tier, c�est qu�on rencontre des gens passionnants et qu�on vit avec eux
des moments tr�s intenses, qui vous marquent pour la vie. Deux d'entre eux me
viennent imm�diatement � l�esprit.
Le
premier remonte au d�but de 1992, alors que je pr�parais une brochure
comm�morative pour l�ESA � l�occasion du vol de la 50e Ariane.
Je suis all� interviewer le professeur Karl-Heinz Bringer, l�un des rares
anciens de Peenem�nde qui se sont retrouv�s � travailler en France
apr�s-guerre. Il avait 84 ans et il m�a re�u chez lui � Vernon pour me
raconter ses travaux sur la propulsion des V-2 et des premi�res fus�es
fran�aises. Sur la table de son salon, il a d�pli� un plan du moteur Viking
-son b�b�- et m�en a d�taill� le fonctionnement. Racont� par son concepteur, il
devenait limpide ! C��tait vraiment un moteur tr�s ing�nieux. La raison
initiale de son abandon sur Ariane 5 �tait qu�on ne pouvait pas garantir
sa fiabilit� pour le "man-rating" (fiabilit� demand�e � un v�hicule
embarquant des �quipages) du lanceur d�Hermes. L�histoire d�montrera qu�il
�tait en fait l�un des moteurs les plus fiables jamais exploit�s.
Plus
pr�s de nous, j��tais au Centre de contr�le de Darmstadt en janvier 2005 lors
de l�arriv�e de la sonde Huygens sur Titan. La veille, nous avions fait un
grand repas avec tous les scientifiques de la mission, dont certains avaient
pass� plus de 20 ans sur le projet. L�id�e �tait que si la mission �tait
un �chec, ils n�auraient plus le c�ur � faire la f�te ensemble et qu�en cas de
succ�s, ils n�en auraient plus le temps ! Le lendemain, alors que nous
attendions tous anxieusement des nouvelles, je me trouvais dans le couloir du
service de presse lorsque j�ai vu arriver vers moi mon ami Franco Bonacina,
porte-parole du Directeur g�n�ral de l�ESA. Sous sa moustache, il arborait un
sourire d�une oreille � l�autre. Quelques secondes avant tout le monde, je
savais que nous avions un signal ! Un peu plus tard, j��tais avec
Jean-Pierre Lebreton, le chef de la mission Huygens, lorsque pour la premi�re
fois nous avons �cout� le son transmis par le micro de la sonde (on esp�rait
capter le son du tonnerre au loin). C��tait le premier son naturel jamais
retransmis d�un autre astre -le vent dans l�atmosph�re de Titan- et nous �tions
parmi les premiers � l�entendre. Un moment tr�s �mouvant.
En
bonus, je repense � un moment plus l�ger. Lors du 100e vol
d�Ariane, en 1997, tous les industriels du programme avaient dress� des stands
autour de la salle Jupiter pour faire go�ter les sp�cialit�s culinaires de leur
r�gion apr�s le vol. Pour accompagner leur bi�re, les Allemands d�Ottobrunn
avaient amen� un orchestre bavarois avec fouet et culottes de peau. C�est ainsi
que nous avons c�l�br� Oktoberfest en Guyane, avec les crapauds buffles qui
faisaient les ch�urs !
On reste autour de Saturne avec le bourrelet de Japet photographi� par Cassini. Il court sur 1 300 km et co�ncide avec l��quateur de cette lune �trange et bicolore. Chaque fois que je le vois, je ne peux m�emp�cher de penser que c�est la trace du moule ! Pour moi, il symbolise parfaitement cette capacit� qu�a l�Univers de toujours nous surprendre l� o� on s�y attend le moins en nous proposant des �nigmes in�dites pour faire phosphorer des g�n�rations de chercheurs. A moins que Dieu n�existe et ne se moque gentiment de nous.
Depuis
que j�ai lu 2001, le roman d�Arthur C. Clarke
(qui y avait d�pos� le monolithe noir que le film de Kubrick a replac� du c�t�
de Jupiter), j��prouve un int�r�t particulier pour Japet. Dans le livre, le
monolithe apporte l��tincelle d�intelligence � l�origine de l�humanit�, or le
Japet mythologique �tait le p�re de Prom�th�e, qui donna le feu aux hommes. Sir
Arthur connaissait ses classiques !
Autre photo que j�adore, cette image de l�Islande vue par le satellite europ�en Envisat. Outre le fait que l�Islande est un pays fantastique, la cam�ra MERIS montre tout : la v�g�tation, les glaciers, l�hydrographie, les nuages d�eau, de glace et de poussi�res, le phytoplancton et m�me les tra�n�es de condensation des avions. C�est fabuleux ce qu�on arrive � voir depuis l�orbite terrestre.
J�aime
aussi beaucoup ces images du couple Terre-Lune prises par les sondes
interplan�taires qui s��loignent. Il est �trange de se dire qu�aucun humain
n�est jamais sorti du cadre... pour le moment.
Le
choix est dur mais j�ai beaucoup aim� le miroir en carbure de silicium du
satellite Herschel lors de son assemblage � Tarbes (autre destination
spatio-culinaire fort int�ressante). Ses raidisseurs (�limin�s � l�usinage par
la suite) lui donnaient l�air d�un v�ritable artefact cardassien tout droit
sorti de Star Trek Deep Space Nine.
Avec son diam�tre de 3,5 m�tres, ce sera le plus grand miroir jamais lanc�
dans l�espace (1,5 fois celui de Hubble). Il ne sera d�tr�n� que par le
JWST.
Photos ESA/P. Dumas
Sinon, en tant que petit-fils de plombier-chauffagiste, je garde une tendresse particuli�re pour tous les moteurs � ergols liquides et surtout les moteurs cryotechniques -comme le Vulcain- qui sont de sacr�s chauffe-eau !
Autre
objet spatial f�tiche : le scotch ! On en trouve partout sur les
satellites�
Je r�ve que les hommes politiques qui d�tiennent les cordons de la bourse acqui�rent une conscience spatiale ! Je suis fou furieux quand je vois qu�il est plus facile pour trois pays de lever 20 milliards d�euros pour organiser des Jeux Olympiques (c'�tait le budget combin� des candidatures de Londres, Paris et Madrid pour 2012) que pour 29 pays (dont les trois pr�c�demment cit�s) de s�accorder sur un financement de 2,5 milliards pour le programme de satellites d�observation GMES. Aujourd�hui, les Olympiades ne sont plus qu�une foire m�diatico-publicitaire et je suis outr� qu�elles aient une telle pr�s�ance sur un programme con�u pour fournir les donn�es n�cessaires � la gestion de notre survie face au changement climatique actuel ! Un peu d�universalisme en politique ne ferait pas de mal.
Plus
raisonnablement, j�aurais aim� assister � une perc�e technologique majeure en
propulsion : un moteur capable de fournir une acc�l�ration de 1 G en
continu et gr�ce auquel l�ensemble du Syst�me solaire ne serait qu�� quelques
jours de vol... sans avoir � subir les m�faits de l�impesanteur. On pourrait
m�me envisager des missions interstellaires sur une dur�e humainement acceptable.
En
restant r�aliste, je me serais volontiers content� de moteurs � fusion, mais
comme le programme ITER ne semble pas devoir d�boucher sur des retomb�es
industrielles de mon vivant, je suis assez pessimiste.
J�ai
quand m�me eu la chance de voir de mes yeux fonctionner des moteurs plasmiques
(quelques grammes de pouss�e). Verrais-je voler le VASIMR
magn�toplasmique ? J�esp�re bien.
Avec
le recul, je vois en Gagarine un jouet de la propagande, choisi plus pour son
sourire que pour ses talents de pilote (tout � fait inutiles � bord de Vostok).
Au final, il a �t� totalement d�pass� par les �v�nements et sa vie personnelle
en a p�ti. C�est un personnage tragique et je trouve dommage que l�histoire des
vols habit�s ait commenc� ainsi. Je lui pr�f�re largement Alekse� L�onov, qui a
surv�cu � l�impensable lors de sa sortie dans l�espace et a su montrer par ses
peintures qu�il �tait bien plus qu�un simple "op�rateur de vaisseau
spatial".
La
lancement de Mir a �t� l�occasion d�un de mes tous premiers articles
professionnels alors que j��tais encore � la fac. C��tait le d�but de la
" Glasnost" et l�on commen�ait � apprendre des choses sur les
activit�s des Sovi�tiques dans l�espace sans avoir � se livrer � de savantes
d�ductions (un art �sot�rique appel��
"cosmokremlinologie"). On �tait encore loin d�imaginer qu�une
navette am�ricaine porteuse d�un Spacelab europ�en finirait par s�y amarrer un
jour. En 1987, au Salon du Bourget, j�ai visit� une maquette de Mir dans le
pavillon sovi�tique et d�couvert la modernit� � la russe : du formica
partout ! J�ai eu un pincement au c�ur quand Mir a �t� d�truite en 2001.
Elle a �t� la premi�re station spatiale internationale et elle a inaugur� la
pr�sence permanente de l�homme dans l�espace (d�j� pr�par�e sur Saliout 6 et
7). Quel dommage de ne pas avoir pu l�envoyer sur une orbite beaucoup plus
haute afin d��tudier son vieillissement dans l�espace !
J�aime
beaucoup cette id�e d�avoir d�velopp� la R-7 sur des fonds militaires pour en
faire un mauvais missile mais un excellent lanceur spatial. Korolev a eu de la
chance de pouvoir encha�ner des premi�res qui ont plu � Khrouchtchev, sinon il
aurait risqu� un ticket retour pour le goulag ! Encore bravo et merci �
lui.
Merci, Stefan
Barensky !
Interview r�alis�e par courriel
en mai 2008
La semaine prochaine (lundi 16 juin 2008) : Michel Sergent