L'invité de la semaine
dernière : Jacques
Tiziou
LES INVITES DU COSMOPIF
N°25 (lundi 17 mai 2004)
Jean-Luc Dauvergne
http://astrosurf.com/eternity
et http://jld-photo.com
Qui êtes-vous, Jean-Luc Dauvergne ?
Je
suis journaliste débutant. Et étudiant finissant. Né en 1977 à Melun, une
passion envahissante m’anime depuis maintenant 15 ans : l’astronomie.
Un
temps, je rêvais de devenir chercheur mais la réalité est parfois loin des
rêves de jeunesse. Ainsi, je me faisais une image idyllique voire romantique du
métier d'astronome, rêvant de passer des nuits entières sous les coupoles des
plus grands observatoires du monde. Mais, en grandissant et en avançant dans
les études, j'ai un peu déchanté. Entre les difficultés actuelles de la
recherche fondamentale, le fait qu'il faille étudier les maths et la physique
durant 4 ans sans aborder le cœur du sujet, le manque de terrain dans le
métier d’astrophysicien ou encore l'automatisation de plus en plus importante
des observations, j'ai trouvé le tableau trop éloigné de l'idée que je m'en
faisais. Alors, les méandres de la vie et les rencontres aidant, j'ai
finalement trouvé ma voie dans la médiation scientifique. Et aujourd'hui, j'ai
à cœur de populariser et vulgariser l’astronomie. Dans cette perspective, le
journalisme scientifique est donc un terrain de choix. Actuellement, je
collabore avec la revue Ciel et Espace
(sur les éphémérides et des tests de matériel) et plus occasionnellement avec Science et Vie
Découverte.
Je
vis actuellement à Paris. Mais dès que je pourrai, je mettrai cap vers le Sud
pour fuir la météo et la pollution lumineuse locales.
Après un bac scientifique, je me suis orienté vers les
sciences de la matière, obtenant un Deug à l'université de Pierre et Marie Curie (Paris-7). Peu
convaincu par le système universitaire, j'ai malgré tout beaucoup apprécié de
pouvoir y suivre en option des cours d’aéronautique et de passer mon brevet de
pilote de planeur à moindre frais. Ayant ainsi découvert une nouvelle passion,
le vol, je me suis décidé à passer les brevets théoriques de pilote de ligne
dans la perspective de rentrer à l’école nationale de l'aviation civile. Mais
il fallait d'abord être libéré de mes obligations militaires. J'ai donc
effectué en 2000 mon service civil au sein du secteur Astronomie de
l'association Planète Sciences
(alors appelée ANSTJ). Hélas, les critères d’admission au concours de l'ENAC ont
pendant ce temps changé, réglementation européenne oblige : il faut
désormais posséder des brevets européens et non nationaux… Nous étions nombreux
dans ce cas, certains ont fait le choix de persévérer. Pour ma part, voyant
tous ces efforts réduits à néant, je décidai alors de me tourner vers autre
chose. Après de longues hésitations, j'ai fini par avoir vent d’une
licence/maîtrise de journalisme scientifique à Jussieu. Enfin une idée qui me
séduisait ! Après avoir réussi la sélection à l’entrée, ironie du sort, je
me retrouvai de nouveau sur les bancs de Jussieu. Mais je trouvai cette fois
l’ambiance et l’état d’esprit bien différents.
Voilà
où j’en suis aujourd’hui : je finis ma maîtrise cette année et commence à
me lancer dans le monde professionnel.
Ma
passion dévorante pour l’astronomie est née au sommet d’une montagne, un beau
jour de l’été 1989. Et pas n’importe quelle montagne, puisque ce jour-là mes
parents m’avaient emmené visiter l’observatoire du Pic du Midi de Bigorre, dans
les Pyrénées. Sitôt redescendu, une carte du ciel dans la main et la paire de
jumelles de mon père dans l’autre, je commençai à arpenter le ciel : je ne
sais ni comment ni pourquoi mais ça avait fait "tilt !" Depuis
ce jour, je n’ai de cesse de m’émerveiller devant la beauté et les mystères du
ciel. S’ensuivirent l'acquisition d'une petite lunette, d'un petit télescope
puis d'un plus gros. J’ai appris beaucoup de choses grâce à des stages à l’observatoire
d’Aniane, des séjours à Puimichel sur le télescope de 1 mètre et de
nombreuses rencontres. Pour transmettre ma passion, j’ai fait des séjours de
vacances en tant qu'animateur astro, des interventions en milieu scolaire et
j’anime régulièrement en week-end le planétarium du Musée de l’Air et de
l’Espace. Bref, des activités très orientées et principalement dédiées à cette
passion et l’envie de la partager.
C'est
avec Planète Sciences que j'ai effectué le plus d'animations en astronomie.
Mais j'ai pu me rendre compte des difficultés du milieu de l'animation
socio-culturelle, les compétences ne sont pas valorisés et souvent les emplois
sont précaires. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir commencer à vivre de ma
passion à travers le journalisme scientifique. Finalement, cela s’accorde bien
avec mes envies et à ma personnalité.
Enfin,
n’étant pas totalement monomaniaque, j’ai aussi d’autres centres d’intérêts
forts, comme la photographie, l’aviation, le jazz et les amis ! Et,
lorsque cela est possible, je voyage également. A ce propos, je crois que je
suis envoûté par l'Amérique du Sud : depuis décembre 2000, j'y suis déjà
allé trois fois. J'ai vu le Pérou, la Bolivie, le Chili et l'Argentine
(des photos de ces voyages sont visibles sur mon site de photos personnelles).
Mais cette région du monde et si vaste et si belle qu'assurément j'y
retournerai encore !
La vie d’astronome amateur est remplie de nouvelles
observations et de nouvelles expériences. Ainsi, les spectacles que j’ai pu
observer sont énormément variés et plus beaux les uns que les autres !
Parmi les grands événements astronomiques que j'ai pu
observer, il y a eu le "crash" de la comète Schumaker-Levy sur
Jupiter en 1994. Il a été possible de voir les conséquences de l’impact pendant
des mois avec des télescopes amateurs ! Puis, nous avons eu
deux comètes hallucinantes : Hyakutake en 1996 et Hale-Bopp l’année
suivante. Les deux astres chevelus étaient visibles à l’œil nu, même en pleine
ville !
Mais le phénomène qui m’a sans doute le plus impressionné,
c’est l’éclipse totale de Soleil du 11 août 1999, observée depuis la
charmante station balnéaire Veules-les-Roses, en Normandie : nous avons
vécu alors deux minutes inénarrables. Tout ce que je peux dire, c’est que
j’ai subi un choc tel que, quelques minutes après le phénomène, j’en ai pleuré
et je n’étais pas le seul. Nous avions tellement attendu ce moment, nous
l’avions tellement préparé. Puis vint le temps de l’angoisse, à pester contre
tous ces nuages qui envahissaient le ciel ce jour-là. Finalement, quelques
minutes avant, un trou laissait la place au Soleil et là, le spectacle surpassa
tout ce que nous avions pu imaginer. Une éclipse, il faut la voir pour se
rendre compte à quel point cela prend aux tripes !
Deux minutes d'extase
Photo Jean-Luc Dauvergne
Plus récemment, le 6 avril 2000, j’ai eu la
chance d’assister à un spectacle bien rare sous nos latitudes. En début de
soirée, je m’étais rendu à l’observatoire Jean-Marc Salomon de Planète Sciences,
au Sud de la Seine et Marne, près de Fontainebleau, pour observer une
conjonction entre planètes assez inédite. Mais vers 23 heures, n’ayant pas
pris de quoi me couvrir ni de quoi manger, j'ai décidé de rentrer chez moi et
de finir la soirée au chaud devant la télé. Quand, vers 0h30, un ami resté à
l'observatoire m'a appelé : "Va dehors, vite, il y a une
aurore !" Je suis donc sorti, ai regardé tout d’abord au Sud :
rien ! Puis en tournant ma tête vers le Nord, je vis le ciel tout drapé de
rouge, presque jusqu’au zénith. Le spectacle a été intense pendant un quart
d’heure mais il s’est ensuite prolongé de façon plus modéré une bonne partie de
la nuit. Une aurore est vraiment un spectacle très étonnant à observer, cela
fait partie des moments où l'on se sent tout petit, au milieu d'une nature si
vaste et de phénomènes si gigantesques… Plus tard, en développant mes photos de
la conjonction que j'avais observée en début de soirée, je me suis rendu compte
plus tard que le ciel était déjà rougeoyant en tout début de nuit. Mais le
phénomène n’était pas encore visible à l’œil nu.
L'aurore du 6 avril 2000
photographiée par Thierry Lambert à Gretz (77) - Voir http://thierrylambert.free.fr/aurore.html
Un autre grand moment fut la visite en décembre 2000 avec
Alain Maury du Very Large Telescope, ce grand observatoire européen installé au
Chili et équipé de quatre télescopes de 8,2 m de diamètre. Lorsque
l’on rentre dans une coupole, on est littéralement écrasé par les dimensions de
cathédrale de ces instruments. Et on se dit qu'on est dans le Saint des
Saints : le plus haut lieu de l’astronomie au monde…
Au Nord du Chili, quatre grands télescopes de plus de 8 mètres de diamètre
installés sur le sommet arasé d'une montagne de 2 635 m de haut
En fait, tous les observatoires ont leur charme. J’ai eu
l’occasion de faire des missions à l’observatoire de Haute Provence pour
accompagner des groupes de lycéens de Planète Sciences ou plus récemment d'effectuer
une "mission" au Pic du Midi (en septembre 2003), où nous avons vécu
une semaine de beau temps et de folie. Imaginez : voir Mars encore si
proche de la Terre dans le télescope de 1 mètre de l’observatoire,
l’instrument métropolitain le plus performant en observation planétaire !
Et puis au Pic, l’atmosphère est tellement stable qu'il est possible d’accéder
à des détails sur les planètes et la Lune qu’il est impossible de voir dans
beaucoup d’autres sites. On comprend alors la magie qu’on vécu des gens comme Audouin Dollfus
lorsqu’il observait des nuit entières Mars, Jupiter ou Saturne, l’œil rivé à
l’oculaire : à vous faire oublier le froid glacial des Pyrénées !
Le
choix d'une seule image est difficile à faire, le ciel recelant tant de
beautés. Les télescopes ou les sondes spatiales nous délivrent en permanence
des images époustouflantes.
Un
peu par hasard, je retiendrai donc trois images : le crash de SL9 sur
Jupiter vu par le télescope spatial Hubble en 1994, une des nombreuses images à
couper le souffle que le satellite Soho nous
délivre du Soleil presque en temps réel et l'une des superbes vues du VLT. Je
trouve d'ailleurs dommage que l’Europe ne
communique pas davantage à ce sujet et ne s'inspire pas des efforts fournis en
ce sens par les Américains…
Bombardement sur Jupiter en 1994 observé par le télescope
spatial Hubble
Notre plus grande
centrale nucléaire naturelle surveillée en permanence par l'observatoire
spatial Soho
La nébuleuse Dumbell (M27) observée par le VLT de l'ESO
(European Southern Observatory)
De même que pour les images, ce n’est pas évident de retenir
un seul objet. Mon choix pourrait être la lunette de Galilée. Elle est modeste,
son objectif de 3 cm de diamètre n’étant pas plus grand que celui d’une
petite paire de jumelles. De plus, sa qualité optique est médiocre. Bref, elle
n’a rien pour plaire. Et pourtant, cet objet désuet a littéralement
révolutionné l’histoire des sciences et notre vision du monde !
Imaginez : nous sommes en 1609 en Italie. La Terre est considérée comme le
centre de l’Univers et le ciel, parfait, est le domaine du Divin. Dans ce
contexte, Galilée pointe sa petite lunette vers le ciel et découvre alors qu’il
y a des montagnes sur la Lune et des taches sur le Soleil : ces astres ne
sont donc pas parfait ! De plus, en observant Jupiter, Galilée découvre
4 lunes satellites qui tournent autour : la Terre n’est pas le centre
de tout, Copernic avait raison ! Et bien d’autres découvertes, qui
valurent à l'astronome les ennuis que l’on sait avec l’église. Quoi qu’il en
soit, rarement -pour ne pas dire jamais- dans toute l’histoire des sciences
autant de découvertes ne furent réalisées en si peu de temps et par un seul
homme ! Et ce, simplement au moyen de ce petit instrument, ce qui en fait
un objet bien attachant.
La lunette de Galilée (Florence, 1609), le premier
instrument d'optique destiné à l'astronomie
Que représente pour vous le personnage de Gagarine ?
Je
possède peu d'éléments sur Gagarine et son exploit. L'homme m'apparaît donc de
loin comme un militaire qui n'avait pas froid aux yeux. Il a ensuite été
complètement idéalisé pour devenir une sorte de mythe romantique à la Che
Guevara (du moins en Russie). Sa mort tragique ne fait que renforcer ce
sentiment. Mais au delà de ça, Gagarine est pour moi l'un des hommes les plus
importants de l'histoire de l'humanité. Il est en effet dans notre nature
d'explorer toujours plus loin. Aller dans l'espace, c'est pour moi un événement
aussi fort -voire plus- que la découverte des Amériques. Gagarine est l'emblème
de cette conquête. Mais quelque part, il est injuste que tout le mérite lui
revienne : d'autres pilotes auraient pu partir à sa place, il n'était pas
irremplaçable. Et on peut se demander si sans Sergueï Korolev cette prouesse
aurait été réalisée. A mon sens donc, l'icône Gagarine masque le non moins
méritant constructeur principal soviétique. Il s'en est fallu de peu pour que
les Etats-Unis doublent l'URSS dans cette course au premier homme dans l'espace
et, sans le génie de cet homme assez méconnu, les choses auraient sans doute
été tout autres.
J’ai déjà la chance d’avoir concrétisé de nombreux rêves en
astronomie. Mais puisqu’il faut être fou, allons-y ! Les plus gros
télescopes professionnels coûtent très cher en exploitation. De ce fait,
presque personne ne peut "jouer" avec ; faire de l’observation
visuelle avec le VLT ou un autre grand télescope de cette catégorie serait donc
sans doute l’un de mes rêves les plus fous…
Merci, Jean-Luc
Dauvergne !
La semaine
prochaine (lundi 24 mai 2004) : Michel Viso