LES INVITES DU
COSMOPIF |
L'invité n°118 (lundi 12 juin 2006)
Le Guide
des combinaisons spatiales et du vol habité est paru en mai 2006 chez
Tessier & Ashpool
Qui
êtes-vous, Jean-François Pellerin ?
Je
suis journaliste scientifique et conférencier, passionné par la conquête
spatiale. Je suis né en 1962 à Neufchâtel-en-Bray (Normandie), la ville natale
de David Douillet, connue aussi pour ses fromages et son usine Gervais-Danone.
Une année marquée aussi par la naissance du CNES, de l’ANSTJ (aujourd'hui Planète Sciences)
et du premier vol de John Glenn (Etats-Unis).
Je
suis issu d'une famille de culture aérospatiale et artistique. Mon père a en
effet été officier dans l’Armée de l’Air, navigateur sur le bombardier
stratégique Mirage IV (il a d’ailleurs volé sur les 3 exemplaires
exposés au Musée de
l’Air et de l’Espace -dont le n°9 de l’opération Tamouré dans le
Pacifique). Ma mère est peintre-impressionniste (son grand-père est un grand
nom des courants impressionnistes, mort la même année que Claude Monet). J’ai
un cousin qui a été chef de division au CNES pendant 35 ans, dont 8 au
Centre spatial guyanais, un autre qui a oeuvré 35 ans à la SNIAS, puis à
l'Aerospatiale et ensuite à Airbus Industrie, un pilote de l’Aéronavale et
pilote d’essais chez Eurocopter, un général d’armée…et un autre grand-reporter
de presse.
En
dehors du jogging en forêt de Sénart près de Soisy-sur-Seine où j’habite (après
avoir vécu 6 ans à Toulouse), j’ai pratiqué plusieurs sports (tennis,
aviron, voile) et j’ai eu pour autre passion de faire de la détection de métaux
en partant à la recherche de vestiges de notre passé. Il faut beaucoup creuser
mais parfois on a de bonnes surprises !
Après un Bac D, j’ai suivi le cycle technologique de
l’Ecole supérieure d’informatique (ESI), qui forme des analystes et ingénieurs
informaticiens, puis une formation constructeurs chez Control Data et
Hewlett-Packard. J'ai effectué mon service national comme sous-officier à titre
informatique dans l’Armée de l’Air, à la base transit interarmées de La
Rochelle, après une instruction à la base aérienne de Cognac (là où se
trouvaient les fameux Fouga Magister). Je suis rentré dans le milieu spatial en
1985, décrochant un premier contrat chez
Arianespace en 48 heures chrono (deux informaticiens étaient
recherchés après l’échec du vol V15 d’Ariane). Ce fut une chance extraordinaire
mais cela resta un CDD. J'ai rédigé des manuels de référence des télémesures
des vols et ai participé aux commissions d’enquête des échecs V15 et V18 du
lanceur. En 1987, j'ai participé de façon très active au plan d’entreprise
d’Arianespace, en travaillant sur le projet de mise en place d’un système de
visioconférence par satellite entre la société à Evry et le Centre spatial de
Kourou.
En 1988, ma candidature a été retenue dans une sélection finale de
5 Européens, pour travailler sur le programme de station orbitale Columbus
au sein de l’ESA en Hollande. J'ai ensuite jusqu'en 1990 travaillé pour la
divisions Avions d’Aerospatiale (EADS Airbus) à Toulouse, en tant qu’ingénieur
en gestion de projet sur l’Airbus A340.
Après avoir effectué un cycle de formation en création et gestion d’entreprise à la chambre de commerce et d’industrie de Toulouse, à l’Institut de Promotion Commerciale, j'ai développé en 1991 ma propre marque commerciale, Omnispace, pour vulgariser la conquête de l’espace et la mettre à la portée de tous les publics. J'ai ainsi édité des livrets thématiques avec diapositives ("10 ans de navettes spatiale" et "30 ans de vols spatiaux habités russes") et réalisé un diaporama sur le thème "La conquête de l’espace, pour quoi faire ?". Comme conférencier indépendant, j'ai donné près de 200 conférences dans plus de 150 établissements, collèges, lycées, universités, salles publiques, VVF… pour le compte de 15 000 spectateurs (Ile-de-France, région toulousaine et bordelaise).
Ci-dessus : livret avec diapositives sur les navettes spatiales de
la marque Omnispace
Ci-dessous : articles sur la Quinzaine de l’Espace de Montauban (à
gauche)
et sur une conférence sur l'espace à Carcassonne (à droite)
En 1992, dans le cadre de l’Année internationale de l’espace, j'ai été l’initiateur et l’un des organisateurs de la Quinzaine de l’espace de Montauban qui amena des milliers de visiteurs.
A partir du milieu des années 90, j’ai adhéré au Cosmos Club de France d’Albert Ducrocq et effectué une reconversion dans la presse, publiant mes premiers articles et piges dans la revue Aviations en 1995. Depuis, je rédige régulièrement ou ponctuellement des articles spécialisés et de vulgarisation pour le compte de 18 magazines d’aéronautique et d’astronomie. Certains articles plus poussés que d’autres restent des références dans la profession : l'article sur les "Rayonnements ionisants et leurs répercussions chez le personnel navigant civil et chez les astronautes" paru en 1997 est par exemple cité dans ses chroniques aéronautiques par Michel Polacco, l’actuel directeur de France Info, et par de grands médecins de l’aéronautique. Idem ceux sur l’avion Concorde et les pneus Michelin ou le programme d’avion militaire Rafale...
12 des 18 titres de publications aéronautiques et spatiales dans
lesquels a écrit Jean-François Pellerin
En 1995, j'ai conseillé la cinquième chaîne pour réaliser une liaison
vidéo exceptionnelle entre la station russe Mir et des jeunes Européens
regroupés sur le site Disneyland Paris, en présence d’Albert Ducrocq. En
1996, j’ai effectué une mission en tant que premier journaliste civil au sein
du SIRPA de l’Armée de l’Air et couvert l’actualité du premier scientifique
français de l'espace, Jean-Jacques Favier, volant sur la navette Columbia
(mission STS-78). J’ai d’ailleurs eu à cette occasion le privilège de
communiquer avec lui par radio. En
1998, j’ai effectué une mission en tant que consultant Espace pour le compte de
France 3 et l’émission "C’est pas sorcier".
J’ai effectué un cycle universitaire en communication, journalisme scientifique et médical. Je suis titulaire d’un diplôme de science technologie et société du Conservatoire national des arts et métiers de Paris (qui intègre le cours de socio-économie de la technique spatiale) et un cours en gestion de la recherche et de l’innovation en entreprise ; avec une soutenance sur les innovations de l’avion Concorde et un autre travail de recherche mené sur la médiatisation des activités spatiales.
Depuis 1998, après avoir fait une mission d’audit sur "la
diversification du Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget vers de nouvelles
cibles de clientèles et la promotion d’une nouvelle image", je fais partie de l’équipe des
guides-conférenciers du Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget et ai réalisé
plus de 200 visites guidées pour des publics très variés.
Depuis 2003, je travaille à
la rédaction d’ouvrages spécialisés et de vulgarisation. Je viens de publier le
"Guide des combinaisons spatiales et du vol habité" aux éditions
Tessier & Ashpool (voir l'interview de Laurent De Angelis). L'ouvrage est
préfacé par Jean-Jacques Favier. J'achève
également un ouvrage moins ambitieux (80-100 pages), tout aussi passionnant, présentant
l’histoire des 50 plus grandes innovations et applications de la recherche
spatiale rencontrées dans notre vie quotidienne. Par exemple : les
matériaux absorbants des couches, le dispositif pyrotechnique de l’airbag, la
méthode de sécurité alimentaire "HACCP" de Danone... La parution de
l’ouvrage "Espace & découvertes" est aussi prévue pour cette
année, aux éditions OREP (Calvados).
J’ai été bercé
très jeune par l’aviation avec le métier que faisait mon père mais sans avoir
accès au vol (juste un baptême de l’air à 14 ans). Il faut dire que ma
mère avait été un peu refroidie lorsque mon père, au cours d’une mission
au-dessus de la méditerranée, a du couper un réacteur à 13 000 m
d’altitude alors que son Mirage IV allait ravitailler en vol avec un
KC-135, suite à un incident moteur ; l’avion perdant de la portance fit
alors une chute de 12 km. Mon père et le pilote pensèrent à plusieurs
reprises s’éjecter mais parvirent -avec un seul moteur - à reprendre le
contrôle de l’avion à moins de 600 m au dessus des vagues, pour regagner
la France à faible vitesse. Confrontés ensuite à des problèmes d’hydraulique,
ils se posent en urgence sur la Base d’Istres, où ils feront une sortie de
piste pour finir dans l’herbe ! Et que dire un autre jour c’est son avion
qui prend feu au décollage…
J'ai donc été
orienté vers l’informatique. Dans les années 80, c’était très en vogue et
considéré comme un métier dit "calme" (ce qui arrangeait mes parents).
A gauche, dans un Mirage III
en 1971 à la base d’Avord. A droite, sur le stand NASA au Salon du Bourget
2001.
En 1971, j’ai eu la chance de m’asseoir sur le siège éjectable d’un Mirage III (nous n’étions pas autorisé à le faire avec un Mirage IV). C'était sur la base aérienne d’Avord près de Bourges, où mon père fut affecté de 1965 à 1972 parmi les premiers Français à prendre l’alerte nucléaire au sein des Forces Aériennes Stratégiques. C’était très impressionnant mais je ne réalisais pas vraiment que ce métier était dangereux. La même année, mon père, à un an de quitter l’Armée de l’Air, fut nommé leader général pour assurer la conduite du défilé aérien au-dessus de Paris, passant juste derrière la Patrouille de France, avec plusieurs centaines d’avions alignés derrière lui. J’avais vu cela à la télévision, chez une grand-mère. "Regarde bien, ton père passe à la télé, il est dans le premier avion". A 700 km/h, le passage fût rapide et je n'ai pas vraiment réalisé l'importance de l’événement.
Alors que j’avais entre 3 et 10 ans, mon père pouvait être appelé nuit et jour 24 heures sur 24 pour des exercices d’alerte nucléaire. Dans cet environnement, je me suis retrouvé en juillet 1969comme Michaël Collins de la mission Apollo 11, sans pouvoir assister à l’alunissage de l’homme sur la Lune.
Ma passion pour l’espace démarra
seulement en 1972, après un exposé en classe de CM2 à Ris-Orangis sur la
mission Apollo 17. J’ai ensuite accumulé une tonne d’informations :
articles, revues, livres (plus de 300) et maquettes en rapport avec l’aviation,
l’espace et l‘astronomie. J'ai enregistré la plupart des émissions avec Michel
Chevalet, Jean-Pierre Chapel, François de Closets et suivi l’actualité à Europe
1, où on entendait la voix d’Albert Ducrocq. Restait à transformer cette
passion en profession…
Des
souvenirs, il y en a beaucoup, depuis ceux d’Arianespace jusqu'aux rencontres
avec des cosmonautes : Valéry Poliakov (recordman avec 438 jours à
bord de Mir rencontré plusieurs fois), Victor Afanassiev, Jim Lovell
(moonwalker approché lors d’un festival scientifique et de l’aventure à Dijon,
à qui j’ai remis mon premier article paru dans Aviations sur la mission
Apollo 13), les Français (dont Jean-Jacques Favier que j’ai l’honneur
d’interviewer en 1996 et Michel Tognini rencontré au Festival de l’espace de
Bourges, également en 1996).
Je
me souviens, toujours en 1996, de la discussion avec Albert Ducrocq à l'issue
de la -très solennelle- présentation des résultats de la commission d’enquête
du vol d’Ariane 501, dans la grande salle de l’ESA à Paris. Alors que je lui
présentais un exemplaire du Bulletin Orbite du Cosmos Club de France que
j’avais mis en couleurs avec le logiciel Xpress, il s’est exclamé dans la salle
encore silencieuse : "Ha ! Ce serait vraiment une bonne idée
d’imprimer le bulletin de notre club en couleurs, si on en avait les
moyens !" Tout le monde s’est alors retourné et certains ont eu un sourire
en voyant qui venait de rompre le recueillement de cette réunion de la plus
haute importance.
A gauche : Valéry Poliakov de passage en France au
symposium médical Essilor de juin 1995,
2 mois seulement après son retour sur Terre (photo
collection J.-F. Pellerin)
Au centre : photo dédicacée de l'astronaute
Jean-Jacques Favier
A droite, avec l’astronaute
Michel Tognini au Festival de l’Espace de Bourges en 1996, après une interview
(photo Pif)
Ce
type de question est extrêmement difficile, on pourrait retenir tellement
d’images ! Mais la première photo que je sélectionnerais serait la vue de
Titan, satellite de Saturne, événement se situant à 1,2 milliards de
kilomètres de la Terre.
Je
choisirais ensuite une vue de décollage de la fusée Ariane 5 ECA, devenu
le poids lourd des lanceurs spatiaux commerciaux.
Je
suis admiratif de la jeep lunaire qui permit à l’homme de faire des escapades à
17 km/h sur le sol de la Lune -une prouesse symbolisant la liberté de
l’homme qui découvre qu’il est possible de rouler sur un autre monde. Peu
savent que la commande permettant aux astronautes de diriger (faire avancer,
tourner et freiner) leur véhicule a permis de développer un véhicule pour
handicapés. Sur une idée de l’Américain Tom Wertz (tétraplégique),
l'Unistik 1 est apparu en 1981, grâce aux efforts de la NASA et de la
firme automobile Ford pendant 10 ans. On retrouve son joystick aujourd'hui
partout : à bord d’avions, sur les jeux vidéos, sur la plupart des
fauteuils électriques d’handicapés et sur les véhicules aménagés.
Essais du LRV sur la Lune et préparation du tableau de bord
au sol
Mon autre objet fétiche est le rover Sojourner, qui effectua ses tours de roue dans la poussière de Mars 25 ans plus tard, symbolisant un robot sur la planète rouge, en attendant les escapades de Spirit et Opportunity, qui n’en finissent pas de rouler en battant tous les records.
Comme
beaucoup, je rêve d’aller un jour dans l’espace ! Mais, plus modestement
déjà, j'aimerais assister au retour de l’homme sur la Lune puis de le voir
aller sur Mars. J’aimerais vraiment aussi voir enfin l’Europe devenir une
grande nation capable d’envoyer des hommes dans l’espace, ce serait le juste
minimum (l’Europe possède un PIB plus important que celui des Etats-Unis et
beaucoup plus d’habitants mais des budgets spatiaux 7 fois moins élevés).
On imagine pas une Europe qui investirait 7 fois moins dans ses avions
Airbus que Boeing (alors aux politiques de comprendre ce message lancé par un
magazine astronautique francophone). En fait, il nous faudrait un nouveau John
Kennedy (lui qui savait dire : dans l’espace, ce qui fascine l’homme,
c’est l’homme !) et si possible à la tête d’une "vraie" Europe
politique et spatiale d’envergure et avec des personnalités comme Albert
Ducrocq pour continuer à générer de telles forces de conviction qui ont su
insuffler l’enthousiasme chez nous tous. La création d’un solide parti
politique européen assurant la promotion de l’Europe spatiale et permettant aux
Européens d’y adhérer, serait aussi une idée à creuser...
Pour
moi, Gagarine, c'est le courage d’avoir été le premier à effectuer un vol
spatial, avec un facteur de risques élevé, puisque sa fusée n'était pas
vraiment fiable pour ce vol. Sa mort en 1968 ne fût malheureusement pas la
grande sortie honorable qu’il aurait certainement méritée. A l’image d’un John
Glenn qui revola dans l’espace à 77 ans, nous aurions peut-être pu
assister à un vol de Gagarine à bord de la station Mir ou de la navette
spatiale. Ou mieux encore : imaginez s’il avait pu revoler dans l’espace
en 2011 avec le système Klipper, âgé de 77 ans, à l'occasion du 50e anniversaire
de son premier vol avec John Glenn présent dans les tribunes âgé de
90 ans… Le scénario est un peu fou mais quel événement symbolique,
non ?
Que représente pour vous la station Mir ?
Mir, 5 ans après sa perte et
sa rentrée dans l'atmosphère, reste le symbole d'un savoir-faire unique des
Russes : la capacité d'avoir pu mener des vols spatiaux de très longue
durée sur orbite. Ce fut le cas de Youri Romanenko (resté 326 jours dans
l'espace), de Vladimir Titov et Moussa Manarov (366 jours), de Valéri
Poliakov (438 jours)... Ces vols de
longue durée ont apporté une moisson de connaissances extraordinaire en
médecine spatiale.
Mir, ce fut 15 ans de prouesses impressionnantes et le début d’une présence internationale dans l’espace. On se
souvient aussi de l'année 1997 (incendie à bord puis grave dépressurisation du
module Spectre courant de l'été). Malgré tout cela, les hommes ont tenu, Mir
aussi et jusqu'à ce 23 mars 2001.
Mir a
enfin permis de breveter et transférer de nouvelles technologies, telles le
Plasmer, système assurant le brassage de l’oxygène et le contrôle
microbiologique de l'air ambiant à bord à partir de 1997. Ce dispositif
maintenant appelé Immunair est utilisé dans les hôpitaux (notamment l'hôpital
Necker des enfants malades) pour venir en aide à ceux qui souffrent d'une
déficience du système immunitaire, grâce à l’entreprise française Air in Space.
Une belle application, qui permettent à des éléments de Mir de continuer à leur
manière de prolonger la vie de la station sur notre bonne vieille Terre !
Merci, Jean-François Pellerin !
La semaine
prochaine (lundi 19 juin 2006) : Serge Chevrel