LES INVITES DU COSMOPIF |
N�166 (lundi 8 octobre 2007)
Qui
�tes-vous, Vincent "Vince"
Fillion ?
Je suis n� le
7 juin 1971 � Boulogne Billancourt et j�habite � Paris, dans le quinzi�me
arrondissement. La passion des sciences et techniques m�a conduit � suivre un
cursus d�ing�nieur, �maill� d�exp�riences associatives dans le domaine spatial
et l��lectroacoustique. Aujourd�hui -pour le plus grand bonheur de ma femme-,
je r�cup�re tout ce qui est ancien et �lectronique, je le remets en �tat de
fonctionnement et lui trouve une "utilit�" dans la maison. Si en
prime on peut le connecter au r�seau local, c�est le bonheur ! J
Mes deux gar�ons
grandissent donc dans une ambiance un peu "�lectro-geek" mais jusqu��
pr�sent ils n�ont pas l�air d�en souffrir de trop.
Je suis �lectronicien
mais je n�ai jamais exerc� en tant que tel. Ma premi�re activit�
professionnelle a �t� le support technique international pour un �quipementier
t�l�coms. Depuis sept ans, je suis consultant, toujours dans les t�l�coms.
Pour parler un peu
d�espace et expliquer ce que je fais au milieu de cette impressionnante liste
d�invit�s prestigieux, j�ai eu la chance, au sein du club A�ro EFREI, de mener
� bien deux projets de fus�es exp�rimentales durant mes �tudes. Le premier
�tait relativement basique et m�a permis d�apprendre, tandis que le second -n�
au cours d�une soir�e "de retour de campagne"- restera dans les
m�moires du plan d�op� de l�ANSTJ (ex-Plan�te
Sciences) comme la premi�re "fus�e qui parle". Nous avions en
effet imagin� une fus�e qui d�crit ses phases de vol gr�ce � des messages
enregistr�s en m�moires flash. Ces messages, transmis par la t�l�mesure, furent
restitu�s au public de l�aire de lancements par le biais de la sonorisation.
Comme nous �tions une bande de joyeux drilles, nous avons �crit des textes
rigolos et mis le tout en musique. Le vol fut un succ�s, le public a appr�ci�
et le CNES a prim� le projet ! C�est la preuve qu�on peut �tre rigoureux
dans son travail tout en ayant le sens de l�humour.
Mes passions sont
multiples. Pour ne pas faire de hors-sujet, je vais me restreindre � l�espace.
J'ai �t� captiv� au d�but des ann�es 80 par la navette am�ricaine
Columbia : faire revenir un engin spatial sur Terre, c��tait une vraie
r�volution. Par ailleurs, cette navette a longtemps �t� l�objet le plus
complexe r�alis� par l�homme, ce qui constituait pour moi � l��poque une raison
valable de l�admirer.
12 avril 1981, premier vol de la navette Columbia
Avant �a, �
travers les activit�s professionnelles de mon p�re, j�ai grandi avec Concorde.
En fait, j'ai vu mon p�re faire
des allers-retours � Bristol : il travaillait sur le d�veloppement du
syst�me de r�gulation de la post-combustion avec les prototypes F-WTSS et
G-BSST, qui �taient tr�s �loign�s de la version finale � bien des �gards. A cette �poque, on pouvait encore se
permettre de lancer un projet a�ronautique dont le cahier des charges tient sur
un Post-it : "Messieurs, il nous faut un avion de ligne capable de
rallier Paris � New York en trois heures. D�merdez-vous!"
Le
prototype F-WTSS au d�collage
Le
choix est difficile� Apr�s r�flexion, je dirais que le souvenir qui a sa place
ici est la vision totalement impromptue de la com�te Hale-Bopp. Elle m�est
apparue un soir alors que je fermais les volets de la maison et que je pensais
totalement � autre chose. Je marchais le nez en l�air lorsque soudain,
pouf !, elle entra dans mon champ de vision. Bien s�r, je savais qu�elle
�tait visible � l��il nu, mais j�ignorais qu�il fut impossible de ne pas la
voir par temps clair, ce qui repr�sente une sacr� diff�rence !
Par
ailleurs, ce qui lui donne � mes yeux un int�r�t tout particulier, c�est sa
d�couverte par deux amateurs. J�aime � penser que des amateurs peuvent
encore faire des d�couvertes de nos jours. Pour finir mon histoire, le
lendemain, j�ai saut� dans ma voiture, aval� les kilom�tres et ai v�cu ma plus
formidable nuit d�astronome amateur gr�ce � mon camarade Olivier Labreuvoir.
Qu�il en soit ici remerci�.
La com�te Hale-Bopp illumine le ciel le 29 mars 1997
Sans
h�siter Je choisis cette image de l'astronaute Bob Crippen lors de la premi�re
mission de la navette Columbia, en avril 1981. Je n�ai jamais pu l�oublier.
Imaginez un peu : je suis un gamin un tantinet turbulent, bon en classe
sans plus et qui r�ve devant les photos de la navette. Bien �videmment, je me
renseigne pour devenir astronaute. Et l�, l�horreur : des �tudes � n�en
plus finir, en plus il faut toujours �tre le meilleur et m�me si tu deviens le
champion du monde des premiers de la classe, tu n�es pas s�r d�y parvenir. Et
lui, sur toutes les photos qu�on peut trouver, m�me trente ans plus tard
sur le web, il rigole ! Ce type �tait pour moi un paradoxe vivant.
Si vous m'en
autorisez deux, je choisis les sondes Voyager. Elles ont �t� lanc�es au moment
o� les orbites des quatre plan�tes g�antes gazeuses que sont Jupiter, Saturne,
Uranus et Neptune se combinaient pour autoriser leur survol � moindre co�t
depuis la Terre. Pas de chance pour les responsables du programme, ce caprice
de la m�canique c�leste -qui ne se produit que tous les 175 ans- tombait
pile poil au moment o� les strat�ges de la NASA d�cidaient de mettre le paquet
sur le programme de la navette (encore elle !). Bien �videmment, priorit�
fut donn�e au programme strat�gique et les sondes furent con�ues a minima.
Il �tait pr�vu qu'elles cessent d'�mettre cinq ans apr�s leur lancement,
qui eut lieu en 1977 ; trente ans plus tard, non seulement elles sont
toujours en �tat de marche, mais en plus nous leur devons certaines des plus
fondamentales d�couvertes spatiales de la fin du XXe si�cle.
Voyager-1 est aujourd'hui plus �loign�e de la Terre que tout autre engin jamais
lanc� par l'homme dans l'espace. Et ce n'est pas fini : les astronomes
comptent recevoir leurs signaux jusqu'en 2010 et, si tout se passe comme pr�vu
(mais avec elles, il faut s'attendre � tout), elles devraient cesser d'�mettre
en 2020. Elles continueront alors silencieusement leur hallucinant
voyage ; ce qu'il restera de Voyager-2 rencontrera Sirius d'ici
296 000 ans...
Les sondes
Voyager sont un peu comme Chuck Yeager dans L'�toffe des h�ros : quand tous les autres sont sur le
devant de la sc�ne, il continue "tranquillement" de battre des
records sur la base d'Edwards. Les Voyager ont �t� lanc�es dans une relative
discr�tion car tout le monde n'avait d'yeux que pour Columbia et, aujourd'hui,
elles voguent � 14,1 milliards de kilom�tres du Soleil !
Il s�agit logiquement
d�une exp�rience � r�aliser en apesanteur. Elle a tr�s certainement d�j� eu
lieu, m�me si � ma connaissance les agences spatiales l�ont toujours d�menti. Mon
r�ve consiste pr�cis�ment � lever ce tabou et � recueillir des donn�es
scientifiques sur ce sujet afin d�en faire profiter la communaut�
"spatiophile" qui attend depuis quarante ans�
L�exp�rience en
question n�cessite la participation de deux �tres humains, g�n�ralement de
sexe oppos�. Comme il s�agit de mon r�ve, on va dire qu�il s�agit de ma femme
et de moi. Pour le reste, transportez-nous l�-haut, envoyez vos enfants dans
leur chambre, lancez l�enregistrement vid�o et vous verrez bien ! J
Et � d�faut, je r�ve
de faire un tour dans la GS Birotor de Thierry Stillace. Comme
il s�agit d�un v�hicule extra-terrestre, on peut qualifier �a de r�ve spatial,
non ?
� la lecture de la
question, j�ai tout d�abord cyniquement pens� : un "h�ros de l�Union
sovi�tique" qui s�est retrouv� dans un vaisseau spatial et a fini comme
instrument de propagande politique. Mais la conqu�te spatiale s�est ainsi
d�roul�e, on ne peut pas r��crire l�histoire : il faut accepter que sans
les recherches des savants allemands et sans l�incroyable �mulation qui a
d�coul� de la rivalit� entre les deux blocs durant la Guerre froide, nous n�en
serions pas � parler de voyages habit�s sur Mars. Alors, comme aujourd�hui
c�est moi l�invit�, je le re-d�core : c�est un "h�ros de la conqu�te
spatiale" et je lui tire tr�s respectueusement mon chapeau.
L�, c�est diff�rent.
Cette station a accueilli des astronautes occidentaux, chose inenvisageable
quelques ann�es plus t�t. Tout comme les sondes Voyager, elle est, crois-je
savoir, rest�e en service bien plus longtemps que pr�vu. C�est, pour le coup,
un "vrai" symbole de la conqu�te spatiale.
Un seul regret (voir
ma r�ponse � la premi�re question) : qu�il n�ait pas �t� possible de la
r�cup�rer. Ma femme aurait ador�
Spoutnik-1 et sa
fus�e porteuse, c�est la victoire du bureau d��tude de Sergue� Korolev, la
r�compense des risques pris par l'URSS et d'ann�es de travail des ing�nieurs et
techniciens sovi�tiques. S�ils s��taient plant�s, il n�y aurait eu � d�plorer
que la perte de mat�riel et le d�shonneur, mais bon, ils se seraient fait une
raison et il n'y aurait pas eu "mort d'homme".
En tant qu'ing�nieur, je suis en revanche choqu� de voir
qu'on ait fait prendre des risques � des hommes (sous la pression de Nikita
Khrouchtchev - mais ceux d�en face ne
valaient pas mieux), en les exp�diant "� tout prix" dans
l'espace, sans se donner la possibilit� de ma�triser tous les param�tres (en
clair : en prenant le temps, avec le risque de se faire d�passer par
l'autre). Certes, le symbole de l'homme dans l'espace est plus fort que celui
d�un satellite artificiel, mais prendre
un homme pour servir de vecteur � une propagande, c�est tr�s moyen. Que
deux superpuissances s'affrontent � travers la conqu�te spatiale ne me
d�range pas, tant qu'ils s'en tiennent � du mat�riel. S�en remettre � la
Providence pour ramener sur terre un �tre humain assis sur une montagne
d'explosif n'est en revanche
pas acceptable. Battre son rival
uniquement � coups d��quations, � mon sens, cela a plus de valeur.
Bref, apr�s le vol r�ussi de Spoutnik, on aurait d� d�clarer
les Russes vainqueurs, faire une grande f�te � l'ONU et, d�s le lendemain,
mettre en commun les datas pour travailler tous ensemble, sans pression
inutile, pour envoyer le premier homme dans l'espace dans des conditions
d�centes. Un brin id�aliste, non ?
Merci,
"Vince" !
Interview r�alis�e par mail en ao�t
2007
La semaine prochaine (lundi
15 octobre 2007) : Dominique Detain