LES INVITES DU
COSMOPIF |
L'invit� n�109 (lundi 3 avril 2006)
Pr�sident
de l�association d�astronomie VEGA
Qui
�tes-vous, Bernard Lelard ?
J�ai appris r�cemment que
j�avais 62 ans en lisant mon nom sur la porte de ma chambre d�h�pital. En
fait, de mon point de vue, je suis toujours �tudiant (donc avec l��ge ad hoc et
les bouquins qui vont aussi avec), �tudiant avec la libert� de ne plus passer
des concours. Donc, j��tudie ce que je veux, quand je le veux. J�ai m�me relu
ceux de mes cours sauv�s des d�m�nagements et je les comprends mieux
maintenant, y compris le sujet de mon m�moire plus de quarante ans apr�s.
Je suis �tudiant en tout, selon l�humeur du moment car, pour moi, prime
l�aspect global des choses, les synth�ses et j�essais de comprendre ce qui
m�entoure, du virus aux amas de galaxies en passant par l�histoire g�ologique
de la Terre et de ses turbulents habitants. Vaste programme.
Le seul titre qui me reste
maintenant est "Pr�sident de l�association d�astronomie VEGA" et je
suis tr�s heureux d�animer des astronomes amateurs qui veulent comprendre ce
qu�ils captent dans leur webcam. Ainsi, nous ne sommes ni prisonniers, ni
adorateurs de nos outils : c�est la connaissance de l�objet vu qui prime.
Cette fabuleuse association est bas�e � Plaisir dans les Yvelines, o� j�habite
avec mon �pouse de toujours, autrefois chimiste et aujourd�hui sp�cialiste de
culture de bonsa�, ce qui nous vaut de merveilleux voyages au Japon et un
fantastique jardin.
Je suis � la retraite et assez nostalgique d�une
intense activit� professionnelle. Quittant le monde artificiel de l�entreprise,
les bureaux � La D�fense, les congr�s, le chiffre d�affaires et les cours de
bourse, j�ai d�couvert par hasard le monde chaleureux -et pour moi inattendu-
des associations. J�y rencontre des gens autrement plus vrais, gentils, ouverts
et disponibles que les relations professionnelles fabriqu�es le temps d�une
signature de contrat. Les associations qui m�accueillent, comme Plan�te
Sciences Ile-de-France, permettent de contribuer � la diffusion de la culture
scientifique si dramatiquement absente aujourd�hui chez les jeunes. Chacun a
droit au savoir, s�il le veut. Donc, pour moi, la diffusion de cette culture
doit �tre populaire car elle doit s�adresser � tous comme le fit en son temps
Fran�ois Arago avec son cours public d�astronomie � l�Observatoire de Paris et
comme "L�Astronomie Populaire" de Camille Flammarion, fondateur de la
Soci�t� Astronomique de France dont je suis �videmment membre et assidu � la
commission cosmologie.
J�ai v�cu toute mon enfance
jusqu�au Bac � Bagn�res-de-Bigorre (dans les Pyr�n�es), face au Pic du Midi. En
voyant passer les scientifiques qui montaient au Pic, j�ai du croiser Audouin
Dollfus, mon astronome-physicien-humaniste pr�f�r�. J�ai pris go�t aux sciences
l�-haut gr�ce � des instituteurs et des professeurs g�niaux comme il en existe
partout et que l�on n�honore pas comme il faudrait. Chacun de nous a en m�moire
un (une) instit, un (une) prof qui a tout d�clench�.
L'observatoire
du Pic du Midi, situ� � 2 876 m d'altitude. Sa construction a d�but�
en 1878.
Etudes sup�rieures � Toulouse, �
l�ENSEEIHT (enfin "l�N7" pour les hydro �lectriciens) puis par
�quivalence orientation vers les math�matiques pures (topologie, alg�bre de
Lie�) puis appliqu�es en d�rivant (c�est le cas de le dire) vers l�informatique
naissante. Le calcul tensoriel m�a beaucoup servi bien plus tard pour expliquer
que le temps n�existe pas et l�espace non plus. Quant � l�espace-temps, c�est
aussi un objet math�matique qui n�existe pas non plus mais qui fait tout
comprendre. Jusqu�� la prochaine th�orie qui englobera relativit� g�n�rale et
physique quantique avec une nouvelle g�om�trie...
Bon, la suite : j�ai
rencontr� � cette �poque un prof de Math Sup eccl�siastique � la soutane
toujours grise de craie qui me fit d�couvrir l�astronomie en la prenant pour
exemple de th�or�mes et en grimpant apr�s les colles (il n�y a pas de faute)
l�escalier d�une tour surmont�e d�une coupole. Et depuis, j�ai toujours gard�
intacte l��motion de l�ouverture du cimier d�une coupole, de Nice � Buthiers,
sur une nuit d��toiles.
J�ai rencontr� l�espace lors d�un
stage d�ing�nieur dans une usine (sir�ne, odeurs du labo, cantine des
ouvriers�) en testant l��lectronique d�un bout du deuxi�me �tage de la fus�e
Diamant B. A cette �poque, � la t�te d�une d�l�gation d��tudiants, j�ai
accueilli le cosmonaute sovi�tique Alexe� Leonov en lui serrant la main et en
admirant son uniforme et sa casquette bleue. Il m'avait offert un rouble� que
j'ai h�las perdu depuis !
Fus�e
Diamant B au d�collage en Guyane et Alexe� Leonov en uniforme
J�ai eu aussi une casquette -moins
bleue- lors d�un passage oblig� dans l�Arm�e de l�Air qui me fit aimer
l�aviation quotidienne. J�ai ainsi v�cu l�ambiance des �quipages en volant en
Super Constellation, Dassault 316 et Nord Atlas, merveilleux avions au plancher
de bois, d�montable pour atteindre le goniom�tre. Je r�glais l�ILS et le VOR
qui tirait toujours � droite. Je pr�cise que cette aviation-l� �tait celle qui
transporte, pas celle qui tue �lectroniquement.
Mes travaux en maths (solutions
num�riques de triangularisation des matrices) me conduisirent vers les gros
ordinateurs. Voulant suivre un copain au centre de calcul de Sud Aviation,
anc�tre de l�Aerospatiale, j�ai failli passer ma vie derri�re un �cran �
charger des subroutines. J�ai donc opt� pour le bureau d��tudes d�une petite
entreprise d�informatique qui louait du temps machine et concevait des
logiciels financiers. Ainsi, 30 ans apr�s, je me suis retrouv� directeur
de l�entreprise qui avait absorb� l�entreprise dont j��tait directeur qui avait
absorb� l�entreprise dont j��tait directeur qui avait absorb� l�entreprise dont
j��tais directeur qui avait absorb� la petite entreprise du d�but dont j��tais
devenu directeur apr�s avoir modifi� le bureau d��tudes. Un vrai rod�o jusqu�au
jour o� un mauvais conseil d�administration m�a rendu sur le champ mes livres,
mes �tudes� et ma libert�.
Depuis 1962, ma passion de base
reste l�astronomie. D�abord avec le chanoine astronome prof de maths illustrant
ses d�monstrations d�exemples de calculs astronomiques. Avec lui, les
int�grales devenaient des volumes de plan�tes et les diff�rentielles des
orbites. Il �tait sp�cialiste du milieu interstellaire et, gr�ce � lui, je
savais d�j� que les n�buleuses roses �taient de l�hydrog�ne ionis�. Emport� par
mes activit�s professionnelles, j�ai suivi avec enthousiasme les d�couvertes,
achet� des dizaines de livres, des centaines de revues. A Orly, le matin,
j�achetais des revues d�astronomie ou d�astronautique, ce qui choquait un avion
plein d�endormis devant des feuilles financi�res. Ainsi, je me suis souvent
tir� d�affaires dans des conversations difficiles en montrant les derni�res
nouvelles du ciel. Naturellement tourn� vers la th�orie par mes bases
math�matiques -et aussi par n�cessit�-, j�ai approfondi la cosmologie (�tude
globale de l�Univers) et les d�couvertes concernant les galaxies pour
m�approcher du myst�re initial. Albert Einstein disait qu�il voulait comprendre
les recettes du "Vieux", Stephen Hawking dit se rapprocher de la
cuisine au point d�entendre le bruit des casseroles, je voudrais donc moi
sentir le fumet des plats !
Le r�flexe "astro" est
si fort qu�� chaque voyage vers l�Est, je fixe par le hublot de l�avion une
�toile qui me conduit � Tokyo ou Shangha�. R�cemment, j�ai men� des recherches
� l�Universit� de Louvain sur les travaux de l�abb� Lema�tre (encore un pr�tre
astronome !) en vue d�un expos� sur le v�ritable auteur de la loi dite de
Hubble.
L�astronomie d�aujourd�hui est li�e � l�astronautique et
j�ai, comme tout le monde suivi les missions Apollo (en conservant les unes des
journaux, de Match, de Life). Rendu � la libert�, je suis donc
devenu pr�sident d�une association d�astronomie rassemblant de nombreux
amateurs tr�s comp�tents en imagerie num�rique (et m�me avant en argentique),
au point de modifier les prom des webcam pour mieux fixer M82, la galaxie du
Cigare. Nous montons de nombreuses actions aupr�s des scolaires (classes
d�astronomie, sorties au Parc aux Etoiles de Triel, Palais de la d�couverte,
cadrans solaires�), du grand public (conf�rences publiques, organisation
d��v�nements : Nuit des Etoiles - 420 participants en ao�t 2005,
passages de Mercure en 2003, de V�nus en 2004, �clipses, montage de la
"Journ�e de l�Astronomie de Plaisir").
Tous les
trois mois, je vais dans le Gers o� j'habite un moulin en haut d'une
colline face au Pic du Midi. L'endroit est tr�s beau, par beau temps on voit
les Pyr�n�es que j'ai arpent�es avec mon �pouse quand nous �tions �tudiants.
Selon la m�t�o, tous les paysans du coin (une soixantaine chaque fois) viennent
s'asseoir en rond pour une Nuit des Etoiles improvis�e car, avec le
vid�oprojecteur de la Chambre de l'Agriculture connect� � mon PC portable, je
proj�te la nuit sur les murs blancs du moulin les derni�res photos de Mars,
Saturne et les n�buleuses du forum d'AstroSurf. Je leur parle aussi des travaux
d'Audouin Dollfus au Pic et ils sont tr�s fiers de savoir que la carte de la
Lune pour les missions Apollo a �t� dress�e l�-haut chez eux. Ces gens sont
pleins de bon sens et me posent d'incroyables questions (Pourquoi ne pas tuer
le cochon � la pleine Lune ? O� tourner le boudin au dernier
quartier ?) mais ce sont des "Acad�miciens en sabots" et ils
m'apportent aussi beaucoup (m�me des victuailles !) quand nous regardons
Androm�de et le Scorpion � la jumelle du c�t� de Lannemezan. Pour l'instant,
malgr� mes histoires sur la culture du ma�s dans les Andes en fonction de
l'�clat des Pl�iades, je n'ai pas r�ussi � les convaincre de l'inexistante
influence de la Lune sur leurs cultures�
Bernard
Lelard et son t�lescope � Plaisir lors du transit de V�nus le 8 juin 2004
Mon activit� associative m�a fait
croiser Plan�te-Sciences Ile-de-France dont je suis devenu administrateur. J�ai
d�couvert une association exceptionnelle qui devrait �tre reconnue d�Utilit�
Publique tant son action aupr�s des jeunes est importante et pragmatique. Avec
Plan�te-Sciences Ile-de-France, les jeunes des banlieues peuvent lever les yeux
vers le ciel et esp�rer autrement. Ensemble, et avec d�autres associations,
nous avons cr�� le collectif CulturaSciences78 destin� � promouvoir la culture
scientifique par des manifestations communes.
A part l�astronomie, je baisse
aussi les yeux vers la Terre et m�int�resse beaucoup � la botanique depuis la
constitution d�herbiers � l��cole communale par un autre prof merveilleux dont
la classe �tait une annexe du Mus�um d�Histoire Naturelle. Mes cultures vont
vers les mousses, premiers pas vers le vivant apr�s les algues, et les
orchid�es pour l�aspect end�mique et les voyages associ�s. Je recherche aussi
beaucoup l�histoire de la plan�te Terre (voyage d�un morceau d�Afrique, qui en
raclant le fond donna Madagascar et alla buter sur la plaque Chine en donnant
l�Inde et en plissant l�Himalaya dont les vall�es favoris�rent la
biodiversit�).
J�ai encore d�autres centres
d�int�r�t et j��cris un roman.
En dehors du premier pas de Neil
Armstrong sur la Lune vu � la t�l� la nuit du 21 juillet 1969 en ber�ant
ma fille parce que je l�ai forc�e � voir (elle avait 6 mois !), je dois
mes meilleurs souvenirs � Gilles Dawidowicz, qui organisait des fins de nuit �
Triel lors des "amarssissages" des rovers Spirit et Opportunity.
Je me souviens encore du
25 janvier 2004, lorsque Olivier de Gourssac criait : "Nous
sommes sur Mars, nous sommes sur Mars !" au moment pr�cis o�
Opportunity touchait la plan�te rouge. La liaison t�l�phonique avec Nathalie
Cabrol au JPL de Pasadena �tait presque irr�elle, d�autant qu�au premier rang
se trouvait Audouin Dollfus. Ce dernier vivait avec nous en direct la r�ception
des premi�res images de la sonde, lui qui avait d�couvert par polarim�trie la
nature du sol martien. Il voyait �galement l�accomplissement de son
enseignement � Meudon puisque Nathalie, apr�s y avoir �t� son �l�ve et conduit
un travail sur l��coulement de liquides sur Mars vers le crat�re de Gusev sous
sa tutelle, avait particip� � la NASA au choix de ce site pour l'arriv�e du
rover Spirit !
Ce fut le d�but de plusieurs
manifestations avec Audouin Dollfus. Lors des rencontres astronomiques de
Triel, organis�es avec le directeur du Parc aux Etoiles Philippe Gineste en
juin 2004, la sonde Cassini doubla Phoebe. Ce fut l'occasion de rassembler� un plateau d�exception : Andr� Brahic,
C�cile Ferrari et Nicolas Bivert. Sans oublier l�arriv�e de la sonde Huygens
sur Titan v�cue en direct � la Cit� des Sciences en janvier 2005, avec Gilles
Dawidowicz et tous les scientifiques impliqu�s.
Le 24 f�vrier dernier, je
r�cidivai en invitant Audouin Dollfus � une conf�rence-d�bat � Plaisir qui eut
un grand succ�s. J�eus ce jour-l� la chance inou�e de trouver chez un
bouquiniste LE livre d�astronomie qui avait d�clench� la vocation d�astronome
d�Audouin Dollfus. La remise de ce livre fut un moment tr�s �mouvant.
25 janvier
2004 : MER-B "Opportunity" d�voile le crat�re Gusev
25 f�vrier
2006 : Bernard Lelard offre � Audouin Dollfus le livre Le Ciel
d'Am�d�e Guillemin ((1870)
que
l'astronome-a�ronaute cite comme d�clencheur de sa passion dans son ouvrage 50 ans
d'astronomie
Ma
photo significative est celle de la galaxie M33, galaxie du Triangle, prise par
Marc Jousset de l�association d�astronomie VEGA . Elle est situ�e
"tout pr�s" de notre Galaxie, � 3 millions d'ann�es-lumi�re.
C�est dans cet objet (et non avec M31 comme le dit la l�gende) qu�Edwin Hubble
a d�couvert des c�ph��des, prouvant ainsi l�existence de galaxies et annon�ant
la deuxi�me r�volution copernicienne. Une telle photo nous montre notre propre
habitat galactique et son infinie petitesse : elle nous remet � notre
place !
La galaxie
du Triangle (M33) photographi�e par Marc Jousset (association VEGA)
Je retiens �videmment Hubble.
Enfin, je parle du t�lescope spatial Hubble (je n�aime pas beaucoup Edwin
Hubble) ! Cet objet sur orbite depuis le 24 avril 1990 nous a montr�
l�Univers autrement et repr�sente une des plus belles manifestations de
l�intelligence humaine. La poursuite de son exploitation est aujourd�hui compromise
pour des questions de politiques absurdes.
J'aimerais vivre assez longtemps
pour voir l�esp�ce humaine marcher sur Mars comme je l�ai vue marcher sur la
Lune. La boucle serait boucl�e. Mais � une condition : que son premier
geste ne soit pas, comme ce fut le cas pour la Lune, de planter un drapeau � la
mani�re des conquistadors.
Youri Gagarine fut le premier � oser (si tant est qu�il ait eu le choix) et c�est bien qu�il soit redescendu sur la Terre ferme en parachute et non en plongeant dans le Pacifique accueilli par la fanfare d�un porte avion. Je pr�f�re quand m�me Alexe� Leonov car lui est sorti, a flott� dans l�espace et surtout a g�r� l�impr�vu pour rentrer dans la cabine. C�est lui le premier homme DANS l�espace.
Que
repr�sente pour vous la station Mir ?
C��tait une merveilleuse
construction humaine, la premi�re habitation de l�espace, que l�on a b�tement
br�l�e. J��tais triste de voir la trace fumeuse ses d�bris vers le Pacifique et
j�ai le souvenir intense d�avoir visit� sa r�plique � la Cit� de l�Espace �
Toulouse avec des objets personnels de cosmonautes (photos, jouets d�enfants,
cadeaux de No�l�).
Merci, Bernard Lelard !
Prochain invit� (lundi 10 avril 2006) : Jean-Pierre Haigner�