LES INVITES DU
COSMOPIF |
L'invité n°108 (lundi 27 mars 2006)
www.dassault-aviation.com/espace
Qui
êtes-vous, Laurent Gathier ?
Je
suis né en 1953 à Friedrichshafen, au bord du
lac de Constance en Allemagne (où se trouvait le berceau des Zeppelin). Marié,
père de trois garçons, je suis actuellement directeur des activités
spatiales de Dassault Aviation, à Saint-Cloud (92).
J'ai
passé mon adolescence dans la région de Chambéry-Grenoble, une période qui a
été marquée par une intense activité aéronautique puisque j'y ai assidûment
pratiqué l'aéromodélisme et le pilotage (planeurs et avions). J'ai été lâché en
planeur l'année de mes 15 ans.
Ma
première passion pour l'espace a véritablement été le satellite Astérix, lancé
en novembre 1965, alors que j'étais âgé de 12 ans. Je me souviens aussi
avoir regardé le ciel des soirées entières en écoutant une musique titrée
"Telstar". Plus récemment, j'ai découvert le site allemand Heavens Above, développé
par Chris Peat, ingénieur au DLR. Grâce à lui, j'aime guetter un passage de
satellite sur fond d'étoiles.
Le satellite expérimental américain Telstar (lancé le
10 juillet 1962)
et le premier satellite français Astérix (lancé le
26 novembre 1965)
Mes
études ont été guidées par la volonté d'entrer à SupAéro. Ce que j'ai fait à
vingt ans avec déjà 1 000 heures de vol en planeur et en avion,
ce qui n'est pas chose courante. En troisième année, j'ai choisi l'option
Espace (par goût de la nouveauté) et suis sorti diplômé en 1976. Après avoir
fait mes premières armes au CNES à Toulouse et à l'Aerospatiale à Cannes, j'ai
intégré les essais en vol d'avion chez Dassault Aviation, l'industriel français
qui faisait les avions les plus performants. J'ai commencé par le travail de
piste (comme ingénieur électricien pour la préparation des avions) et poursuivi
cette filière jusqu'au poste de chef de programme d'essais en vol,
majoritairement sur des avions du secteur défense. Début 2000, j'ai rejoint la
Direction de l'Espace de la même grande société d'aéronautique et d'y recroiser
tout un monde que j'avais perdu de vue quelques années.
En
dehors de ma famille, qui est ma première passion, j'aime l'aéronautique et
l'espace, dans cet ordre pour rester fidèle à celui de SupAéro. A mon sens,
l'espace ne peut être coupé de son origine aéronautique ni séparé de ses liens
avec l'électronique.
Dans
l'espace, je suis naturellement attiré par les vols habités car il existe une
responsabilité que l'objet inhabité ne requiert pas.
J'aime
aussi les essais en vol car ils vous apprennent que l'on peut avoir des
convictions à un moment et adapter son jugement une heure plus tard car l'essai
nous a rapproché de la réalité.
Ce souvenir d'adolescent en train de vagabonder dans ce ciel étoilé un soir d'été est certainement un fort souvenir. C'était un jalon, je crois.
Hélas, je me souviens également
d'avoir croisé par hasard l'image du retour de la navette américaine Columbia
en février 2003, sur fond de commentaire qui n'avait rien à voir avec la
tragédie en cours. Cela reste aussi un jalon, même si cette tragédie s'oppose
totalement à mes convictions : il faut être positif, il est possible
d'aller dans l'espace avec des hommes et de gérer les risques.
Le vol de Philippe Perrin -dont
j'ai suivi de près l'entraînement à Houston- constitue également est un très
bon souvenir. J'ai raté son envol en juin 2001 mais j'ai reçu un mail de sa
part pendant son vol.
Philippe
Perrin pendant sa sortie extra-véhiculaire en juin 2002
Je choisirais la photo d'un vol humain :
l'espace sans l'homme, ça ne me ressemble pas.
Je retiendrais le rendez-vous au Musée de l'Air et
de l'Espace avec les astronautes français en septembre 2002. Cette journée
était formidable : les astronautes étaient
tous là et partageaient avec les autres leurs impressions. Pour la photo, je pense à celle où je me
trouve aux côtés de Jean-Loup Chrétien, dont nous fêtions les 20 ans de
carrière de cosmonaute. J'ai fait mon service militaire comme appelé
scientifique à l'EPNER et Jean-Loup Chrétien y était l'instructeur avion à la
même période.
Affiche de la rencontre du Musée de l'Air et de l'Espace du
9 septembre 2002
organisée à l'occasion des 20 ans du premier vol de
Jean-Loup Chrétien
Laurent Gathier en discussion au Bourget avec le premier
cosmonaute français
En
vol, ma photo préférée est encore à faire ! En effet, je ne pense pas que
nous ayons encore fait le tour… Peut-être l'image d'une famille dans
l'espace ?
Lors de la mission Apollo 16 (avril 1972), l'astronaute
Charles Duke laisse sur la Lune une photo de sa famille,
entre des traces de pas et de roues du lunar rover
L'avion
spatial Hermes reste indéniablement un objet spatial mythique pour moi. Le
"premier concept" -l'Hermes "léger"- où le transport des
hommes et du matériel était séparé, retient mon attention. Pour l'Europe,
Hermes était un beau projet et une belle vitrine. Et le concept est loin d'être
dépassé, en témoignent certaines études récentes concernant la rentrée
atmosphérique habitée !
L'avion spatial Hermes
J'aimerais
vraiment rapprocher l'homme de l'espace mais au sens physique, comme le
souhaite la Commission européenne : ouvrir l'espace aux citoyens, en
participant à la création du baptême de l'espace. Je ne pense pas que ce rêve
soit fou. Malheureusement le développement du vol suborbital européen pose un
problème de coût non résolu à ce jour. Qui pourra payer cette dépense ?
Mais la motivation est tellement forte, je suis certain que cela se fera… C'est
aussi l'avis de Jean-Pierre Haigneré et d'Alain Dupas avec lesquels nous avons
créé une association pour développer ce projet.
En attendant le développement des vols habités suborbitaux,
des avions tels le Mig-25 permettent de se rapprocher de la
frontière de l'espace
Jean-Pierre Haigneré à l'habillage avant le lancement de la
mission Perseus en février 1999
La
disparition prématurée de Youri Gagarine ne m'a pas permis de rencontrer le
premier homme du cosmos… Mais de cette période des pionniers, je garde un souvenir
particulier pour Valentina Terechkova, la première femme de l'espace.
Que représente pour vous la station Mir ?
C'est
dommage de l'avoir laissée tomber et sa rentrée a été pour moi un événement
triste. Et si on parle de "rêve spatial le plus fou" je verrais pour
le futur un collectif européen, de l'Atlantique à l'Oural bâtir "Mir
2020", une station européenne, à la hauteur de nos objectifs et nos
budgets. Le mythe du "Big is beautiful" n'est pas toujours le
meilleur guide…
Merci, Laurent Gathier !
La semaine
prochaine (lundi 3 avril 2006) : Bernard Lelard