LES
INVITES DU COSMOPIF
N°170
(lundi 5 novembre 2007)
Qui êtes-vous, Laïka ?
Mon vrai nom est Koudryavka
("Petite bouclée", en russe) mais j'ai été rebaptisée Laïka
("Petit aboyeur"), un nom bien plus facile à prononcer (et donc à
retenir). Il rappelle également le nom de ma race, les Laikis, chiens de chasse
nordiques au pelage court de la famille des Spitz, très résistants.
J'ai ouvert aux hommes la voie du
cosmos le 3 novembre 1957 en embarquant à bord du deuxième satellite
artificiel de la Terre, Spoutnik 2, et démontrant qu'un être vivant
pouvait supporter un lancement spatial et quelques tours de Terre à bord d'une
cabine pressurisée…
J'étais alors âgée d'environ
3 ans et pesais un peu plus de 6 kg.
J'ai été
trouvée dans la rue à Moscou en octobre 1957 alors que devaient être préparés
des chiens pour effectuer la première expérience spatiale. J'ai été notamment
appréciée pour mon calme et me suis retrouvée l'heureuse élue, devant
8 autres chiens. J'ai suivi un entraînement d'à peine 3 semaines en
compagnie de ma doublure, Albina, vétérante de deux vols sur fusée-sonde,
et de Moukha, qui servit de "modèle technologique". Il s'agissait de
supporter le port d'une combinaison et d'électrodes, de nous familiariser avec
la "niche" spatiale à l'occasion de séjours de 6 à 10 jours et
de nous habituer à nous nourrir au déclenchement d'un signal sonore avec une
mixture gélatineuse.
Laïka est
"habillée" avant le départ
La capsule
pressurisée qui va l'accueillir est visible à l'arrière-plan
Peu de gens
savent comment s'est réellement déroulé mon vol. L'information n'a
véritablement été divulguée qu'en 1997 par Eugène Ilyn, le directeur adjoint de
l'Institut des problèmes biomédicaux de Moscou, commentant lors d'un symposium
de médecine spatiale mes réactions au cours du vol.
Il apparaît
ainsi que le nombre de pulsations de mon cœur fut multiplié par trois au décollage,
du fait du volume sonore, des vibrations et de l'accélération. Désemparée, j'ai
en effet effectué des mouvements des pattes et de la tête mais me suis bientôt
retrouvée plaquée sur ma couche. A l'arrêt de la phase propulsée, je découvris
la sensation de perte de poids. Mon cœur se mit d'abord à battre
trois fois plus lentement que prévu (par rapport aux expériences menées au
sol avec des accélérations identiques) puis atteignit un nombre de pulsations
légèrement supérieur à celui qu'il avait au repos sur Terre…
Résultats de l'électrocardiogramme
de Laïka avant, pendant et juste après le lancement de Spoutnik-2. Illustration
de la communication d’Eugène Ilyn au symposium NASA-IMBP-CNES de novembre 1997.
Document aimablement transmis par Michel Viso
(CNES).
Alors que les scientifiques
espéraient enregistrer les différents paramètres physiologiques durant la
totalité du vol, les données ne furent correctement reçues que durant 4h30,
c'est-à-dire lors des trois premières orbites. Tandis que la qualité du
signal se détériorait, les ingénieurs constatèrent une dramatique élévation de la
température à l’intérieur de mon habitacle : à la fin de
la cinquième heure de vol, la température avait atteint 41°C, provoquant
ma mort par suffocation. Mais, malgré cette fin prématurée, l'expérience fut
jugée suffisamment probante pour envisager la préparation d'un vol humain…
Ecorché
publié dans Life dans l'espace (Time-Life, 1984) |
t Les trois éléments qui constituent
Spoutnik 2 apparaissent clairement au-dessus du second étage de la fusée
Semiorka : au sommet, le spectrographe ; au milieu, la sphère
contenant les capteurs de pression et de température ainsi que les
équipements radio ; à la base, la "niche" de Laïka. La
sphère du milieu est le modèle de rechange de Spoutnik 1. Le satellite est placé sur une
orbite elliptique un peu plus allongée que celle de son prédécesseur
(225 km de périgée et 1 671 km d'apogée), inclinée de 65,3°
par rapport à l'équateur. La période de révolution autour de la Terre est de
103,7 minutes et la vitesse de 8,15 km par seconde. p Maquette de Spoutnik 2 présentée lors de
l'exposition internationale Terre et Cosmos à Paris, en juin 1958 Photo SIRPA/ECPA |
Je voudrais être originale mais je
dois avouer que la vue de la Terre depuis l'espace reste un souvenir
indescriptible.
Je retiens
Spoutnik 5, lancé le 19 août 1960 pour tester le vaisseau Vostok de
Youri Gagarine. Il transportait deux chiennes, Belka et Strelka,
quarante souris, deux rats et plusieurs espèces de plantes. Tous
purent être récupérés sains et saufs le lendemain du lancement.
Oleg
Gazenko, ancien directeur de l'Institut des problèmes biomédicaux de Moscou,
brandit les
chiennes à l'issue de leur vol
J'aimerais que l'équipage qui se
rendra le premier sur Mars soit accompagné par un représentant de ma
race : ne sommes-nous pas le meilleur ami de l'homme ?
Le lancement de Spoutnik 1 a
précédé le mien d'un mois et tournait encore autour de la Terre au moment de
mon départ. C'est un collègue, un pionnier comme moi ! Saut qu'il n'était
pas fait de chair ni de sang, lui.
Délégation
de chiens devant l'ONU Photo
publiée dans Paris-Match le 16
novembre 1957 Collection
P.-F. Mouriaux |
Au
cimetière des animaux de Villepinte (93) une stèle
est érigée pour les animaux martyrs de la science Photographie
P.-F. Mouriaux |
Timbres de
Pologne, de Roumanie, de l'émirat d'Ajman et du Niger à la gloire de la
première voyageuse du cosmos
Carte du jeu Les cosmonautes
(Gaston Girard, 1966) DR |
Laïka est aujourd'hui le nom de
plusieurs groupes de musique et de nombreuses marques, dont du chocolat et
des cigarettes russes DR |
Affiche d'une soirée musicale
organisée par la radio Oüi FM, qui accueille l'émission Spoutnik DR |
Monument
des conquérants de l'espace à Moscou (1964) Détail du
bas-relief Photo
P.-F. Mouriaux |
Le 9 mars 2005, une
parcelle du sol martien fut baptisée Laïka par les contrôleurs de mission
chargés de suivre le rover Opportunity NASA |
Merci, Laïka !
La semaine
prochaine (lundi 12 novembre 2007) : Jean-Pierre Tourondel