LES INVITES DU COSMOPIF

 

L'invit� n�115 (lundi 15 mai 2006)

 

Jean-Jacques Dordain

Directeur g�n�ral de l'Agence spatiale europ�enne

www.esa.int

 

 

 

Qui �tes-vous, Jean-Jacques Dordain ?

Je suis n� le 14 avril 1946 � Hordain, dans le Nord de la France (pr�s de la fronti�re belge), et ai suivi ma scolarit� � Douai. Ing�nieur de l'Ecole centrale de Paris, je suis directeur g�n�ral de l'Agence spatiale europ�enne depuis le 1er juillet 2003. Je suis �galement membre de l'Acad�mie Internationale d'Astronautique, de l'Acad�mie des Technologies et de l'Acad�mie nationale de l'air et de l'espace. Je me consacre depuis plus de 35 ans � l'espace, qui est � la fois ma profession et mon passe-temps.

 

 

Quel a �t� votre parcours professionnel ?

On peut diviser mon parcours professionnel en deux grandes parties. La premi�re partie s'�tend de 1970 � 1986, p�riode durant laquelle j�ai travaill� � l�ONERA (Office national d'�tudes et de recherches a�rospatiales), organisme de recherche qui d�pend du Minist�re de la D�fense. J'y ai d�but� comme ing�nieur de recherche sur les moteurs fus�es puis sur les fus�es. J�ai progress� pour devenir responsable des activit�s spatiales et j�ai termin� comme directeur de la physique fondamentale.

En parall�le, j�ai enseign� � l�Ecole Polytechnique et � l�Ecole sup�rieure de l�a�ronautique et de l�espace et, en tant qu�expert ind�pendant, j�ai pr�sid� des groupes de revue, des commissions d�enqu�tes aux tous d�buts d�Ariane. J'ai �galement travaill� aux Etats-Unis sur les moteurs de la navette spatiale et au Japon sur le moteur cryog�nique japonais. Enfin, j�ai figur� en 1977 parmi les cinq premiers Fran�ais s�lectionn�s pour �tre astronaute dans le cadre du programme Spacelab.

La deuxi�me partie de mon parcours professionnel s'est d�roul�e au sein de l'Agence spatiale europ�enne, � partir de 1986. J�ai �t� successivement chef du d�partement Utilisation de la station spatiale et des plates-formes puis chef du d�partement Utilisation de Columbus et de la microgravit�. J'�tais alors chef du Bureau des astronautes -c�est d�ailleurs ce qui m�avait attir� le plus dans ce poste. Je suis ensuite devenu directeur associ� pour la Strat�gie, le plan et les relations Internationales puis directeur de la Strat�gie et de l��valuation technique puis directeur des Lanceurs et enfin directeur g�n�ral. Je suis d�ailleurs le premier directeur g�n�ral de l�ESA � avoir fait une carri�re � l�int�rieur de l�ESA et, de ce fait, je serai le premier � recevoir la m�daille des 20 ans d�anciennet�.

J'ai donc eu un parcours professionnel assez vari� mais avec un point commun : je n�ai travaill� que dans le domaine spatial.


Quelle est votre passion, comment est-elle n�e, comment la vivez-vous ?

Ma passion, c�est l�espace. Toute ma scolarit� secondaire et mes �tudes sup�rieures ont �t� berc�es par la conqu�te spatiale : je suis rentr� en sixi�me en octobre 1957 avec le lancement de Spoutnik et j�ai obtenu mon dipl�me d�ing�nieur en juillet 1969 avec l�homme sur la Lune. De ce fait, je peux dire que je fais partie de la "g�n�ration espace". Les gens de ma g�n�ration, c�est-�-dire tous ceux qui sont n�s un peu apr�s la Guerre, ont �t� berc�s par l�espace et je ne suis pas le seul � �tre tomb� dedans d�s ma scolarit�.

J'ai donc v�cu et suivi l��volution des exploits dans l�espace. Je me souviens notamment des nuits pass�es en classe pr�paratoire � �couter les missions Gemini et les rendez-vous dans l�espace (du fait du d�calage horaire)�

J�ai ensuite eu la grande chance d�avoir un parcours professionnel qui correspond tout � fait � ma passion et de pouvoir marier ma passion et mon m�tier. D�ailleurs, je ne suis pas seulement un acteur : je suis �galement un grand spectateur de l�espace. Je suis toujours int�ress� en tant que tel et je collectionne tous les livres que je peux sur les activit�s spatiales. Il m'arrive m�me de regretter quelquefois de passer un peu trop de temps comme acteur car j�ai moins de temps pour �tre spectateur !

 

 

Quelle anecdote ou souvenir fort souhaiteriez-vous nous faire partager ?

J'aimerais �voquer deux souvenirs, si j�y ai droit, comme je suis un passionn� de l�espace�

Le premier souvenir est personnel : c�est ma rencontre avec Neil Armstrong. Encore une fois, l�arriv�e sur la Lune, je l�ai v�cue en direct. Je m�en souviens tr�s bien car je venais d�avoir mon dipl�me d�ing�nieur ; Neil Armstrong, c��tait -et c�est toujours- une ic�ne pour moi. Lors d�un Salon du Bourget, je l�ai rencontr�. Il a plus l'habitude de sourire que de rire -il est m�me tr�s r�serv�- mais je l�ai fait rigoler parce que je lui ai demand� : "Si vous le permettez, ce n�est pas de vous serrer la main qui m�int�resse mais c�est de marcher sur votre pied". Il a �clat� de rire et il m�a r�pondu : "Allez-y !" Je peux donc dire que j�ai march� sur le pied qui a march� sur la Lune. Donc, avec beaucoup d�imagination, je peux dire que, moi aussi, j�ai pos� le pied sur la Lune !

 

   

 

Le pied de Buzz Aldrin sur la Lune

et Neil Armstrong � Disneyland (Californie) en juillet 2005 pour la r�ouverture du Space Mountain

 

 

Le deuxi�me souvenir -et c�est beaucoup plus r�cent-, c�est la premi�re image de Titan re�ue en janvier 2005 par la sonde Huygens. Ce fut une �motion absolument extraordinaire. Je dois dire que j�ai rarement v�cu un moment aussi fort et, l� aussi, je l�ai v�cu beaucoup plus comme spectateur que comme acteur. En effet, et je l'ai d�j� dit sans fausse modestie, je ne suis pour rien dans la mission Huygens -sauf peut-�tre lorsque j��tais � l�ONERA, j�ai fait un certain nombre de calculs sur sa rentr�e. Cette mission, elle a �t� d�cid�e sous Reimar L�st, d�velopp�e sous Jean-Marie Luton et lanc�e sous Antonio Rodot� (anciens directeur g�n�raux de l�ESA). Je l�ai donc v�cue beaucoup plus comme spectateur. Et voir cette premi�re image qui nous venait de si loin (1 milliard 300 millions de kilom�tres) et qui nous montrait un nouveau monde qui ressemblait tellement � la Riviera, avec ce qu�on imaginait �tre une mer, avec des rivi�res, des nuages� cela a �t� absolument un choc, une grande �motion.

 

 

Un nouveau monde : Titan

 

 

Quelle serait votre photo spatiale ou astronomique pr�f�r�e et pourquoi ?

Ma photo pr�f�r�e est ce dessin d'enfant parce qu�il fait un lien entre mes deux passions. J�ai parl� de ma passion pour l�espace mais j�ai aussi une passion pour l�enseignement car je pense que c�est le devoir de chaque g�n�ration d��duquer les g�n�rations qui suivent. C�est ainsi que l�humanit� a pu faire des progr�s : par la transmission du savoir d�une g�n�ration � une autre. Je pense qu�apr�s l�ESA, je redeviendrai professeur, parce que je pense que cela fait partie de notre devoir de transmettre notre savoir aux jeunes.

Quand je suis all� pour la premi�re fois � l�Ile de la R�union -en remplacement de Claudie Haigner� qui venait d��tre nomm�e Ministre- pour assister � une exposition faite par des classes maternelles jusqu�en terminale, j�ai �t� fascin� par l�imagination et l�int�r�t des enfants pour l�espace. J�ai �t� particuli�rement �mu par le fait que deux petites filles �g�es de 8-10 ans m�ont offert leur �uvre. Leur dessin, c��tait la fus�e de Tintin, le pr�curseur de l�espace en Europe (Herg� nous a fait vivre l�arriv�e sur la Lune 15 ans avant la mission Apollo 11). Je tiens beaucoup � ce cadeau.

 

 

 

De la m�me mani�re, quel objet spatial retiendriez-vous ?

L�espace pour moi commence par une fus�e : il n�y a pas de voyage spatial sans fus�e, il faut d�abord �chapper � l�attraction de la Terre puis traverser l�atmosph�re. D'autre part, ayant commenc� � travailler sur les fus�es, mon savoir technique est tr�s li� � celles-ci. Une fus�e, c�est une machine absolument extraordinaire qui permet de contr�ler une quantit� formidable d��nergie en tr�s peu de temps. C�est certainement la machine faite par l�homme pour laquelle l��cart entre le succ�s et l��chec est le plus faible, parce qu�il faut pouvoir contr�ler un nombre d��v�nements tr�s grands sur ce court laps de temps. Il faut avoir les meilleurs experts pour qu�une fus�e fonctionne.

 

 

 

Quel serait votre r�ve spatial le plus fou ?

Comme j�ai �t� fascin� par Titan, je souhaiterais retourner vers cet astre. Ce n�est d'ailleurs pas un r�ve tellement fou puisque je pense que nous y retournerons. Mais je ne serai plus directeur g�n�ral puisqu�il faut 7 ans de voyage. J�esp�re n�anmoins que je reverrai une nouvelle exploration de ce monde parce que nous nous sommes pos�s en un seul endroit et nous n'en avons pas encore fait le tour aujourd�hui.

 

 

Que repr�sente pour vous le personnage de Youri Gagarine ?

Il y a deux personnes embl�matiques dans l�espace pour moi : Youri Gagarine et Neil Armstrong.Gagarine, c�est le premier qui a fait le tour de la Terre, le premier qui a pu voir la Terre � des altitudes au-dessus de 200 km. J�allais dire que le monde avant Gagarine ne ressemble pas au monde apr�s Gagarine. Gagarine pour moi, c�est une rupture dans l�histoire -pas seulement de l�espace d�ailleurs mais dans l�histoire de l�humanit�. De toute fa�on, Gagarine c�est le Christophe Colomb du 20e si�cle. Il a travers� l�atmosph�re comme Christophe Colomb a travers� l�Atlantique donc il a ouvert un nouveau monde qui est l�exploration de l�espace par l�homme. A l��poque, on ne connaissait rien du tout, on savait � peine comment l�homme allait se comporter en micropesanteur, on avait fait voler quelques animaux, c�est tout. C�est d�ailleurs quelqu�un qui a eu beaucoup de courage et qui avait un charisme extraordinaire. Lui, malheureusement, je ne l�ai jamais rencontr�.

 

Que repr�sente pour vous la station Mir ?

La station Mir a permis de faire vivre des hommes et des femmes pendant de longues p�riodes dans l�espace. A cause de la chute du mur de Berlin sur Terre, elle a �t� le dernier symbole de la technologie sovi�tique et de la comp�tition entre l�Est et l�Ouest. Ensuite, la station spatiale internationale lui a succ�d� et elle est devenue le symbole de la coop�ration entre l�Est et l�Ouest.

 

 

Merci, Jean-Jacques Dordain !

 

Interview r�alis�e par mail en janvier 2006

 

 

La semaine prochaine (lundi 22 mai 2006) : Didier Ponge

 

 

Les coordonn�es des invit�s ne sont communiqu�es en aucun cas