LES INVITES DU
COSMOPIF |
L'invit� n�106 (lundi 13 mars 2006)
Repr�sentant du CNES aux
Etats-Unis
www.france-science.org/usa-espace
Qui
�tes-vous, Jean-Jacques Tortora ?
J�ai 45 ans. Je suis mari� depuis bient�t 17 ans � une �ternelle jeune fille et j�ai 2 adorables gar�ons de 9 et 16 ans.
Je
suis actuellement repr�sentant du CNES aux Etats-Unis o� j�occupe depuis un peu
plus d�un an le poste d�attach� spatial au sein de l�Ambassade de France �
Washington.
Ing�nieur
jusqu�au bout des ongles, je suis issu d�une fili�re de promotion sociale �
laquelle je dois une tr�s solide formation en construction m�canique. Ce cursus
atypique m�a finalement conduit � l�ENSICA, �cole d�ing�nieurs en a�ronautique
toulousaine, dont j�ai �t� dipl�m� en 1984.
Pilote
priv�, j�ai � mon actif quelque 650 heures de vol qui m�ont permis de
sillonner notre beau pays � basse altitude.
Tout d�abord attir� par l�a�ronautique, mon parcours commence au sein de la D�l�gation G�n�rale � l'Armement � la t�te d�un laboratoire d�essais et de mesures. Passionnante pour un ing�nieur d�butant, je n�ai jamais regrett� cette premi�re exp�rience professionnelle, tant les essais sont une formidable �cole de rigueur dans leur pr�paration, leur r�alisation et leur analyse.
Au
bout de 6 ann�es, convaincu d�en avoir tir� tous les enseignements, je me
suis mis en qu�te de nouvelles responsabilit�s. La lourdeur du fonctionnement
de la DGA a �t� pour moi une motivation salutaire � envisager des horizons
nouveaux et embrasser une carri�re spatiale m�a frapp� comme une �vidence.
Mon
exp�rience du "terrain" me portait naturellement vers des activit�s
op�rationnelles : Kourou me semblait donc une destination toute d�sign�e.
Mon profil �tait un atout, ma motivation une force et ma femme mon
indispensable soutien. La chance a fait le reste�
Me
voil� en route pour la Guyane avec ma petite famille. Parti pour 3 ans,
j�y suis rest� le double, en charge de la qualit� op�rationnelle de
l�assemblage final d�Ariane 4 et de l�exploitation de son pas de tir
ELA 2.
Mais il faut bien rentrer un jour� et le retour fut difficile : Evry tout d�abord, � la Direction des lanceurs pour accompagner la fin de production d�Ariane 4 puis Paris au si�ge du CNES. J�y d�couvre une autre facette des affaires spatiales et je vais successivement y assurer la gestion des cr�dits de politique industrielle du Minist�re de la Recherche (jusqu�� leur suppression par Claude All�gre) puis int�grer l��quipe des Affaires Europ�ennes o� je vais repr�senter les int�r�ts fran�ais au sein de plusieurs comit�s directeurs de l�Agence spatiale europ�enne (comit� de politique industrielle notamment).
Le
point d�orgue de mon passage au si�ge de l'ESA sera la coordination interne de
la pr�paration du conseil minist�riel qui s�est tenu � Edimbourg fin 2001.
Le CNES me confia ensuite la responsabilit� de sa politique industrielle. Ceci m�am�nera � partir pour Toulouse o� je ne resterai que 2 ans, l�opportunit� m�ayant �t� donn�e de prendre en charge le bureau de Washington, ce qui ne se refuse pas�
Ma
passion pour le spatial est n�e du choc que fut pour moi l�arriv�e en Guyane.
Auparavant, tout �tait th�orique mais je pouvais palper l�-bas d�un seul coup
l�incroyable engagement des pionniers qui ont fait Kourou. Devenir un acteur de
cette �pop�e a �t� pour moi un stimulant d�une puissance que je n�aurais pu
soup�onner.
Ce
furent 7 ann�es palpitantes o� j�ai d�couvert l�in�galable aventure
humaine des campagnes de lancement. J�en aurai eu mon compte puisqu�il m�aura
�t� donn� de vivre les ann�es glorieuses d�Ariane 4 : au total
quelque 59 lancements v�cus en direct (de V37 le 27 juillet 1990 �
V97 le 4 juin 1997) !
Tout ne fut cependant pas rose : les relations avec les �quipes op�rationnelles d�Arianespace, fort arrogantes � cette �poque, charriaient leur lot d�exasp�ration et les �checs, puisqu�il y en eut, �taient autant de coups de poignard� Mais au final, quelle exp�rience irrempla�able !
Cela
m�aura si profond�ment marqu� que plus jamais je n�ai pu envisager par la suite
de travailler dans un autre secteur, quelles que soient les difficult�s
rencontr�es.
D�parts des fus�es Ariane 4 V37 et V97 depuis le Centre
spatial guyanais
Une
anecdote � caract�re personnel tout d�abord. Le jour m�me de la naissance de
mon premier enfant, je suis � la clinique aupr�s de mon �pouse et j�interroge
f�brilement � distance mon r�pondeur t�l�phonique. Un message laconique m�y
attend : c�est Albert Le Gou� qui m�annonce depuis Kourou que ma
candidature a �t� retenue� Il sera mon chef durant les 6 ann�es suivantes.
Un
souvenir fort, celui du lancement qui conclut ma premi�re campagne. J��coute
avec anxi�t� les annonces qui ponctuent les divers �v�nements qui jalonnent le
vol. A chaque �tape je revis les anomalies rencontr�es tout au long au fil des
semaines et je les clos d�finitivement, pour moi, avec la satisfaction du devoir
accompli. La routine ne viendra jamais totalement annihiler cette sensation. La
tension palpable dans tous les centres de lancement de la Terre n�est
probablement du reste rien d�autre que la conjonction de toutes ces
"commissions de cl�ture d�anomalies" personnelles.
J�imagine
que pour les vols habit�s, o� les enjeux sont immens�ment plus pr�gnants, cette
pression doit �tre encore plus perceptible.
Si
je ne devais retenir qu'une seule image, ce serait celle d�une capsule Apollo
en mer, ballott�e par les flots en attendant qu�un navire vienne la r�cup�rer.
Imaginer l�incroyable �pop�e qu�elle vient de traverser, l�effroyable puissance
qu�il a fallu d�ployer pour assurer son envol et la voir minuscule au milieu
d�une autre immensit� bleue, prot�geant fi�rement sa pr�cieuse cargaison r�sume
tout � fait pour moi la nature de l�activit� spatiale : faite de bruit et
de fureur, le superflu est progressivement �limin� et ne subsiste � la fin que
ce qui a r�ellement de la valeur, que tous les efforts ne visent en fait qu��
pr�server.
Retour de la capsule "Yankee Clipper" de la
mission Apollo 12 le 24 novembre 1969
Pour
moi, l'objet embl�matique serait le chiffon � l�origine de l��chec du vol 36
d�Ariane 4. Malencontreusement oubli� dans une tuyauterie, il emp�cha
l�alimentation en eau d�un des moteurs du premier �tage et conduisit � la perte
rapide du lanceur. Il aura fallu des exp�ditions hom�riques dans la mangrove
guyanaise pour, la chance aidant, le retrouver et identifier ainsi formellement
l�origine de cet incident. Tant de technologie tenue en �chec par un vulgaire
chiffon, tant de pr�cautions rendues vaines par une aussi triviale n�gligence�
Voil� bien une le�on de modestie que je n�oublierai jamais !
Moteurs Viking du premier �tage d'Ariane 4
Je
r�ve que l�on d�couvre un jour une forme de vie, actuelle ou pass�e, sur une
autre plan�te. Au rythme actuel des progr�s des sciences de l�Univers, je me
dis que j�aurais peut-�tre la chance qu�une telle d�couverte soit faite de mon
vivant. Force est toutefois de constater que l�exploration de Mars, qui
s�annon�ait prometteuse de ce point de vue, nous confirme pour l�instant dans
notre sentiment de solitude intersid�rale�
Youri
Gagarine, c'est le d�vouement : son exploit, accompli sans fard et
l�effroyable saut dans l�inconnu effectu� sans �tats d��me ni m�me d�angoisse
perceptibles, ont pour moi quelque chose que je qualifierais de mystique. Je
dois dire qu�en ce qui me concerne, les vols am�ricains ont consid�rablement
"humanis�" la conqu�te spatiale.
Je
suis probablement injuste envers celui qui restera � juste titre comme le
v�ritable pionnier de l��re spatiale, et probablement suis-je influenc� par la
communication tr�s particuli�re du r�gime sovi�tique d�alors, mais je regrette
quelque part que ce h�ros ait travers� l�histoire sans l�imprimer davantage de
sa personnalit�.
Que repr�sente pour vous la station Mir ?
Mir
signifie pour moi l�espace ma�tris� ! Une op�ration planifi�e, un
assemblage rigoureusement orchestr� et des dessertes Soyouz effectu�es avec une
ponctualit� digne des meilleures compagnies ferroviaires, une occupation
permanente de l�espace jusqu�alors accessible de mani�re tr�s sporadique� Je
crois que Mir a fait changer le spatial d��poque.
Au
demeurant, on mesure aujourd�hui la port�e de cet exploit qui s�av�re ne pas
�tre si facile � d�passer, voire m�me � renouveler�
Merci, Jean-Jacques Tortora !
La semaine
prochaine (lundi 20 mars 2006) : Olivier Bergeret