L'invité de la semaine
dernière : Yanomi De
Oliveira
LES
INVITES DU COSMOPIF
N°163 (lundi 17 septembre 2007)
Premier astronaute
scientifique français
Directeur adjoint de la
Prospective et de la Stratégie
à la Direction des
Programmes du CNES
Ingénieur INPG, Docteur Ingénieur, Docteur ès Sciences
Sixième astronaute français (sujet de l'espace
n°349)
Candidat astronaute du CNES en 1985 et spécialiste de
mission de la NASA en 1992
Né le 13 avril 1949 à Kehl (Allemagne)
Marié, 4 enfants
Un vol spatial à son actif : mission
LMS/Columbia STS-78 (16 jours 21 heures et 48 minutes).
Parcours
professionnel
Ingénieur en électrométallurgie de l'Institut
polytechnique de Grenoble en 1971, Jean-Jacques Favier obtient un DEA de
physique du solide en 1972, le doctorat d'ingénieur à l'Ecole des Mines de
Paris en 1976 et un doctorat ès sciences en Métallurgie physique à l'Université
de Grenoble en 1977. Il travaille à partir de 1976 au Centre de Grenoble du
Commissariat à l'Energie Atomique, où il est successivement chef du laboratoire
d'études de la solidification puis Chef de service matériaux et génie des
procédés du Centre d'études et de recherches sur les matériaux (CEREM). Il
propose une dizaine d'expériences de métallurgie et de cristallogenèse en
micropesanteur dont il est le responsable scientifique. Il est en particulier à
l'initiative du programme franco-américain MEPHISTO d'étude de la
solidification d'alliages en micropesanteur qui est embarqué à
quatre reprises à bord de la navette spatiale américaine entre 1992 et
1997.
Jean-Jacques Favier est sélectionné comme astronaute
"expérimentateur" par le CNES en septembre 1985 et retenu par la NASA
en septembre 1992 comme suppléant de la Japonaise Chiaki Mukai,
choisie pour participer à la 2e mission de recherche internationale
IML (International Microgravity Laboratory) à bord du laboratoire Spacelab qui
sera installé dans les soutes de la navette Columbia en juillet 1994 (mission
STS-65). Mis à la disposition du CNES par le CEA, il rejoint le centre Johnson
de Houston pour suivre une formation de spécialiste de charge utile. Durant la
mission STS-65 de 14 jours, il assure le rôle de Crew Interface
Coordinator, l'interface entre les astronautes en orbite et les scientifiques
regroupés au Marshall Space Flight Center de Huntsville (Alabama).
Le centre de
contrôle des charges utiles du centre Marshall à Huntsville
NASA
En 1995, Jean-Jacques Favier est désigné spécialiste charge utile pour la
mission LMS (Life and Microgravity Sciences) du vol STS-78 de la navette Columbia,
qui se déroule du 20 juin au 7 juillet 1996. Il devient le premier
scientifique français de l'espace. La durée atteinte par la navette (près de
17 jours) reste un record jusqu'en novembre 1996 (mission STS-80).
L'équipage de la mission LMS
au sol avant la mission et en vol.
Sur la seconde photo, en
partant de Susan Helms (commandant de la charge utile) en haut au milieu
et en tournant dans le sens
des aiguilles d'une montre, on trouve Jean-Jacques Favier,
Bob Thirsk (spécialiste de charge utile), Kevin Kregel (pilote),
Charles Brady (spécialiste de mission),
Richard Linnehan (spécialiste de mission) et Tom Henricks (commandant).
NASA
Nommé Directeur de Recherche au Commissariat à
l'Energie Atomique (CEA) de Grenoble et Chargé de mission auprès du Haut
Commissaire du CEA en 1997, Conseiller du Directeur des Technologies avancées
du CEA jusqu'en 1999, Jean-Jacques Favier étudie les synergies possibles entre
le CNES et le CEA et coordonne les recherches spatiales du CEA. Il rejoint le
CNES à Toulouse en 1999, en tant que Directeur adjoint des Techniques
spatiales, responsable de l'animation des centres de compétences techniques. Il
poursuit également la coordination des relations entre le CNES et le CEA.
Il est auteur ou co-auteur de 130 publications scientifiques.
Chevalier de la Légion d'honneur, titulaire de la
Grande Médaille des astronautes de la NASA (Space Flight Medal), de la Grande
Médaille de la ville de Grenoble, du second Prix Zellidja de l'Académie
française en 1970, du Prix E. Brun en 1985 puis du Grand Prix Marcel Dassault
de l'Académie des Sciences en 1997.
Membre de l'American Association of Crystal Growth, de
la Société Ffrançaise de métallurgie, du Groupe Français de Croissance
Cristalline, Professeur invité de l'Université de l'Alabama à Huntsville,
membre du Comité de science spatiale de l'European Science Foundation, Chairman
du Space Station User Pannel de l'ESA.
Ski, vélo, tennis, voile et archéologie.
7 questions
à Jean-Jacques Favier
Photo Laurent
Aznar
La naissance de ma vocation pour
l'espace est très précise : Youri Gagarine a volé la veille de mes
12 ans, le 12 avril 1961, et mes parents m'ont offert pour mon
anniversaire le lendemain le livre de Jules Verne "Le tour du monde en
80 jours" avec une petite dédicace disant : "Tu feras partie
de la génération qui le fera en 80 minutes" : c'était très
prémonitoire !
Le vol de Gagarine m'a donc marqué
pour toute la vie même si je ne pensais jamais faire partie d'une telle
aventure. J'ai bien voulu être pilote à un moment mais j'ai trop grandi et mon
cursus professionnel m'a un peu éloigné du domaine. Cependant, quand j'ai pu me
rapprocher du spatial et des vols habités, j'ai tenté aussitôt ma chance. J'ai
ainsi pu être recruté en 1985 dans la deuxième classe d'astronautes du CNES,
aux côtés de Claudie André-Deshays, Jean-François
Clervoy, Jean-Pierre Haigneré,
Frédéric Patat (qui s'est retiré), Michel Tognini
et Michel Viso.
La sélection
1985 de spationautes du CNES.
De gauche à
droite : Jean-François Clervoy, Claudie André-Deshays, Jean-Jacques Favier,
Jean-Pierre
Haigneré, Frédéric Patat, Michel Tognini et Michel Viso.
CNES
C'est amusant de voir que, malgré
tous les tests auxquels j'avais du me soumettre, il avait échappé aux
examinateurs que j'étais trop grand pour le Soyouz. Mais, dès ma première
visite à la Cité des étoiles, force était de constater que je ne pouvais pas
rentrer dans le siège (qui a évolué depuis). J'ai donc concentré mes efforts
sur la navette américaine et ai attendu 11 ans avant d'effectuer mon vol.
Comme quoi, la ténacité doit être la première qualité d'un astronaute…
Lancement
et retour de la navette Columbia lors de la mission STS-78
NASA
Après cette sélection de 1985,
j'avais continué ma carrière de chercheur au CEA. L'avantage était que je ne
tournais pas en rond et que j'avais un travail qui m'intéressait. Mais
l'inconvénient était d'être un peu éloigné des processus d'affectation quand
une opportunité de faire voler un astronaute français se présentait. J'ai donc
décidé d'aller prendre quelques mois sabbatiques au centre Marshall de la NASA
à Huntsville en 1992 et la chance a voulu qu'une sélection de spécialistes de
mission soit lancée au même moment. Je me suis présenté sur place et suis
arrivé dans le peloton de tête. La Japonaise Chiaki Mukai, très
soutenue par son agence, a été désignée titulaire pour la mission IML-2
(STS-65) et j'ai été retenu pour lui servir de doublure. Mon patron de
l'époque, Yannick d'Escatha (aujourd'hui président du CNES), m'a alors autorisé
à rester aux Etats-Unis pour préparer et suivre cette mission :
deux ans dans le Saint des Saints, une expérience extraordinaire que je ne
pouvais pas rater.
Le
commandant de la mission STS-65 Richard Hieb (à gauche), Jean-Jacques Favier
(au centre)
et
la Japonaise Chiaki Mukai se familiarisent chez Boeing avec des équipements
qui
seront embarqués à bord de la navette Columbia en juillet 1994.
NASA
Durant le vol, la NASA
m'a confié le rôle de Crew Interface Coordinator (CIC/APS) depuis le centre de
contrôle du centre Marshall, chargé des communications avec l'équipage pour les
expériences menées à bord du Spacelab (je suis le premier non-Américain à avoir
tenu ce rôle). L'expérience fut passionnante, j'ai passé des heures et des
heures au centre de contrôle, connaissant bien l'équipage qui volait,
connaissant bien les expériences embarquées et les scientifiques qui les
suivaient. Je dormais quasiment sur place et avais l'impression de faire partie
de la mission. La seule différence avec mes collègues, c'est que je n'étais pas
en état de micropesanteur !
Après ce vol, mon contrat avec la
NASA se terminant, j'ai demandé à rencontrer George Abbey, le directeur du centre
de la NASA à Houston (la terreur des astronautes), pour lui demander conseil.
Il m'a reçu et m'a invité à revenir le voir 15 jours plus tard. Là, il m'a
dit : "Restez aux Etats-Unis". J'ai compris que, là peut-être,
j'avais une chance de pouvoir voler [Rires]. J'ai donc trouvé un poste de
professeur associé à l'Université pour patienter ; 6 mois plus tard,
George Abbey me rappelait pour m'annoncer que j'étais titulaire pour la mission
Life and Microgravity Spacelab, sur STS-78. Une
sélection qui n'a pas coûté un sou au CNES puisque j'étais invité gracieusement
par la NASA (l'entraînement des astronautes européens est aujourd'hui facturé)
et toujours payé par le CEA.
Jean-Jacques
Favier avant le lancement de Columbia puis en vol
NASA
Je suis resté aux
Etats-Unis jusque fin 1996, faisant alors le choix de rentrer en France en
famille (mes enfants seraient bien restés…). Rendez-vous compte que, si j'étais
resté, le vol STS-107 était la suite de ma mission ! Le Spacehab avait
remplacé le Spacelab mais c'était les mêmes expériences. Je connaissais très
bien l'équipage (le commandant Rick Husband avait notamment été l'ange gardien
de ma famille durant mon vol). L'accident de Columbia a donc été un très grand
choc.
J'aurais bien aimé
effectuer un second vol, peut-être pour en profiter davantage à titre
personnel. J'ai en effet essayé d'être le plus professionnel possible, tout
comme les Américains qui donnent le meilleur d'eux-mêmes durant la mission
("do the best job"). Aucun astronaute américain ne vole pour faire la
vedette et d'ailleurs tous accèdent à des postes de responsabilité quand ils
quittent le corps des astronautes. C'est assez culturel.
Philippe
Perrin succède à Jean-Jacques Favier à l'entraînement à Houston en 1996
Le choix est difficile,
les souvenirs sont fort nombreux. Plusieurs choses m'ont en tous cas surpris
durant l'entraînement.
D'abord, je pensais que
pour être astronaute, il fallait vraiment être exceptionnel, avoir une santé de
fer et être quasiment un sportif de niveau olympique. Ce n'était évidemment pas
le cas pour moi, même si je pratiquais du sport régulièrement. Or quand j'étais
à la NASA, nous étions 140 et je peux vous dire qu'il y avait tous les profils,
même des petits bedonnants. On est davantage jugés sur notre capacité à
intégrer un certain nombre d'informations très vite, comprendre vite, anticiper
et l'entraînement y contribue énormément.
Il y a ensuite tous les aspects de
psychologie, individuelle et collective, auxquels la NASA est très attentive.
Passer devant un psychologue, c'est déjà pas marrant en France mais, quand il
s'agit de raconter votre petite enfance ou vos petits problèmes à un Texan,
c'est encore moins évident ! [Rires]
J'en enfin apprécié le fait que
l'entraînement était à la fois très structuré et laissait un certain volant de
liberté dans l'accomplissement des différentes étapes. Pour être qualifié
astronaute, il faut ainsi passer l'équivalent d'unité de valeur (environ
110 tests), comme à la fac, que vous pouvez rater et repasser plus tard.
Il y a ainsi plusieurs tâches autour des systèmes informatiques, des systèmes
hydrauliques, de la mécanique, etc. et chacune doit être maîtrisée dans un laps
de temps défini avant le vol (entre 15 et 12 mois pour l'informatique,
entre 12 et 9 mois pour l'hydraulique). Sur cette base, vous faites donc
vous-même votre programme et vous vous organisez par quinzaine avec le coach de
votre équipe. Chaque unité de valeur comprend un cours théorique (en classe,
sur polycopié ou par travail personnel sur ordinateur) et des travaux pratiques
(tests sur simulateurs). Cependant, plus on se rapproche du vol, plus cette
liberté d'organisation de son entraînement se réduit, notamment du fait des
séances communes de tout l'équipage en simulateur.
Les spécialistes de charge utile de la mission LMS
à l'entraînement en 1995 :
le Canadien Bob
Thirsk (à gauche), Jean-Jacques Favier (au fond),
le Belge Vladimir Pletser
(au centre) et l'Italien Luca Urbani
L'événement qui m'a le plus remué,
c'est sans conteste Armstrong sur la Lune en juillet 1969. Nous n'avions pas la
télévision à la maison, comme la moitié des Français à l'époque, mais je l'ai
vu en direct chez mon oncle. C'était une très belle nuit d'été durant laquelle
on voyait très bien la Lune et je passais mon temps à sortir dehors à la
regarder et en pensant "Quand même, il y a un mec qui marche
là-haut". C'était vraiment un moment exceptionnel, un grand saut pour
l'humanité.
Il y a également tout un spectre
de réponses possibles mais je pense que c'est la fusée Saturn 5 - je ne
dois pas être le seul à répondre cela [Rires] - La navette, c'est vraiment très
beau, c'est unique et grandiose mais Saturn 5, c'est inouï. Ses dimensions
sont extraordinaires ; on peut faire le tour des trois qui restent et, à
chaque fois, je me demande comment une telle masse a pu décoller. Et puis son
développement en 8 ans reste unique, je ne sais pas si on connaîtra un
jour un tel engouement pour le spatial…
Assemblage
d'une fusée lunaire dans le VAB de Cap Kennedy
NASA
Je m'efforce aujourd'hui à ce que
les vols habités continuent à avoir leur place dans le programme spatial
européen, dans la perspective pour le siècle qui vient du débarquement de
l'homme sur Mars.
Vue
d'artiste du programme d'exploration Aurora de l'Agence spatiale européenne
ESA
En tant que scientifique, avec mon
laboratoire du CEA à Grenoble, j'ai fait voler pas mal de manips sur les
stations russes. En 1978, j'ai été le premier scientifique européen à faire
voler des expériences sur Saliout-6. En 1982, j'avais travaillé sur le vol de
PVH de Jean-Loup Chrétien à bord de Saliout-7.
Merci, Jean-Jacques Favier !
Mallette
pédagogique "Poids Coq" élaborée par l'ANSTJ (ex-Planète Sciences)
et
embarquée par Jean-Jacques Favier à bord de Columbia en juin 1996.
Elle est
aujourd'hui exposée au Musée de l'Air et
de l'Espace.
La semaine
prochaine (lundi 24 septembre 2007) : Nicolas Pillet