LES INVITES DU
COSMOPIF |
L'invité n°119 (lundi 19 juin 2006)
Astronome-planétologue à
l'Observatoire Midi-Pyrénées
www.obs-mip.fr
Photo Pif
Qui
êtes-vous, Serge Chevrel ?
Je
suis né à Rabat le 4 janvier 1956. Mes parents étaient installés au Maroc
mais mes origines sont plutôt normandes. A notre retour en France en 1964, nous
nous sommes installés à Toulouse, afin de ne pas être trop dépaysés par le
climat.
Aujourd'hui
astronome-planétologue à l'Observatoire Midi-Pyrénées, au laboratoire de
Dynamique Terrestre et Planétaire. Je suis spécialiste de la Lune et de Mars.
80% de mes recherches portent sur la Lune, plus particulièrement sur le
volcanisme, les problèmes de formation et d'évolution de la croûte et sur le
régolite. Je travaille essentiellement sur des données de télédétection
spatiales, principalement issues des missions Clémentine et Lunar Prospector.
Avec mon ami Guy Anduze, j'ai créé en 1994 l'association Apollo 25 (nous
fêtions alors les 25 ans du premier pas sur la Lune), que je préside
toujours. Un peu en sommeil actuellement, l'association organise régulièrement
des conférences grand public sur l'astronautique. Nous avons notamment
accueilli le moonwalker JohnYoung à Toulouse en décembre 1998 et le
représentant de la NASA en Europe et ancien astronaute Jeffrey Hoffman en mai
2000 à Carcassonne. Nous avons surtout réalisé deux expositions de
photos : la première, "L'odyssée Apollo", regroupe une sélection
d'images des missions Apollo sur la Lune et la seconde, "EVAsion",
présente l'aventure des sorties extravéhiculaires d'astronautes.
Avec Claude Mettra
et Christian Arsidi, je viens de publier Au clair de Lune aux éditions
du Rouergue/Le Pérégrinateur.
Serge Chevrel en conférence à la Cité de l'Espace de
Toulouse le 19 novembre 2004
pour les 10 ans de l'association Planète Sciences
Midi-Pyrénées
En
plus de ma passion pour la Lune et l'espace, je fais pas mal de photographie
(reportage et graphisme), de la vidéo (réalisation de clips) et pratique
occasionnellement le parapente.
Je
suis passé par la géologie (licence et maîtrise à Toulouse) puis un DEA de
cristallographie en 1982. Ensuite, ça c'est compliqué car le domaine de la
planétologie n'existait pas à l'époque. Je suis alors parti 5 ans au
Pakistan en coopération puis ai vadrouillé en Inde, ai été GO au Club Med', ai
été barman, tout en mûrissant mon sujet de thèse que j'ai commencée en 1987 et
soutenue en 1990 dans mon laboratoire actuel. Le sujet était la caractérisation
de la composition de la surface lunaire par imagerie à détecteur CCD. J'ai été
le premier à effectuer de l'imagerie multispectrale de la Lune à l'aide de
caméras CCD, ce qui était à la fois une première technique et scientifique.
Juste après la thèse, j'ai candidaté au concours pour un poste d’astronome
auprès du Conseil National des Astronomes et des Physiciens et ai été pris à ma
seconde tentative en 1991. J'ai alors rejoint mon laboratoire toulousain, où je
travaille toujours. J'enseigne à la Faculté de Toulouse en 1ère et 2e année
du Master de Géologie/Planétologie et à l'Agrégation (Sciences de la Terre) et
également à la Faculté des Sciences de Nantes.
Ma
passion pour la Lune est aussi ancienne qu'inexplicable. J'ai été très tôt
attiré par la Lune et posais des tas de questions à mes parents dès 6-7 ans. Le
déclencheur a véritablement été les missions Apollo, en particulier la mission
Apollo 8 à Noël 1968, quand j'ai su que des hommes tournaient autour de la
Lune.
Je
m'intéresse également à l'histoire de l'astronautique et aux vols habités, en
particulier les programmes Mercury, Gemini et Apollo. Le côté humain de ces
vols me passionne mais également les techniques des vaisseaux et le détail des
missions.
En plus de l'espace, l'aviation m'intéresse énormément. Cela a commencé par le souhait de savoir quels appareils les astronautes ont piloté. Je m'intéresse à tous les avions de combat depuis les débuts des avions à réaction 1945. Mes préférés : le F-4 Phantom, le F-104 Starfighter et le F-14 Tomcat.
McDonnell F-4
"Phantom II", Lockheed F-104 "Starfighter" et F-14
Grumann "Tomcat"
Je
pense à cette rencontre à Houston en 1996 où je présentais un travail que
j'avais fait sur le régolite lunaire. L'étude portait sur une modification
locale, très énigmatique, de la surface lunaire (des zones brillantes dessinant
des tourbillons, appelées "swirls", nombreuses sur la face cachée de
la Lune). Un gars s'est avancé vers moi et m'a raconté : "Quand je
survolais la Lune, ces formations ont été ce qui nous a le plus
impressionné !" Il s'agissait de Jack Schmitt, le scientifique de la
mission Apollo 17 (décembre 1972).
S'est
engagée une passionnante conversation, aussi bien sur ces aspects scientifiques
que sur la mission Apollo 17. Les informations de Jack Schmitt m'ont été
ensuite très utiles car concernant l’aspect morphologique de ces formations
particulières de la lune, ses observations visuelles étaient plus précises que
celles de toutes les sondes orbitales lunaires.
La formation "Reiner Gamma" près du cratère
Reiner, dans l'Océan des Tempêtes
et l'astronaute Harrison "Jack" Schmitt avant son
départ pour la Lune en décembre 1972
Autre
moment fort : ma visite en 1995 au centre spatial de Houston de la chambre
forte où sont stockés tous les échantillons lunaires.
Conteneur des échantillons recueillis par Neil Armstrong et
Buzz Aldrin en juillet 1969 sur la mer de la Tranquillité.
Ce "trésor" est conservé dans un "coffre
fort" stérilisé et fermé au public au centre Johnson de la NASA à Houston
Photo Pif
Si je devais ne choisir qu'une photo, ce serait un
paysage lunaire pris lors de la mission Apollo 17, qui donne vraiment
l'impression d'être sur place. La voici harmonisée.
Bordure du cratère Camelot dans la vallée de Taurus-Littrow
Forcément,
je choisis un module lunaire ! Celui que j'ai photographié sous toutes les
coutures, c'est le LTA 8A de test qui est exposé à Houston. Le LM est l'objet
qui a permis à l'homme de réaliser son rêve, une machine extrêmement sophistiquée
à l'époque mais qui paraît aujourd'hui rudimentaire, ce qui rend l'exploit
encore plus important. Cela prouve qu'il y avait d'excellents ingénieurs et de
bons pilotes à bord.
Le Lunar
Module Test Article 8 exposé au Houston Space Center, au Texas,
et les
astronautes ayant séjourné à son bord plus de 48h en mai 1968, Jim Irwin
(à droite) et Gerry Gibbons.
Photos Pif
et NASA
L'objectif principal de la mission LTA-8 était de tester le module lunaire dans des conditions similaires à celles rencontrées dans l'espace et sur la Lune, avant le premier vol habité du LM lors de la mission Apollo 9. La simulation eut lieu dans la chambre à vide B du centre spatial Johnson, à Houston. Le test comprenait des simulations de mises à feu de l'étage d'ascension et de l'étage de descente, ainsi que des tests du LM ECS (Environmental Control System). Les PLSS (Portable Life Support System), sac à dos comprenant l'oxygène et tous les systèmes nécessaires à la survie des astronautes sur la Lune, devaient également être mis à l'épreuve. L'équipage eut également à sortir du module lunaire, comme lors d'une vraie mission lunaire.
Je
ne rêve même plus marcher sur la Lune, c'est complètement improbable,
malheureusement ! J'espère en revanche séjourner un jour autour de la
Terre. Trois jours minimum et pas simplement en touriste. L'idéal serait
50 % de travail (réalisation d'expériences) et 50 % de loisirs
(observations de la Terre et de la Lune). Il faut vraiment partager le séjour
entre le rêve et le travail, ce que les astronautes ne font pas assez, par
manque de temps.
J'aimerais
aussi revoir rapidement des hommes explorer la Lune, J’attends réellement cela
avec impatience, cela manque cruellement aujourd'hui à la fois pour des
avancées scientifiques et techniques, mais aussi pour entretenir la part de
rêve des hommes qui est d’explorer l’espace.
Youri
Gagarine, à mon sens, s'est trouvé là un peu par hasard. C'était un pilote, pas
forcément aussi passionné que Neil Armstrong, Buzz Aldrin ou Michael Collins.
Il fallait un certain courage, certes, mais il n'est pas mythique pour moi. De
toute façon, je ne mystifie pas les astronautes, à part peut-être John Young qui
a un eu parcours exceptionnel. Je trouve dommage que Gagarine n'ait pas eu
l'occasion de voler une seconde fois.
Que représente pour vous la station Mir ?
Mir
a été la première grande base humaine autour de la Terre. Il s'agit d'une
prouesse technique qui a duré plus longtemps que prévu. Mir va rester dans
l'histoire, notamment pour son rôle fondateur dans l'occupation
quasi-permanente de l'homme dans l'espace. C'est dommage, comme pour les
modules lunaires, que rien n'ait été rapporté ni conservé ou que la station
n'ait pas été maintenue sur son orbite pour la postérité.
Merci, Serge Chevrel !
Au clair de Lune
avec Claude Mettra, éditions du Rouergue/Le Pérégrinateur, Toulouse, 2005
Photographies de Christian Arsidi
La semaine
prochaine (lundi 26 juin 2006) : Jacques Thiebaut