LES
INVITES DU COSMOPIF
N°176
(lundi 17 décembre 2007)
Qui êtes-vous, Arlène Ammar-Israël ?
Je suis
responsable de la stratégie (expert senior) au Centre National d’Etudes
Spatiales. J’habite à Paris, dans le quinzième arrondissement, une maison dans
une villa verdoyante où l’on entend le chant des oiseaux et parfois les gammes
d’enfants au piano.
Je suis
née en 1947 en Algérie à Constantine, ville pittoresque que j’ai quittée très
jeune pour Paris et où je ne suis malheureusement jamais retournée.
Je suis
mariée depuis 1973 avec Laurent, architecte plein de talent. Nous avons
deux brillants enfants qui ont choisi le métier difficile et passionnant
de chercheur enseignant et, depuis peu, deux adorables petits-enfants.
J’ai un
faible pour l’archéologie chinoise et romaine (la verrerie du deuxième siècle),
les arts premiers et l’art moderne. Je parcours les salles des ventes et en
particulier l’hôtel Drouot, pour assouvir cette passion de collectionneuse.
Je suis physicienne. Après un DEA
de Physique de l'Atmosphère, j’ai été chercheur au Service d'Aéronomie du CNRS
pour préparer une thèse sous la direction du professeur Jacques E.
Blamont, sur l’hélium et l’hydrogène interplanétaires, à partir des
résultats du satellite OGO V et de l’expérience hélium de la mission Pioneer 10
de la NASA. Puis, sachant que la Direction des programmes du CNES recherchait
quelqu’un de mon profil pour développer ses programmes d’études des planètes,
j’ai posé ma candidature. C’est ainsi, qu’en 1973 j’intégrais le CNES, où j’ai
occupé différentes fonctions, aussi bien dans les domaines des sciences de
l'Univers, que de l’observation de la Terre ou des vols habités.
J’ai d’abord été responsable des
grands programmes d’exploration du Système solaire du CNES (1973-1989) à une
période particulièrement féconde pour ce thème. La réalisation de missions emblématiques
communes a marqué cette période intense de coopération avec la Russie. Je
citerais en particulier la sonde Vega qui survolera la première la comète de
Halley et Phobos-Mars pour laquelle des expériences françaises ambitieuses
avaient été développées.
Réunion du
groupe Système solaire lors des Rencontres franco-soviétiques d’Erivan en 1986
Au même moment, l’ESA réalisait
avec la sonde Giotto de survol de la comète de Halley, sa première mission dans
le domaine de l’exploration, et j’étais responsable de la coordination de la
contribution française expérimentale à Giotto. L’ESA s’engageait également dans
le développement de la mission Cassini-Huygens (Saturne et son satellite
Titan), dans la genèse de laquelle le CNES jouera un rôle très important que je
décrirais ci-dessous.
A Kourou
lors du lancement de la sonde Giotto en
1985
Enfin, bien sûr, il a fallu
organiser l’accès des scientifiques français aux données des prestigieuses
missions planétaires de la NASA : Apollo (étude des échantillons
lunaires), Voyager, Magellan, Galileo, ce qui leur a permis de devenir la
première communauté en Europe dans le domaine de la planétologie.
De 1991
à 1994, j’ai été chef de la division Applications de l’Observation de la Terre,
avec pour missions principales le suivi de la filière SPOT et la préparation
des projets futurs ainsi que le développement de l’utilisation des données SPOT
au niveau national. J’étais membre de la délégation française au Conseil
Directeur de l’Observation de la Terre de l’Agence spatiale européenne. Pendant
cette période -et j’y reviendrai- des décisions importantes ont été prises sur
la réalisation des missions d’observation de la Terre, Envisat et Metop.
Les dix années suivantes très
riches, au poste de Déléguée-adjoint Etude et Exploration de l’Univers, j’ai
été en charge du programme de vols habités du CNES. Pour les deux derniers vols
des astronautes français à bord de la station orbitale Mir (missions Pégase de
Léopold Eyharts en 1998 et Perseus de Jean-Pierre Haigneré en 1999), avec mes
collègues, je négociais le contrat de vol avec les interlocuteurs russes
(Rozaviakosmos et RKK Energia) et j’étais chargée de définir le contenu
scientifique et technologique des missions. Puis ce fut la grande aventure de
la mission Andromède, premier vol taxi européen à bord de l’ISS avec Claudie
Haigneré en octobre 2001 et la mission de la navette STS-111 avec Philippe
Perrin en juillet 2002, à ce jour dernière mission avec astronaute français.
J’étais Présidente de la
Commission Européenne de l'Utilisation (EUB) de la Station Spatiale à l'ESA de
2000 à 2003, années importantes pour la définition du programme d’utilisation
du laboratoire européen Columbus.
Entraînement
à la manipulation du rack Biolab à l'ESTEC en 2003
Enfin,
depuis 2004, je suis responsable de la stratégie au CNES, chargée de proposer
les orientations stratégiques de l’établissement et leur déclinaison opérationnelle.
Je suis
membre du Conseil d'Administration de Novespace (Airbus A300 Zéro-G) et
du Conseil d’Administration de l’OST
(Observatoire des Sciences et des Techniques).
Je suis
Chevalier de l’ordre national du Mérite.
Je fais partie de la génération
qui a grandi avec l’Espace. J’avais 10 ans au moment du lancement de
Spoutnik 1, 14 ans pour le vol de Gagarine et 22 ans pour les
premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune, événements qui ont eu une résonance
considérable.
La recherche spatiale n’a pas été
une vocation précoce mais cela a été plutôt le résultat d’heureuses
circonstances, le fruit de la rencontre avec des hommes et des femmes qui très
tôt m’ont fait confiance, m’ont soutenu et guidé dans mes choix.
J’ai parfois aussi eu la chance de
me trouver au bon endroit, à la bonne heure au moment où s’esquissaient de
nouvelles perspectives. Je suis consciente, au cours d’une carrière tout
entière consacrée à l’espace, d’avoir participé à une des plus grandes
aventures de notre époque, d’avoir côtoyé des gens exceptionnels venant de milieux
très différents : des astronautes, des scientifiques de grand renom
international, des ingénieurs, des industriels avec lesquels des missions
ambitieuses ont été définies puis réalisées, le plus souvent en coopération
internationale, ce qui ajoutait une dimension supplémentaire.
Une mission spatiale est une
aventure collective qui s’étale sur plusieurs années et j’ai eu l’honneur de
contribuer, à mon niveau, à certaines des plus marquantes : les grandes
missions d’exploration du Système solaire Vega, Cassini-Huygens, les missions
françaises sur Mir et l’ISS…
Je ne résiste pas au plaisir d’en citer plusieurs dans
plusieurs domaines.
Au début des années 80, la NASA
m’a demandé de vérifier si les conditions de stockage dans les laboratoires
français des échantillons lunaires, étaient bien conformes au cahier des
charges qu’elle avait défini car ces échantillons très précieux devaient lui
être rendu. Les échantillons des 6 missions Apollo sont conservés au
Johnson Space Center à Houston, spécialement conçu pour leur protection, leur
étude et leur distribution aux équipes de scientifiques qui en font la demande.
L’ensemble des 382 kg de matériaux lunaires est répertorié en échantillons
à retourner après analyse car ils contiennent des informations encore
inaccessibles aux instruments de mesure actuels. Dès le début des années 1970,
des scientifiques français venant d’horizons très différents et répartis dans
une dizaine de laboratoires soutenus par le CNES ont constitué les premières
équipes de planétologie en France.
J’ai fait un rapport très positif
à la NASA après avoir fait le tour des laboratoires : Muséum d’Histoire
Naturelle, laboratoire de Minéralogie Cristallographie de l’Université Paris-6,
Bureau de Recherche de Géologie Minière (BRGM) d’Orléans, Institut de
Géophysique de Paris (IPG), Observatoire de Meudon, ONERA, Centre des Faibles
Radioactivités du CEA et laboratoire du Centre de Spectrométrie de masse
d’Orsay pour vérifier toutes les conditions de stockage et de manipulation des
échantillons. La NASA avait mis ce préalable pour poursuivre la coopération
avec le CNES.
Cette anecdote est révélatrice de
la grande diversité des laboratoires qui utilisent les données des missions
spatiales, de l’importance de l’analyse de matière extraterrestre en
laboratoire qui a fait progresser le plus la compréhension des phénomènes et du
soin extrême apporté par la NASA à la conservation des échantillons
"patrimoine de l’humanité". Aujourd’hui encore, se tient à
Houston une conférence annuelle sur les résultats scientifiques des
échantillons lunaires, près de 40 ans après la réalisation les missions
Apollo.
Je retiens mon rôle dans la décision du projet Envisat. J’étais déléguée au Conseil Directeur d’Observation de la Terre et bien placée pour être le porte-parole du CNES, de Meteo-France, de l’Ifremer et du CNRS qui s’opposaient fortement au concept de grande plate forme polaire proposée par l’ESA. Je présentais lors d’un Conseil Directeur de l’ESA la proposition française, dite des trois petits cochons, qui consistait à séparer la charge utile de la grande plate-forme polaire POEM (Polar Orbiting Earth observation Mission) en trois missions distinctes plus faciles à développer, lancer et opérer. Finalement, en vertu d’un compromis à la mode européenne et après de longs débats, il y eut deux missions d’observation : la mission d’étude de l’environnement Envisat et la mission polaire de météorologie opérationnelle Metop. Personne ne s’en plaint aujourd’hui. C’est à cette occasion que je me suis formée à la dialectique ESA, si utile pour la suite : établir une position, convaincre, essayer d’influencer les choix et réussir le compromis.
Mon plus grand plaisir
professionnel a été la réalisation de la mission Andromède de Claudie Haigneré
en 2001. Il m’a fallu négocier tant avec l’ESA qu’avec les Russes de
Rozaviakosmos et RKK Energia, dans le contexte entièrement nouveau de l’ISS. Le
programme expérimental fut concocté en un temps record par les thématiciens de
la direction des programmes et l’équipe du Centre Spatial de Toulouse. J’ai
suivi cette mission de bout en bout, depuis le montage initial du projet avec
Jean-Pierre Haigneré jusqu’à sa conclusion heureuse dans les steppes kazakhes où, au milieu de nulle part, nos hélicoptères
partaient à la rencontre de Claudie Haigneré qui sortait souriante de sa
capsule.
Autour de Claudie Haigneré à Toulouse en 2001
Voyage en hélicoptère vers le site d'atterrissage de la mission Andromède
Retour de la mission Andromède au Kazakhstan le 31 octobre 2001
Après l'atterrissage, devant la capsule Soyouz TM-32
Ma contribution à la mission
STS-111 a été originale et inattendue. Philippe Perrin, m’a fait part un jour
de son rêve de voler avec l’écusson du Petit Prince : il s’adressait à la
bonne personne. Antoine de Saint-Exupéry avait rejoint l’escadrille de grande
reconnaissance aérienne de Jean Israël -mon beau-père- au début de la Seconde
Guerre mondiale et ils s’étaient liés d’une profonde amitié.
Grâce aux liens datant de cette
période, j’ai pu obtenir de la famille Saint-Exupéry son accord enthousiaste
pour que cette mission se fît sous le signe du Petit Prince.
A Houston
dans un simulateur de la navette en 2002
Logo CNES
de la mission STS-111 et avec Philippe Perrin au retour du vol STS-111
Pour rester dans le domaine du
rêve, j’ai affronté la micropesanteur que m’avaient racontée tant
d’astronautes ; en juillet 2002, grâce à ma participation à la campagne
DLR de vols paraboliques à bord de l’Airbus A300 0G de Novespace, j’ai enfin
fait l’expérience jubilatoire de ce dont je parlais depuis longtemps !
Sans aucune hésitation, je choisis la photo du sol de Titan
car je sais, ayant suivi de près la genèse de cette mission, ce qu’il a fallu
de vison à long terme, d’obstination, de clairvoyance et aussi de chance, pour
que l’idée d’une telle mission ait pu être réalisée.
Il se sera passé près de trente ans entre la première
proposition dans le cadre d’un colloque de prospective scientifique du CNES
d’une mission scientifique pour étudier le système Saturne-Titan et la fin
nominale prévue en 2008 de la mission Cassini-Huygens, trente ans pour la
réalisation de cette grande première en coopération internationale dans un
contexte géopolitique mouvant. On peut légitimement s’interroger aujourd’hui
sur les raisons qui ont poussé l’Europe à s’engager en 1989 dans le
développement d’une sonde devant atterrir sur Titan à 1,2 milliards de
kilomètres de la Terre, alors qu’elle n’avait, à l’exception du survol de la
comète de Halley en 1986, aucune expérience des missions d’exploration du
Système solaire. Comment les Etats-Unis, qui depuis toujours affichent une politique
spatiale volontariste, ont-ils pu laisser à leur partenaire européen qui ne
finançait que le sixième du coût du projet, le soin de réaliser la sonde vers
Titan, partie la plus spectaculaire et la plus médiatique de
l’entreprise ? Il n’est pas inutile de rappeler le rôle moteur de la
France dans cette première européenne qui explique le niveau de sa
contribution.
En 1981, le projet d’une sonde d’exploration de Titan fut
proposé pour la première fois, dans le cadre du séminaire de prospective des
Arcs du CNES. Suite aux recommandations issues de ce séminaire, je lançais
l’étude préliminaire de la mission au CNES, en soutient à la proposition
scientifique. Les grands objectifs de la mission proposée par Daniel Gautier et
Tobias Owen furent alors définis ainsi que le partage des responsabilités dans
la perspective d’une coopération avec la NASA, ce qui constitua l’embryon de la
mission Cassini-Huygens. Mais cette mission semblait irréaliste dans le cadre
français et l'européanisation du projet s'est assez rapidement imposée au CNES
comme étant la solution à privilégier. Les scientifiques firent alors la
proposition à l’ESA en réponse à un appel à propositions. A la fin des années 1980, le contexte
international était devenu très favorable à la coopération
américano-européenne. La sonde d’étude de Titan a été sélectionnée par
l'ESA fin 1988 comme première mission intermédiaire du plan Horizon 2000. Par
la suite, le Congrès américain donna à la NASA les moyens d’engager la mission
Cassini. Puis le programme, appelé dorénavant Cassini-Huygens, se déroula sans
heurts apparents et, depuis le 14 janvier 2005, les caractéristiques de
Titan se précisent, les surprises succèdent aux confirmations. Nous attendons
les travaux des scientifiques… et la poursuite des observations de Titan à
partir de la sonde Cassini sur orbite.
Le sol de
Titan révélé par la sonde Huygens
Je retiens le message très
explicite, imaginé par Carl Sagan, destiné à des extraterrestres et gravé sur
une plaque en aluminium fixée sur chaque sonde Pioneer 10 et 11 de la NASA qui
a pour moi une résonance personnelle supplémentaire.
Je fus fin 1974, invitée car
j’avais travaillé sur les données de l’expérience Hélium de la sonde Pionner 10
au Ames Research Center (centre de contrôle de la NASA près de San Francisco)
pour la rencontre en direct de Pioneer 10 avec Jupiter. J’ai eu un grand moment
d’émotion car je vis s'inscrire sur l’écran, ligne à ligne, la première image
rapprochée de Jupiter.
Même si j’ai eu le grand privilège
par la suite, de vivre d’autres événements aussi exaltants ( premier survol de
la comète de Halley en 1986, premier survol de Neptune et découverte de ses
satellites par Voyager 2 en 1989…), l’intensité de la découverte n’a jamais été
aussi forte, c’était la première fois.
Message des
sondes Pioneer
Mon rêve le plus fou serait la
découverte d’une forme de vie ailleurs que sur Terre.
Mir, par sa conception robuste, représente
la première station spatiale permanente. Conçue pour durer 5 ans, elle a
fonctionné pendant 15 ans pour permettre à de nombreux astronautes (104)
d’apprendre à vivre et travailler dans l’espace.
Je me souviens avec beaucoup
d’émotion de la sortie extravéhiculaire de Jean-Pierre Haigneré au cours de la
mission Perseus. J’avais pu la suivre en direct (audio) depuis la salle de
contrôle de Moscou et c’était très impressionnant. Il avait en particulier été
récupérer un boîtier d’échantillons de matière cométaire exposé dans l’espace
au prix de déplacements très périlleux.
Spoutnik 1 fut le premier
satellite artificiel sur orbite et le début d’une grande aventure. Depuis
50 ans et après le lancement de milliers satellites, que de chemin
parcouru !
Aujourd’hui, les satellites
permettent d’explorer et comprendre l’Univers, de rechercher les origines de la
vie, de valider les théories fondamentales de la physique. Ils permettent une
compréhension des phénomènes globaux de notre planète et une prise en compte de
sa fragilité. Les satellites sont des instruments précieux pour la gestion des
crises et la conduite d’actions de sécurité et de défense. Enfin, l’espace est
au service de la société et génère une activité commerciale
(télécommunications, navigation) et une activité de services d’intérêt général
(météorologie, observation terrestre et océanique). Les applications spatiales
se sont développées à très grande vitesse et irriguent aujourd’hui tous les
secteurs d’activité.
Merci, Arlène Ammar-Israël !
Interview
réalisée par mail en octobre 2007
La semaine
prochaine (lundi 24 décembre 2007) : Alain Grycan