L'invit� de
la semaine derni�re : Bernard Lelard
LES
INVITES DU COSMOPIF
L'invit�
n�110 (lundi 10 avril 2006)
Chef du programme
Soyouz en Guyane de l'Agence spatiale europ�enne
4e Fran�ais
de l'espace
Jean-Pierre Haigner� devant son avion
f�tiche, le Dassault Mirage 5, au Mus�e de l'Air et de l'Espace du Bourget
Photo Pif
G�n�ral de Brigade a�rienne (pilote de chasse et d'essais de
l'Arm�e de l'Air)
Quatri�me Fran�ais de l'espace (sujet de l'espace
n�297)
Astronaute du CNES de 1985 � 1998
Chef des astronautes de l'ESA de 1999 � 2002
Chef du projet Soyouz en Guyane � l'Agence spatiale
europ�enne
N� le 19 mai 1948 � Paris (France)
Mari�, 3 enfants
2 vols spatiaux � son actif : missions Alta�r et Perseus (209 jours
12 heures et 25 minutes).
Logos des missions Alta�r,
Mir-14 (14e �quipage d'occupation permanente de la station),
Perseus et Soyouz TM-29 (27e �quipage
permanent)
Parcours
professionnel
Ing�nieur de l'�cole de l'Air de Salon-de-Provence en 1971,
brevet� pilote de chasse � Tours en 1973, Jean-Pierre Haigner� est pilote de
chasse puis commandant d'escadrille jusqu'en 1980, sur Mirage 5 et
Mirage III-E � la 13e escadre de chasse de Colmar. Il suit
la formation de pilote d'essais de l'ETPS � Boscombe-Down en Grande-Bretagne,
dont il sort brevet� en 1981 apr�s avoir pass� sa th�se finale sur le Harrier et remport� les Prix Hawker
Hunter et Patuxent Shield.
De retour en France, il est pilote en charge du d�veloppement et des essais du
Mirage 2000-N au Centre d'essais en Vol de Br�tigny-sur-Orge. En 1983, il
est nomm� chef pilote d'essais. Il totalise 5 500 heures de vol sur
102 types d'avions diff�rents dont 1 800 en essais en vol. Il poss�de
la licence de pilote de ligne (qualification pour Airbus A-300 et A-340), de
pilote d'essais, de pilote de montagne, d'hydravion et d'h�licopt�re. Il a
particip� � des nombreux meetings nationaux aux commandes du Dewoitine 520 dont
il �tait pilote pr�sentateur.
Le Dewoitine 520 du Mus�e de l'Air et de l'Espace
du Bourget
Photo Pif
S�lectionn� astronaute par le CNES en septembre 1985, il
supervise la division Vols Habit�s au sein de la direction Hermes
et Vols Habit�s de 1986 � 1989. A ce titre, il participe aux �tudes
pr�liminaires de l'avion spatial Hermes. D'autre
part, il est charg� du d�veloppement et du programme de vols paraboliques
utilisant la Caravelle z�ro-G dont il assure les vols d'essais et de
qualification.
La Caravelle z�ro G est
aujourd'hui conserv�e au Conservatoire de l'air et de l'espace d'Aquitaine
En d�cembre 1990, il est d�sign� doublure du vol spatial
franco-sovi�tique Antar�s et suit un premier entra�nement de cosmonaute � la
Cit� des �toiles pr�s de Moscou aux c�t�s de Michel Tognini jusqu'en juillet 1992.
D�sign� titulaire de la mission franco-russe Alta�r au titre de cosmonaute exp�rimentateur, il reprend
l'entra�nement � la Cit� des �toiles en novembre 1992. Claudie Andr�-Deshays est sa doublure. Il s�journe dans l'espace du 1er
au 22 juillet 1993, dont 18 jours et 10 heures � bord de la
station Mir.
L'�quipage de la mission Alta�r : Alexandre Serebrov,
Vassili Tsibliev et Jean-Pierre Haigner�
En 1994, � l'issue d'un stage de formation � Air France, il obtient une qualification sur l'Airbus A-300 destin� � succ�der � la Caravelle z�ro G. En septembre 1995, il est charg� de mission pour les affaires spatiales aupr�s de l'Ambassade de France � Moscou. Parall�lement, il est charg� d'assurer l'interface entre le centre de contr�le russe de Kaliningrad, pr�s de Moscou, et l'�quipage de la station Mir pendant toute la mission Euromir 95 de l'Agence spatiale europ�enne. En d�cembre 1996, il est d�sign� suppl�ant de la mission franco-russe P�gase et reprend l'entra�nement � la Cit� des �toiles aux cot�s de L�opold Eyharts.
En mai 1998, il est d�sign� par le CNES cosmonaute titulaire
de� la mission franco-russe de longue
dur�e Perseus pour laquelle il est d�sign� titulaire.
A cette occasion, il int�gre le Corps des astronautes europ�ens de l'Agence
spatiale europ�enne. Il est �galement le premier �tranger � remplir la fonction
d'ing�nieur de bord des vaisseaux Soyouz et Mir. Il retourne dans l'espace pour
un s�jour de 186 jours et 5 heures � destination de Mir (du
22 f�vrier au 28 ao�t 1999). Le 16 avril 1999, il effectue une
sortie extrav�hiculaire de 6h19 en compagnie de Viktor Afanassiev.
Viktor Afanassiev,
Jean-Pierre Haigner� et Guennadi Padalka sur le pas
de tir avant le lancement de Soyouz TM-29
A l'issue de ce vol record, Jean-Pierre Haigner� rejoint le
Centre des astronautes europ�ens � Cologne en Allemagne en tant que Chef des
astronautes de l'ESA. Il quitte ses fonctions en 2002 pour prendre en charge le
projet Soyouz en Guyane au si�ge parisien de l'Agence.
Commandeur de la L�gion d'honneur, Chevalier de l'Ordre
national du M�rite, il est titulaire de la m�daille de l'A�ronautique, de
l'Ordre russe de l'Amiti� des Peuples, de la M�daille russe du Courage
Personnel. Il a �t� laur�at du Grand Prix de l'Acad�mie de Lut�ce et re�u la
M�daille d�or de l�A�roclub de France en reconnaissance de la richesse de sa
carri�re a�ronautique.
Il est membre du Conseil d'administration du Mus�e de l'Air
et de l'Espace, de l'Acad�mie de l'Air et de l'Espace et du Comit� des Pairs de
l'Acad�mie Internationale d'Astronautique, Pr�sident d'honneur de la Commission
astronautique de l'A�roclub de France (CASAF) et Pr�sident de l'Astronaute Club
Europ�en.
Pilotage
(avions l�gers, hydravions, h�licopt�res), golf, saxophone et lecture.
Chevaucheur des
nu�es (avec
Jacques Arnould), Solar, 2001
De l'espace - La Terre vue de la station Mir, Marval,
2006
Carnet de bord d'un cosmonaute (avec Simon Allix),
Flammarion, 2006
5 questions � Jean-Pierre Haigner�
Six ans apr�s avoir �t� le t�moin depuis l'espace de
l'�clipse totale de Soleil du 11 ao�t 1999, je garde toujours en m�moire
l'image de l'ombre de la Lune sur la Terre. J'ai une certaine fiert� en tant
qu'astronaute d'avoir r�alis� une photo qui a fait la couverture de plusieurs
hebdomadaires.
L'image
de l'�clipse totale de Soleil du 11 ao�t 1999 r�alis�e depuis la station
Mir par Jean-Pierre Haigner�
a
notamment �t� reprise par la NASA pour illustrer la page d'accueil du site
consacr� � l'�clipse du 29 mars 2006
http://sunearthday.nasa.gov/2006/events/webcasts.php
Ainsi, nous avons vu ce que
jamais regard d�homme n�avait encore pu contempler : ce spectacle �trange
qu�est la trace laiss�e sur la Terre par une �clipse solaire. Pr�venus de
longue date, nous avions bien pr�par� notre affaire. Appareils photos, cam�ra
vid�o et autres appareils num�riques �taient install�s � tous les hublots
disponibles. Viktor, depuis le module Kvant 2, et moi
dans Priroda, �tions pr�ts � mitrailler en direction
de la Terre, tandis que Sergue� dans Kristal
disposait d�un appareil muni de filtres sp�ciaux et devait s�attaquer au
Soleil. Nous nous attendions tous � un spectacle encore plus exceptionnel que
celui de notre quotidien sans pour autant bien savoir ce que nous allions
observer.
C�est Viktor qui, le premier, a annonc� le
ph�nom�ne. Tout de suite apr�s, sur ma droite, j�ai r�alis� que je commen�ais
moi aussi � apercevoir cette tache sombre, d�un noir approximatif, aux contours
mal d�finis, comme une immense salissure laiss�e sur le blanc tr�s pur des
nuages. Bien que difficile � localiser � cause de ces derniers, la trace de
l��clipse se trouvait alors quelque part sur la Manche. Elle a d�fil�
tranquillement de droite � gauche devant le hublot, comme dans un panoramique
de cin�ma, sans nous laisser vraiment le temps d�analyser nos perceptions,
accapar�s que nous �tions par les prises de vue. En moins de deux minutes, elle
avait disparu en nous laissant un certain malaise.
Je ne saurais mieux d�crire cette impression �trange qu�en
disant que cette tache paraissait incongrue, tant son absence d�esth�tisme
tranchait avec nos visions habituelles de la Terre. Incongrue comme la trace
qu�un doigt souill� de cambouis aurait laiss�e sur la robe d�une jolie dame, au
niveau de ses rondeurs. Une robe dessin�e, disons, par Christian Lacroix, la
magnifique trame des nuages ce jour-l� rappelle �trangement la richesse des
broderies utilis�es par le ma�tre. L�orbite suivante, 90 minutes plus
tard, il �tait encore possible de l�apercevoir au loin, pr�s du Pakistan, mais
pour la derni�re fois et avant bien longtemps.
La disgr�ce laiss�e sur la surface de notre plan�te par un
Atlas aux mains sales n��tait que passag�re. Ce n�est malheureusement pas le
cas des traces que nous y laissons nous-m�mes et que de nombreuses g�n�rations
apr�s nous regretteront. Que ce soit l�avanc�e des d�forestations en Amazonie,
de celle des zones arido-d�sertiques, �videntes
autour de la mer d�Aral, ou encore le fleuve Betsiboka qui saigne la terre
rouge des montagnes malgaches auxquelles les paysans ont abusivement arrach�
les arbres, les pollutions atmosph�riques permanentes au-dessus de la Chine,
les urbanisations abusives dans le sud de l�Espagne, les nombreuses traces de
d�gazage de p�troliers dans toutes les mers, la liste est longue des
catastrophes �cologiques av�r�es ou en d�veloppement dont le spectacle nous est
inflig� chaque jour. Ainsi en est-il des �tranges traces de nuages argent�s et
bleut�s, ph�nom�nes d�crits comme rares par les sp�cialistes. Nous les avons
observ�es au-dessus du p�le Nord chaque fois que le coucher du soleil �clairait
cette tranche d�atmosph�re � contre-jour. Elles n�ont rien de tr�s rassurant,
surtout si on �tablit un parall�le avec les fluctuations de la coche d�ozone
qui sont observ�es depuis quelques ann�es.
Nous disposons ici d�une situation malheureusement
privil�gi�e pour observer ces d�gradations de notre environnement et prendre
conscience que seule une gestion globale de notre plan�te garantira une
utilisation raisonnable de ses ressources (eau, air, for�ts, �nergies,
fossiles�). Comme dans d�autres domaines, un droit d�ing�rence peut se
justifier, puisque la survie de notre esp�ce est peut-�tre en cause.
De ce point de vue, la station spatiale internationale peut
�tre le territoire privil�gi� d�une action de surveillance concert�e, du fait,
justement, de son statut international, de ses possibilit�s techniques et des
images spectaculaires qu�elle peut produire. Souhaitons que les autorit�s
publiques lui donnent dans un premier temps les moyens d�alerter et de motiver
les opinions comme l�a si bien fait Cousteau pour la mer avec sa c�l�bre
Calypso.
J'aime tout particuli�rement le clich� de Mir que Sacha Serebrov avait r�alis� lors de la mission Alta�r en juillet 1993 tandis que notre vaisseau Soyouz
s'approchait doucement du complexe orbital Mir : on distingue clairement
deux vaisseaux amarr�s, ainsi qu'un troisi�me en phase d'�loignement pour
nous lib�rer le port d'amarrage. C'�tait mes premiers jours dans l'espace et je
me souviens d'avoir eu le sentiment d'�tre le spectateur d'un film de science
fiction.
Extraordinaire vue du Soyouz TM-17 le
3 juillet 1993,
reprise � la une du magazine Aviation Week & Space Technology
(avec un rabat suppl�mentaire) le 23 ao�t suivant
A droite, accroch� au module Kristall, le vaisseau Soyouz TM-16
A gauche, le vaisseau-cargo Progress
M-1 se s�pare de la station Mir.
Un second vaisseau-cargo est amarr� au
module Kvant en bas de l'image.
Photo Alexandre Serebrov
Je
pense sans h�siter � la station Mir, qui a connu 15 ans de vie
op�rationnelle et qui a permis � plusieurs dizaines de Terriens de toutes
nationalit�s d�apprendre et d�exercer leur m�tier d�explorateur spatiaux, tout
en r�sistant bravement � deux accidents majeurs : un incendie � bord et
une collision avec un autre vaisseau. C��tait une tr�s ing�nieuse construction
et, plus qu�un laboratoire orbital, remplie des t�moignages culturels laiss�s
par ses nombreux visiteurs, Mir �tait devenue v�ritablement une datcha de
l'espace et un mus�e sur orbite. J'y ai v�cu 207 jours en
deux missions et, � la fin de Perseus en ao�t
1999, mon �quipage et moi avons eu beaucoup de mal � la quitter sans �quipage
de rel�ve et bient�t destin�e � la destruction dans l�atmosph�re. Je crois que
tous ceux qui ont pu vivre dans cette belle machine y ont laiss� un peu de leur
�me.
Je prends trop mes r�ves au s�rieux pour pouvoir les
qualifier de fous. Pour moi, les r�ves sont faits pour �tre r�alis�s. Ainsi,
j'imagine ais�ment que l'Europe puisse elle aussi proposer des incursions dans
l�espace � l�aide d�avions suborbitaux, comme le SpaceShipOne
de Burt Rutan nous en a montr� le chemin. Apr�s
45 ans d�activit�s humaines dans l�espace, il est temps de permettre un
acc�s plus large du public � l�exploration spatiale. C�est la voie que nous
montre une fois de plus les Etats-Unis et je pense qu�en Europe, pour une fois,
nous ne devons pas nous contenter de suivre. Il s�agit d�un tournant historique
pour l�astronautique qui s�adresse directement au public. Nous avons en Europe
les ressources humaines, techniques et financi�res pour faire jeu �gal avec les
initiatives am�ricaines dans ce domaine. L�ouverture de l�exploration spatiale
au public sera un ph�nom�ne de grande ampleur, dont la mise en �uvre sur notre
continent a la capacit� de jouer un r�le f�d�rateur autour de l�identit�
europ�enne. Quel signe d�espoir et de motivation un grand projet d�avion
suborbital pourrait avoir pour notre jeunesse. Quel renouveau pour leur int�r�t
pour les fili�res scientifiques. En ce qui nous concerne, avec quelques
camarades ing�nieurs et astronautes, nous avons d�cid� de ne pas attendre plus
longtemps pour cr�er une association qui s�appelle Astronaute Club Europ�en et
qui s�est donn� l�objectif de promouvoir et d�accompagner cette initiative.
Pr�paratifs du SpaceShipOne
et de son avion porteur White Knight
Photo Mike Massee (www.raindrop.com)
Dans
notre milieu d�astronautes et de cosmonautes, nous sommes trop conscients de
l�extr�me complexit� des op�rations spatiales et nous saluons chaque succ�s
op�rationnel comme autant de gr�ce et de r�compense du travail collectif. Mais
nous sommes conscients que chaque erreur, m�me la plus minime, peut se payer au
prix le plus fort. Le r�cent accident de la navette am�ricaine nous le rappelle
que trop cruellement. Chaque vol est en quelque sorte un nouveau d�fi. Par
r�action � cela sans doute, nous n�aimons pas le culte de la personnalit�.
Youri Gagarine fait exception � cette r�gle, car il est le premier. Il nous a
ouvert la voie en prenant des risques consid�rables (le taux de succ�s d�montr�
de son syst�me de lancement S�miorka/Vostok est
inf�rieur � 50%). Pour l�exploration spatiale comme pour le sport, c�est le
premier � accomplir un exploit qui attire l�essentiel du respect, m�me si le
deuxi�me ne d�m�rite pas en g�n�ral. Tous les ans, le 12 avril, les
cosmonautes f�tent le jour de l�astronautique. Cet exploit a fait de Gagarine
un h�ros v�ritable, avec le temps il est devenu un symbole universel. La photo
de son beau visage aux yeux clairs �tait coll�e au mur de Mir � c�t� de celle
de Constantin Tsiolkovski, un peu comme une ic�ne spatiale. Youri Gagarine
n�aurait pas �tre le premier homme � s�journer dans l�espace sans toutes les
�quipes qui ont pr�par� son vol et en particulier sans le g�nie de Sergue� Korolev. Mais tous ceux de mes amis de la Cit� des �toiles
qui l�on c�toy� m�ont t�moign� que son charisme et sa personnalit� le
d�signaient de mani�re �vidente comme l�acteur de cet exploit.
Merci, Jean-Pierre Haigner� !
Rencontre avec le Cosmos club de
France en octobre 1992 Photo Romuald Oumamar |
En compagnie de Roger-Maurice
Bonnet sur le plateau de la 4e Nuit
des �toiles � Gourgoubesse
en juillet 1994 Photo Pif |
Un voyage autour de la Terre
Documentaire de Jean-Pierre Larch�
r�alis� � partir d'images tourn�es par Jean-Pierre Haigner� lors de la mission Perseus. Description quotidienne de la vie autour de la
Terre, contemplation d'un atlas vivant et r�flexions personnelles.
50 minutes
Disponible en DVD sur www.mk2.com
ou www.espace-magazine.net/boutique/dvdfrancais.html
Prochain invit� (lundi 17 avril
2006) : Lo�c De la Mornais