LES INVITES DU COSMOPIF

 

L'invit� n�94 (lundi 12 d�cembre 2006)

 

G�rard Brachet

Vice-Pr�sident de l'Acad�mie Nationale de l'Air et de l'Espace

www.anae.fr

 

 

 

Qui �tes-vous, G�rard Brachet ?

Apr�s un parcours est assez long que je retracerai dans la question suivante, j�interviens aujourd'hui comme consultant aupr�s de grandes soci�t�s du secteur a�rospatial et d�organisations publiques traitant des questions de politique spatiale.

Je suis �galement membre de l'Acad�mie Internationale d'Astronautique (IAA) depuis 1992 et pr�side la Commission V de l�International Association of Astronauticas (Space Policy, Law and Economics) pour 2006-2007.

En juin 2004, j�ai eu le grand honneur d��tre coopt� pour prendre la pr�sidence du Comit� pour les utilisations pacifiques de l�espace extra-atmosph�rique des Nations Unies (plus connu sous son sigle anglais COPUOS, pour COmmittee for the Peaceful Uses of Outer Space) au cours de la p�riode 2006-2008.

Je suis Vice-Pr�sident de l'Acad�mie Nationale de l'Air et de l'Espace depuis fin novembre 2004 et y pr�side la commission Espace.

Enfin, pour �tre tout � fait complet, je dois ajouter que je suis Officier de l'Ordre National du M�rite et Officier de la L�gion d'Honneur.

 

 

Quel a �t� votre parcours professionnel ?

Dipl�m� de l�Ecole Nationale Sup�rieure de l�A�ronautique (Sup� A�ro) en 1967, j'ai obtenu un Master of Sciences in Aeronautics and Astronautics � l'Universit� de Washington (Seattle, USA) en 1968.

J'ai d�but� ma carri�re comme ing�nieur au Centre National d'Etudes Spatiales en 1970. J'ai ensuite �t� successivement Chef du D�partement Calcul d'Orbites et M�canique Spatiale au Centre spatial de Br�tigny (de 1972 � 1974), Chef de la Division des Programmes Scientifiques au si�ge du CNES � Paris (de 1975 � 1978) puis Chef de la Division des Programmes d'Application (� partir de 1979).

Au cours de cette p�riode, j�ai �t� impliqu� tr�s directement dans la pr�paration et l'engagement de plusieurs programmes spatiaux importants, � la fois au plan europ�en -en tant que d�l�gu� fran�ais dans les instances de l'Agence spatiale europ�enne- et au plan international. En particulier, j�ai eu l�honneur d��tre le signataire fran�ais du programme international de satellites pour la recherche et le sauvetage Sarsat-Cospas en 1979 et par la suite de pr�sider le Comit� Directeur de ce programme.

De 1979 � 1981, j�ai assur� la pr�sidence du conseil directeur du programme d'observation de la Terre de l'ESA. J�ai ainsi pu apporter ma contribution � la d�finition des programmes de satellites radar d'observation de la Terre ERS-1 et ERS-2. Surtout, j�ai �t� impliqu� tr�s directement dans la d�finition et le d�veloppement du programme fran�ais de satellites d'observation optique Spot. Depuis la d�cision d�engagement du programme en 1978, je me suis occup� personnellement en 1981-1982 de la cr�ation de la soci�t� charg�e de la commercialisation des images de ces satellites.

J�ai �t� de 1981 � 1989 Pr�sident de la Soci�t� Fran�aise de Photogramm�trie et de T�l�d�tection et ai eu l�honneur de recevoir en 1992 le "Brock Gold Medal Award", prix attribu� tous les quatre ans par la Soci�t� Internationale de Photogramm�trie et de T�l�d�tection, ainsi qu�en 1994 la m�daille d�or de la Remote Sensing Society britannique.

J�ai quitt� le CNES en 1983 pour diriger la soci�t� Spot Image, bas�e � Toulouse. J�ai conserv� jusqu'� fin 1994 mon poste de Pr�sident Directeur G�n�ral. Enorme d�fi, absolument passionnant, de d�veloppement du march�, encore tout � fait embryonnaire, de l�imagerie satellitaire. J�ai cr�� des filiales aux Etats Unis, en Australie et � Singapour et ai mis en place un r�seau de distribution dans trente pays diff�rents.

En parall�le, j�ai �t� sollicit� � plusieurs reprises comme expert aupr�s de la Commission europ�enne pour les affaires spatiales. J�ai pr�sid� un groupe d'experts europ�ens sur l'observation de la Terre par satellite et ai particip� en 1991 � l��laboration de la politique de la Communaut� europ�enne relative au domaine spatial.

A la fin de 1994, j�ai quitt� (apr�s beaucoup d�h�sitation) ma fonction de PDG de Spot Image et suis revenu au CNES, o� j�ai occup� d�abord la fonction de Directeur des Programmes jusqu'� fin 1996 avant d'�tre nomm� Directeur G�n�ral en juillet 1997.

De novembre 1996 jusqu'� ma nomination au poste de Directeur G�n�ral du CNES, j�ai assur� la pr�sidence du Committee on Earth Observation Satellites (CEOS), comit� international regroupant 20 agences spatiales et 7 organisations internationales qui a pour t�che de coordonner les programmes de satellites d'observation de la Terre.

Directeur G�n�ral du CNES, j�ai supervis� la qualification du lanceur europ�en Ariane 5 dans sa version de base -le CNES assurant la direction du programme Ariane pour le compte de l�ESA-, ainsi que la mise en service des satellites Spot-4, H�lios-1B, Jason (franco-am�ricain) et Spot-5. En parall�le, j�ai �t� tr�s directement engag� dans la d�cision au niveau europ�en du programme d�am�lioration des performances d�Ariane 5 (Ariane 5 Plus), dans celle du lancement du programme de satellites d�observation optique de deuxi�me g�n�ration (Pl�iades, qui prendra la suite des satellites Spot).

J�ai aussi assur� la fonction de chef de la d�l�gation fran�aise au Conseil de l�Agence spatiale europ�enne de mi-1999 � mi-2002, p�riode pendant laquelle le Pr�sident du CNES pr�sidait le Conseil.

En septembre 2002, j�ai �t� "invit�" par le nouveau gouvernement � remettre ma d�mission de Directeur G�n�ral du CNES. Je me suis alors occup� pendant une courte p�riode du programme europ�en de navigation par satellites Galileo, comme charg� de mission sur le aupr�s de Claudie Haigner�, Ministre d�l�gu�e � la Recherche et aux Nouvelles Technologies.

 

 

Quelle est votre passion, comment est-elle n�e, comment la vivez-vous ?

L�espace m�a toujours attir�, tout d�abord � travers l�astronomie pendant mes �tudes secondaires. Ensuite, j�ai eu la chance d�avoir � Sup� A�ro des professeurs qui �taient personnellement impliqu�s dans les d�buts du programme spatial fran�ais, en particulier le programme Diamant. Mes �tudes de Master of Sciences in Aeronautics & Astronautics aux Etats-Unis m�ont permis de conforter cette orientation (et aussi de bien ma�triser l�anglais, ce qui m�a �norm�ment servi au cours de ma carri�re). Le hasard (?) a fait que l�arm�e de l�Air m�a envoy� passer mon ann�e de service militaire en 1969 dans un laboratoire de recherche spatiale � l�Observatoire de Meudon. Celui-ci conduisait des recherches dans un domaine, celui de la dynamique des satellites sur orbite, qui �tait en plein d�veloppement, et en �troite collaboration avec le CNES (au centre de Br�tigny-sur-Orge � l��poque). J�ai ainsi eu la chance extraordinaire d��tre ainsi en contact avec des hommes et des femmes exceptionnels � l�Observatoire et au CNES qui m�ont � peu pr�s tout appris. Je veux ici leur rendre un hommage tout � fait particulier.

Depuis, ma passion pour le domaine spatial s�est toujours renforc�e, d�autant plus que j�ai touch� � beaucoup d�aspects des activit�s spatiales au cours de ma carri�re, depuis la recherche scientifique jusqu�aux applications les plus quotidiennes comme la m�t�orologie et la navigation, depuis les syst�mes de lancement (avec le d�fi incroyable que repr�sente la technologie de propulsion des lanceurs spatiaux) jusqu�aux vols d�astronautes fran�ais, du c�t� russe comme du c�t� am�ricain.

La caract�ristique principale qui fait la sp�cificit� de l�aventure spatiale est � mon avis la suivante : des �quipes d�hommes et des femmes extraordinairement motiv�s, tendus vers un objectif commun au sein d�une organisation de type "projet" en g�n�ral assez complexe, o� l�aspect syst�me est absolument fondamental. Au bout du projet, qui peut avoir dur� sept ou m�me dix ans, ces hommes et ces femmes vivent ensemble ces moments d��motion tr�s intense, � mon avis sans �quivalent dans d�autres domaines, que produisent les op�rations critiques : le lancement lui-m�me, le plus spectaculaire car il met en jeu des �nergies consid�rables et qu�il est le seul visible directement du sol, la man�uvre finale de mise sur orbite, l�atterrissage sur une autre plan�te, l�accostage � un autre vaisseau spatial, l�arriv�e des premi�res donn�es... Quel autre domaine des activit�s humaines pr�sente une m�me concentration d��motion pendant ces quelques minutes o� le succ�s (ou l��chec) d�un effort de plusieurs ann�es est en jeu ?

 

 

Quelle anecdote ou souvenir fort souhaiteriez-vous nous faire partager ?

J�ai un grand nombre d�anecdotes dans ma besace, certaines amusantes et certaines un peu tristes, mais je vais me concentrer sur deux d�entre elles, s�par�es de pr�s de 20 ans.

La premi�re se d�roule en mai 1973 : le lancement � Kourou des deux petits satellites technologiques Castor et Pollux par une fus�e Diamant B semble bien se d�rouler au vu de la t�l�mesure re�ue au centre de lancement � Kourou. Sauf que mon �quipe du d�partement de calcul d�orbites � Br�tigny, charg�e du diagnostic de satellisation, constate un d�ficit de 400 m/s dans le "delta V" du troisi�me �tage et en d�duit que la vitesse de satellisation n�a pas �t� atteinte et que la charge utile est retomb�e dans l�atmosph�re au dessus du Sahara. Pendant que nous faisons et refaisons nos calculs, tous les invit�s pr�sents � Br�tigny sont partis � la caf�t�ria boire le champagne du succ�s ! Lorsque je viens confirmer en salle d�op�rations que la satellisation n�a pas �t� r�alis�e, le responsable de la division des lanceurs encore pr�sent me dit d�une voix assur�e : "Monsieur Brachet, vous avez du vous tromper dans vos calculs !" H�las, il avait tort et les calculs �taient corrects. Le lancement avait �chou� et, comme la commission d�enqu�te a pu finalement le d�montrer, le d�ficit de "delta V" du troisi�me �tage �tait du au fait que la coiffe -qui pesait, je crois me souvenir, 75 kg- �tait rest�e accroch�e au composite form� par les deux satellites, au lieu d��tre �ject�e pendant la phase balistique entre la fin de combustion du deuxi�me �tage et l�allumage du troisi�me �tage. D�o� un surcro�t de masse � acc�l�rer qui avait produit ce fameux d�ficit. Le lanceur avait effectivement bien fonctionn� sur le plan de la propulsion mais la charge utile �tait plus importante que pr�vue ! Cet incident a �t� pour moi, jeune ing�nieur de 29 ans � l��poque, une introduction int�ressante au monde des lanceurs et des lancements�

 

 

Maquette des satellites Castor et Pollux expos�e au Mus�e de l'Air et de l'Espace du Bourget

 

 

L�autre anecdote, qui est tr�s peu connue, se situe en 1992, apr�s la premi�re guerre du Golfe en 1991, pendant laquelle la soci�t� Spot Image -que je dirigeais depuis 1983- avait livr� de grandes quantit�s d�images prises par les satellites Spot sur la zone du Kowe�t et de l�Irak aux forces de la coalition (essentiellement Etats-Unis, France et Royaume Uni). Je re�ois un coup de fil de l�ambassade am�ricaine � Paris qui m�annonce la visite � Toulouse du G�n�ral Horner, patron de l�US Space Command. Celui-ci �tait pr�c�demment le patron des forces a�riennes am�ricaines pendant le conflit. Il avait tenu � nous rendre visite � Toulouse avec son �quipe en novembre 1992 pour nous remercier directement de la qualit� du service que nous avions rendu aux forces am�ricaines en livrant le plus rapidement qu�il �tait possible � l��poque les images Spot prises sur la zone des op�rations. En effet, les satellites Spot-1 et 2 �taient de loin les plus performants de tous le satellites civils, donc les images qu�ils produisaient n��taient pas "class�es" (elles avaient une r�solution de 10 m�tres en noir et blanc et 20 m�tres en couleur) et surtout ils �taient remarquablement op�rationnels. Ceci nous avait permis de monter avec les �quipes du Centre spatial de Toulouse une op�ration un peu particuli�re qui consistait � d�finir avec 24 heures d�avance les zones � observer, � monter le programme de prises de vue dans le satellite le m�me soir et � effectuer les prises de vue et enregistrer les images � bord des satellites d�s le lendemain matin. Elles �taient transmises vers la station Spot de Kiruna (au Nord de la Su�de) quelques minutes plus tard, puis r�cup�r�s � Toulouse pour traitement urgent. Enfin, elles �taient exp�di�es par l�avion du soir vers Washington, o� notre �quipe de Spot Image Corporation les r�cup�rait et les livraient le soir m�me compte tenu du d�calage horaire � la Defense Mapping Agency. A l��poque, Internet n�existait pas encore et il �tait pratiquement impossible de transmettre de gros fichiers num�riques (40 Mbytes par image Spot) par les moyens disponibles de communication � longue distance. Tout se faisait donc par transport physique de bandes magn�tiques. L�op�ration �tait lourde et la mener � bien pendant plusieurs mois avait �t� un vrai d�fi. Le Department of Defense am�ricain en �tait bien conscient et avait tenu � venir nous en remercier ! Tel �tait l�objet de la visite du G�n�ral Horner � Spot Image ce 18 novembre 1992.

 

 

Quelle serait votre photo spatiale ou astronomique pr�f�r�e et pourquoi ?

Pour moi, sur le plan professionnel, mon image pr�f�r�e est �videmment la premi�re prise par Spot-1 en f�vrier 1986, splendide vue de la plaine du P� en Italie. R�alis�e le 23 f�vrier 1986, le lendemain m�me du lancement, donc en plein hiver, elle mettait magnifiquement en �vidence la grande qualit� des image Spot � 10 m de r�solution en noir et blanc.

 

 

La plaine du P� sous la neige, r�v�l�e par Spot-1 le 23 f�vrier 1986

 

 

Plus g�n�ralement, en tant que participant modeste � la grande aventure spatiale, je retiens cette vue extraordinaire de la plan�te Terre au-dessus de l�horizon lunaire prise par les astronautes de la mission Apollo 8. Elle symbolise au mieux le c�t� exploration de la recherche spatiale et en m�me temps illustre ce qui reste le probl�me num�ro un de l�humanit� : comment pr�server notre plan�te Terre, toute seule dans cette immensit�, pour que le futures g�n�rations puissent y vivre dans de bonnes conditions ? Pour cela aussi, l�espace apporte aujourd�hui et continuera dans l�avenir � apporter beaucoup.

 

 

La plan�te Terre au-dessus de l�horizon lunaire

prise par les astronautes de la mission Apollo 8 en d�cembre 1968

 

 

De la m�me mani�re, quel objet spatial retiendriez-vous ?

Je choisis Huygens, le module europ�en qui a atterri sur Titan le 14 janvier 2005 apr�s un voyage de plus de 11 ans � travers le Syst�me solaire. Ce n�est �videment pas sa beaut� qui retient mon attention mais la capacit� de l�intelligence humaine � concevoir et r�aliser des instruments d�une complexit� inou�e qui nous permettent de p�n�trer � distance et de d�couvrirdes mondes nouveaux, loin de la Terre et dans un environnement assez mal connu, voire hostile. Spirit et Opportunity, les petits rovers de la NASA qui se baladent sur Mars depuis juillet 2004, appartiennent � la m�me famille mais j�ai pr�f�r� choisir une belle r�alisation europ�enne, qui elle m�me s�inscrit dans une coop�ration qui a bien fonctionn� avec les Etats-Unis.

 

 

Maquette d'essais de la sonde Huygens expos�e aux Rencontres auriolaises spatiales en juillet 2005

Photo Pif

 

 

Quel serait votre r�ve spatial le plus fou ?

Je r�verais d'aller faire un tour dans l�espace, si possible un peu plus loin que les 350 km de la navette et de la station spatiale internationale... C�est �videmment un souhait de touriste mais le tourisme spatial finira bien un jour par se d�velopper et pas seulement pour des sauts de puces de quelques minutes sans aucun int�r�t jusqu�� 100 km !

Mais j�ai aussi une inqui�tude majeure : que la prolif�ration de d�bris spatiaux en orbite terrestre limite dans l�avenir la possibilit� de continuer � utiliser l�espace pour servir les hommes sur notre bonne plan�te. Ce probl�me est r�el et pourrait devenir critique d�ici vingt � trente ans si nous ne prenons pas de vraies mesures de r�duction des d�bris que chaque lancement g�n�re, ainsi que chaque satellite en fin de vie.

 

 

Que repr�sente pour vous le personnage de Youri Gagarine ?

Youri Gagarine repr�sente essentiellement le symbole de la r�ussite exceptionnelle et, � bien des �gards, encore myst�rieuse de l�effort spatial sovi�tique des ann�es 50 et 60.

 

Et la station Mir ?

Mir a constitu� la premi�re vraie station spatiale. Dommage que les Russes n�aient pas eu l�id�e de l�internationaliser avant que les Am�ricains n'arrivent avec le projet de station Freedom, qui est devenu la station spatiale internationale (ISS) que l�on conna�t aujourd�hui et qui est un vrai �l�phant blanc !

 

 

Merci, G�rard Brachet !

 

Interview r�alis�e par mail en novembre 2005

 

 

La semaine prochaine (lundi 19 d�cembre 2006) : Jean-Pierre Martin

 

 

Les coordonn�es des invit�s ne sont communiqu�es en aucun cas