LES INVITES DU COSMOPIF |
N°148 (mercredi 9 mai 2007)
Qui
êtes-vous, Franck Marodon ?
Je
suis né le 23 janvier de l’an de grâce 1975 en la bonne ville de
Clermont-Ferrand d’où fut prêchée la première Croisade…
Concile de Clermont d'où le Pape Urbain II lança la
première Croisade en 1095
Après
mes études, j’ai d’abord travaillé en tant que scientifique du contingent
(service national) dans une PME qui conçoit et produit des avions légers et
ULM. J’ai ensuite essayé de travailler au centre technique de l'Agence spatiale
européenne (ESTEC) en tant que Young Graduate Trainee pour mettre à profit mes
connaissances de mécanique du vol au profit du spatial, à l’époque sur le
X-38/CRV américano-européen. Mais, entre ma décision de postuler et les
entretiens, le programme avait été annulé entre temps. Un de plus… Ne pouvant
réaliser mon odyssée de l’espace personnelle, je suis donc allé travailler de
2001 à 2006 sur l’Airbus 380 et l’avion de transport militaire A400M à
Toulouse.
Je
travaille depuis février 2006 à la Délégation générale pour l’armement sur des
histoires de systèmes de drones (avions sans pilote), principalement pour des
missions d’observation. La salle de contrôle d’un système de drones évolué
pourrait ressembler à bien des égards à celle d’une mission spatiale en fait,
et on s’en sert un peu comme d’un satellite, à ceci près qu’on l’amène à peu
près là où l’on veut alors que l’autre défile selon les lois de la mécanique
céleste. Par ailleurs, l’essentiel des démonstrateurs technologiques de
véhicules aérospatiaux de toutes sortes sont aujourd’hui sans pilote (X-43),
plus petits, moins dangereux, moins coûteux en principe aussi. Peut-être qu’un
jour prochain nous verrons voler des drones martiens…
Tout
ce qui quitte le plancher des vaches m’intéresse. Cela a commencé par l’espace
à travers la science-fiction mais je n’arrive pas vraiment à identifier un
déclic précis. Star Trek ? Galactica ? Ulysse 31 ? Je me
souviens simplement que tout petit, je dessinais des vaisseaux gigantesques, à
l’échelle de l’Enterprise, du Galactica ou de l’Odysseus (Ulysse en grec). Ca
n’est qu’après, adolescent, que j’ai découvert le lien entre l’espace et
l’aéronautique à travers "L’étoffe des héros" et que j’ai commencé à
être passionné aussi bien par le spatial que l’aéronautique.
Aujourd’hui,
je suis membre du Conseil d’administration de l’association Planète Mars, où je m’intéresse surtout
à des aspects techniques et fais quelques interventions pour le public, en
espérant pouvoir monter des projets "martiens" avec des étudiants
(rover pressurisé, manipes sur la pesanteur artificielle, aréonefs -
devinez ce que c’est !). Je m’intéresse à la conception/construction
amateur dans le cadre de l’association Inter-action
où je suis assez actif et, au-delà de projets de petits avions, nous
réfléchissons avec certains membres à des choses plus exotiques comme le vol à
grande vitesse ou le tourisme spatial.
J’ai
eu la chance de pouvoir apprendre à piloter (ce que je fais toujours, avec
beaucoup de plaisir) et j’ai hésité un moment entre "mettre le
paquet" pour voler en tant que pilote militaire ou civil et poursuivre une
carrière dans l’ingénierie. En fait, je voulais faire les deux, ayant eu la
chance de pouvoir m’y essayer durant mes études (à un petit niveau), mais
l’opportunité de marier ces deux passions ne s’est pas présentée pour le
moment ! L’image du pilote d’essai ou de l’ingénieur navigant représente
l’idéal professionnel pour moi, plus que le pilote de chasse en fait, et c’est
vraiment dans un cadre technique plutôt que purement militaire ou commercial
que j’aimerais voler. Je m’efforce de continuer à apprendre côté pilotage en
m’essayant à de nouvelles activités tout en menant ma carrière technique. Un
jour, peut-être…
Je
me souviens d'une bonne anecdote et d'une formatrice.
La
bonne : une chaude soirée d’été au Space Camp de Cannes-Mandelieu avec une
trentaine de petits bonshommes en combinaison bleue étendus sur des gradins
couverts de moquette épaisse. Après une journée de simulateur Hermes,
centrifugeuse et fauteuil 3-axes, c'était le début de la projection de
"L'étoffe des héros" de Philippe Kaufman. Le toit de l’auditorium
s’ouvrait sur les étoiles. Merci à Patrick Baudry, Philippe Droneau et
toute la fine équipe de ces années-là, Il n’y a pas de meilleur incubateur de
vocations que ce genre d’initiative. Ce serait fabuleux que la Cité de l’espace
de Toulouse reprenne ce rôle d’encadrement des jeunes autour du spatial. Mais
encore faudrait-il qu’il existe un projet européen d’envergure en matière de
vol habité (et pas un Hermes bis : tourner pour tourner, ça n’est plus suffisant !).
A Planète Mars, nous avons quelques idées sur la question…
Affiche américaine de L'étoffe des héros (The
Right Stuff) de Philip Kaufman (1983)
La
formatrice : un vol d’apprentissage, une des trois navigations
"solo" à effectuer pour avoir son brevet de pilote privé. Avec juste
une trentaine d’heures de vol en poche, un vol Coulommiers-Orléans et retour.
Une branche aller sous un soleil d’hiver magnifique. Coup de tampon à la tour
d’Orléans, prise de météo pour le retour -rien à signaler-, départ vers le
Nord. Puis… pris dans la mélasse et les giboulées sans avoir rien vu venir.
Avion non dégivré (je ne savais pas ce que c’était - de toutes façons, j’aurais
du monter au dessus des nuages et demander de l’aide à la radio) mais trop
occupé pour paniquer (à quelques dizaines d’heures de vol, on ne sait rien,
alors on se raccroche à la méthode). Juste assez de visibilité entre le bord
d’attaque de l’aile et le flanc du DR400 pour voir le sol. La carte dit qu’il y
a une ligne haute tension qui vient du massif central et passe juste à côté de
Nangis. 15 ou 20 minutes qui semblent des heures à suivre le fil d’Ariane
et les tempes qui battent. Sorti de la mélasse comme d’un mur dans le grand
beau temps. Kiss landing à Coulommiers et un papa à la mine décomposée.
Impossible de décrire le sentiment de plénitude que l’on ressent dans les
quelques jours qui suivent ce genre d’épreuves, la beauté du monde et la bonté
des gens, le bonheur de vivre simplement. J’ai au moins appris une chose, c’est
que je ne réagissais pas trop mal au stress, là où certains paniquent et
d’autres deviennent comme tétanisés. Sans cet épisode que je ne souhaite à
personne, je me connaîtrais moins bien. Tant qu’il n’y a pas mort d’homme, rien
ne vaut de se prendre la tête.
Comme je l'expliquais plus haut,
petit, je dessinais des vaisseaux gigantesques. Je choisis donc cette
illustration de l'artiste anglais Chris Foss.
Merci à lui de m’avoir fait tant rêver !
Je retiens le V2 nazi. Allez
visiter le centre d'histoire et de mémoire de La Coupole du côté de Saint-Omer,
dans le Nord. Vers 1943, l’organisation Todt y construisit un Bunker d’une
technologie impressionnante et
quasi-indestructible, qui devait servir "d’étoile de la mort" pour
tirer des armes d’une technologie "d’un autre monde" pour ainsi dire.
Tous les principes de la fusée moderne étaient là : moteurs à turbopompes
et guidage inertiel autonome, alors que la campagne environnante ne comportait
sans doute que quelques tracteurs diesels à tiroir et sans doute très peu
d’automobiles.
N’oublions
jamais que l’ère spatiale technologique a démarré il y a plus de
soixante ans dans la barbarie et pour des raisons politiques. Les
descendants les plus directs se nomment Ariane, Atlas, Titan ou Soyouz
(également un missile intercontinental) mais surtout aujourd’hui Scud, Shaheen
ou Taepo-Dong.
V2 exposé au Royal
Air Force Museum de Hendon, dans la banlieue de Londres
Photo Richard
Seaman
En
général, une science ou une technologie n’est pas bonne ou mauvaise en
elle-même, cela dépend de ce que l’on en fait et l’Occident n’a pas le monopole
de l’inventivité. Avec le temps, nous ne pouvons qu’être plus nombreux sur
cette planète à pouvoir bricoler des armes nucléaires et missiles de toutes
sortes. Il va nécessairement falloir se calmer et revoir nos modes de vie et de
pensée.
Robert
Heinlein a écrit qu’une fois sur orbite terrestre, on était à mi-chemin pour
aller à peu près n’importe où dans le Système solaire (c’est assez vrai d’un
point de vue énergétique). C’est sans doute plus encourageant comme perspective
d’avenir que de s’envoyer des kilotonnes à la figure. Mais une fois encore, ce
ne sont pas les ingénieurs qui peuvent prendre ces décisions, c’est le politique
par et pour qui l’espace proche a été conquis. Quand Carl von Clausewitz
écrivait "La guerre est la continuation de la politique par d’autres
moyens", il ne fallait pas voir un quelconque cynisme justifié par des
siècles d’affrontements sanglants mais surtout comprendre que la guerre ne peut
en aucun cas tenir lieu de politique. Ce que nous ferons de notre science et de
notre technologie dépendra avant tout des gens que nous choisirons pour nous
gouverner.
J'adorerais
commander une sorte d’énorme rafiot spatial d’un système stellaire lointain à
un autre situé encore beaucoup plus loin (forcément énorme, c’est insupportable
d’être aussi insignifiant à l’échelle du cosmos !). Entre
deux explorations planétaires, j'aimerais passer le temps libre à bord à
jouer de la musique, calé dans un des fauteuil Louis XV du salon de détente,
puis savourer un peu de Sauternes en regardant les étoiles.
Création Pif
Gagarine,
c'est l’innocence et une certaine naïveté même, indispensable pour prendre de
tels risques.
La
conception modulaire de Mir, bien mieux pensée que l’ISS, aurait pu être
appliquée dès les années 70 autour de plusieurs stations Skylab, si les
Américains n’avaient pas mis la Saturn 5 à la ferraille. Il aurait
toujours été temps de s’y rendre en navette plus tard et on aurait débarqué sur
Mars dès les années 80 !
Bip…
Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip… Bip…
Merci, Franck Marodon !
La semaine prochaine (lundi
14 mai 2007) : Roger-Maurice Bonnet