LES
INVITES DU COSMOPIF
N�182
(lundi 3 mars 2008)
Qui �tes-vous, Alain Gaubert ?
Je crois d�abord �tre quelqu�un qui cherche �
comprendre. Je n�ai cess� d�essayer de comprendre le monde, les gens (dont
moi-m�me), les comportements, les astres, les inventions, les techniques...
J�ai toujours �t� curieux de tout. Je ne sais pas de qui ou de quoi je tiens
cela. Mes parents �taient des employ�s de bureau, Parisiens de souche, plut�t
intellectuels mais qui n�avaient pour moi aucune ambition. Mon fr�re a�n� et ma
s�ur cadette ont, de ce point de vue, b�n�fici� d�un bien meilleur soutien de
mes parents. Il faut dire que j�ai �t�, pendant tout le d�but de ma scolarit�,
un cancre complet. Il a fallu attendre mon entr�e � l�usine, en qualit�
d�apprenti en 1963, pour que je commence � comprendre ce qu��tudier voulait
dire et que m�en vienne soudain le go�t. J�ai donc pass� seul et obtenu, gr�ce
au CNTE (Centre national de t�l�-enseignement, devenu depuis le CNED),
plusieurs CAP et un Brevet Professionnel d�Electronicien. Puis, je me suis
inscrit au CNAM (Conservatoire national des arts et m�tiers) et obtenu en moins
de 8 ans une vingtaine de certificats puis finalement mon dipl�me
d�Ing�nieur en Physique G�n�rale dans ses rapports avec l�industrie. Je suis
devenu plus tard Professeur. Cela montre qu�il ne faut pas d�sesp�rer des
cancres.
Je travaille beaucoup et je ne sais pas la
diff�rence entre travailler et vivre mes journ�es. Le temps me manque toujours
pour d�couvrir autre chose.
Je suis mari� avec la m�me femme depuis
43 ans, j�ai deux grands enfants. J�habite Paris et Aix en Provence.
Je n�ai pas quitt� le CNAM depuis 1972 car j�ai obtenu d��tre r�p�titeur
en Physique G�n�rale et charg� de TP, puis assistant du Professeur Lebeau qui
venait de cr�er la chaire de Technique et Programmes Spatiaux. J�ai �t� son
disciple pendant de nombreuses ann�es et je le suis encore. Enfin, j�ai �t�
nomm� Professeur en 1989 et assur� le cours de Technique et Programmes Spatiaux
jusqu�en 2005. Enseigner ou �tudier sont des activit�s connexes. Un Professeur
est d�abord un �tudiant. En parall�le avec ma vie �tudiante ou enseignante, �
l�usine d�abord, j�ai eu des activit�s techniques, en tant qu�ouvrier ou agent
technique, � la Compagnie des Compteurs. C�est d�ailleurs l� que je me suis
familiaris� avec les technologies spatiales. Ma modeste connaissance de
l�instrumentation de la mesure des champs magn�tiques m�a fait remarquer du
CNES qui m�a embauch� � Br�tigny-sur-Orge en 1968. Devenu ing�nieur en 1972,
j�ai occup� plusieurs fonctions techniques d�abord, administratives et
commerciales ensuite. Le CNES est un organisme remarquable en ce qu�il permet
une grande mobilit� de ses personnels. J�ai �t� successivement affect� au
d�partement Electronique G�n�rale (alors stationn� � Br�tigny), � la division
Math�matiques et Traitement, � la Direction des Programmes, � Prospace
(groupement d'int�r�t �conomique de l�industrie spatiale fran�aise) dont je
suis devenu l�Administrateur-g�rant pendant 7 ans, et � la division
Politique Industrielle dont j�ai �t� le Chef pendant 7 autres ann�es. J�ai
ensuite �t� d�tach� en 1996 pour devenir Secr�taire G�n�ral d�Eurospace, l�Association de l�Industrie
Spatiale Europ�enne jusqu�en 2007. J�ai alors quitt� toute attache avec le CNES
et pris ma retraite. Je viens cependant de cr�er une petite soci�t� de
consultance appel�e Industry-Networking� Ma vie n�est pas termin�e.
Malgr�
tout ce que je viens de dire, je ne ressens rien qui soit de l�ordre de la passion.
C�est un mouvement de l��me trop peu contr�lable. "Suis moins ta
passion, r�gle mieux tes d�sirs" me dit Pierre Corneille (Horace, 1640). Mais
votre question est : d�o� vient votre int�r�t pour l�espace ? Il
vient d�abord, je crois, d�un vertige � se pencher vers l�infini. C�est de
savoir un espace auquel on ne peut assigner de bornes et que l�Homme tente
d�atteindre. Je suis heureux lorsque les hommes quittent leurs funestes
entreprises pour se grandir dans de tels desseins.
Mais
la technique spatiale est �galement un outil sans �quivalent au service des
Hommes lorsqu�il son regard est tourn� vers la Terre. Il ne conna�t pas les
fronti�res, travaille sans exclusive � la diffusion d�informations au b�n�fice
de tous. La dimension humanitaire de l�espace, bien qu�elle n�apparaisse pas
toujours explicitement, y est intrins�quement pr�sente. Cette seconde raison
est pour beaucoup dans mon go�t pour l�espace. J�ai le sentiment d�avoir fait
un travail utile.
Qui
ne citerait d�abord le premier pas de l�Homme sur la Lune avec les commentaires
radiophoniques d�Albert Ducrocq ? Ou encore, la joie collective de la
soir�e du 24 d�cembre 1979, Fr�d�ric d�Allest et nous tous pleurant de
joie ? Mais si vous me demandez de relater un souvenir plus personnel, je
citerai la soir�e du 15 avril 1975. Nous �tions � Kourou, le satellite D2A
sous la coiffe du Diamant. J��tais responsable du magn�tom�tre utilis� pour la
restitution d�attitude du satellite, c'est-�-dire que, de son fonctionnement
pourrait d�pendre l��chec -ou le succ�s- de la mission. A l��poque, il n��tait
pas rare de participer directement � la r�alisation des appareils, fer � souder
� la main, de sorte que le responsable connaissait presque tout de son module
et qu�il finissait par avoir de la peine � s�en d�tacher. Je peux le dire
maintenant, j�avais, avant encapsulation, contre toute proc�dure, appos� une
petite �tiquette � mes initiales au fond du bo�tier. Une mani�re de garder un
lien de filiation. Puis ce f�t l�heure de la s�paration, de l�angoisse puis
l�annonce du succ�s de la mise sur orbite et du bon fonctionnement de la
stabilisation. Le p�re ne pouvait plus rien, le fils s��tait �mancip�, il �tait
bien portant, il allait vivre sa vie. Quel plaisir !
L'�quipe
D2A avant le lancement
Image
extraite du site de Michel Taillade Carri�re, Nos premi�res ann�es dans
l�espace
Je
ne suis probablement pas le premier � proposer la premi�re image de la surface
de Titan. Elle repr�sente pour moi ce dont le g�nie humain est capable. La
mission Cassini-Huygens est probablement l�une des missions automatiques au
monde parmi les plus complexes et les plus risqu�es et elle est europ�enne !
Je l�genderais cette photo ainsi : il aura fallu 3,5 milliards
d�ann�es pour que nous soyons capables de vous rapporter cette image...
J�aime
la technologie. Je crois que mon objet pr�f�r� demeure la turbopompe du moteur
Vulcain. Imaginez la somme des savoir-faire accumul�e dans cet objet m�canique.
L'ensemble complexe de la turbopompe oxyg�ne liquide du
moteur Vulcain d'Ariane 5
Photo Avio
Votre
question m�embarrasse. Je n�ai pas beaucoup de r�ves fous, en mati�re d�espace
comme dans d�autres domaines. En particulier, je n�ai jamais �prouv� l�envie
d�aller dans l�espace. J�ai trop peur d�avoir mal au c�ur et je laisse
volontiers cela � ceux qui en ressentent la vocation. Je crois que mon r�ve
consiste � ce que l�espace ne devienne jamais un champ de bataille et demeure
encore longtemps un champ d�aventure.
Deux images
diff�rentes me viennent � l�esprit lorsqu�il s�agit de Youri Gagarine. La
premi�re est celle d�un aventurier moderne qui n�a pas eu peur de vivre en
acceptant le risque de mourir et que j�admire. La seconde, mais elle n�est pas
sp�cifique � Youri Gagarine, est celle d�un homme qui a �t� l�instrument d�une
id�ologie. Ailleurs aussi, d�autres id�ologies font �galement des victimes.
La
dur�e des vols, le ravitaillement, la vie sociale � bord, ont �t� des �l�ments
radicalement nouveaux dont Mir a permis l��tude. La station Mir a �t� une
innovation majeure.
J�avais
treize ans, j��tais fascin� par cet objet qui ne retomberait pas� Nous
�coutions le bip-bip retransmis par Paris Inter (devenue depuis France Inter).
C��tait probablement le vertige de l�infini dont je parlais tout � l�heure. Et
son appel.
Merci, Alain Gaubert !
Interview r�alis�e par mail en f�vrier 2008
Prochain
invit� : Nicolas Chamussy (lundi 10 mars 2008)