LES
INVITES DU COSMOPIF
N�191 (lundi 5 mai 2008)
Qui �tes-vous, Emilie Buzyn ?
Passionn�e d�astrophysique, de science et d�art, je Je vis � Paris et suis photographe.
J'ai d'abord suivi un DEUG de biologie � Jussieu (Universit�
Paris 7) puis suis entr�e � l'Ecole Nationale Sup�rieure des Arts D�coratifs.
Il m�est difficile de dater pr�cis�ment le d�but de ma
passion pour la science en g�n�ral et pour l�astrophysique en particulier. Je
crois que, depuis mon plus jeune �ge, j�ai une capacit� et un plaisir � la contemplation, que ce soit les bulles
de savon dans mon bain, les remous des vagues ou les �toiles du ciel. En ce
sens, je trouve mon parcours � mi-chemin entre une formation scientifique
(certes inachev�e) et une �cole de photographie et d�arts plastiques,
parfaitement coh�rent. Ce ne sont que deux volets d�un m�me int�r�t pour
le monde et la beaut� des choses qui nous entourent aussi anecdotiques
puissent-elles para�tre. Ma journ�e peut �tre emplie d�un bonheur intense
lorsqu�une certaine lumi�re baigne le lieu o� je me trouve. Un photographe est,
comme quelques autres professions, � la fois d�pendant et contraint d��tre en
phase avec les ph�nom�nes m�t�orologiques qui vont d�terminer la lumi�re avec
laquelle il aura � travailler. J�aime cet aspect al�atoire de mon travail et
d�pendant de la nature. Cela demande � s�adapter pour ne pas subir, et quand on
parvient � travailler en symbiose avec les conditions ext�rieures, on peut
ressentir un r�el �merveillement.
J'ai
en m�moire deux souvenirs m�morables, en rapport direct avec ma
fascination pour le domaine spatial.
Le
premier constitue l�exp�rience la plus incroyable que j�ai eue � vivre � ce
jour. Invit�e par mon ami Jacques Arnould
avec la double championne du monde de voltige a�rienne Catherine Maunoury, j�ai
eu le privil�ge de participer � un vol en micropesanteur � bord de l�airbus
A300-0G lors d'une campagne organis�e en f�vrier 2006 par la soci�t� Novespace
pour le compte du CNES.
Apr�s une phase de totale d�sorientation qui a dur� quelques
paraboles, un premier ph�nom�ne m'est apparu : la perte du sens de la
verticalit�. Les paraboles ne durant qu�une vingtaine de secondes, il est vite
n�cessaire de savoir o� se trouve le sol avant la "ressource" (moment
o� la pesanteur r�appara�t), afin de en pas s��craser � la fa�on de Dupond et
Dupont dans Tintin. Le seul moyen de rep�re est alors visuel, ce qui prend un
certain temps� J�en ai fait les frais !
Autre ph�nom�ne, si l�on quitte le sol au moment de
"l'injection" (moment o� la pesanteur dispara�t) sans vitesse
initiale, on se retrouve vite coinc� "entre deux airs". On est
bien tent� de nager mais la r�sistance de l�air �tant assez faible compar�e �
celle de l�eau, c�est tr�s vite d�courageant ! On devine l� � quel point
tout change dans ces conditions peu habituelles pour l�homme et � quel point
toute la gestuelle et donc toute la culture humaine doivent �tre repens�e. Et
ce qu�il y a de paradoxal, c�est que de retour sur Terre, les sensations nous
paraissaient �tranges et nous sommes tous tomb�s d�accord pour dire que,
finalement, la micropesanteur �tait certainement ce qu�il y avait de plus
naturel pour l��tre humain !
Catherine
Maunoury et Jacques
Arnould � bord de l'A300 z�ro G
Photos
Emilie Buzyn
Ma
seconde anecdote concerne mon premier s�jour � Ba�konour, o� j'ai pu assister
au lancement d�un vaisseau-cargo Progress en janvier 2004. Seule journaliste
dans la ville puisqu�il ne s�agissait pas d�un vol habit�, j�ai �t� invit�e �
la table du directeur du cosmodrome, accompagn� de quelques g�n�raux russes
tr�s d�cor�s� Parmi eux, personne ne parlait ni anglais ni fran�ais et moi, �
cette �poque, je ne parlais pas un mot de russe� Alors, nous avons pass� notre
soir�e � porter des toasts, chacun dans notre langue ! J�aurais pu me
sentir isol�e mais, bien au contraire, j�ai ressenti une sorte d�universalit� �
partager mon enthousiasme avec ces hommes. Etrange sensation que de partager
mes rires avec des gens que j�aurais eu normalement
bien peu de chance de c�toyer en dehors de ce sujet photo.
Lancement du Progress M1-11
le 29 janvier 2004
Je choisis n�importe quelle belle photo de la Lune� Je crois
que c�est le d�but de la fascination du tout petit enfant pour l�Univers. Cette
�trange boule luminescente, suspendue, qui change au fil des jours. Toujours
tourn�e vers nous avec bienveillance�
Je retiendrais peut-�tre le
couple Energia-Bourane. Car
il faudra attendre longtemps pour que de tels engins surpuissants, capables de
satelliser une centaine de tonnes, voient � nouveau le jour. Et, en m�me temps,
c�est le symbole d�un rapport � l�espace qui n�existera sans doute jamais
plus : une conception pharaonique et sans limite de la conqu�te spatiale,
sans limite de budget ni d�ambition�. Si on se tourne vers cette p�riode et ces
vestiges avec un �il d�arch�ologue, cela peut �tre tr�s int�ressant.
Aujourd�hui, le rapport � l�aventure spatiale para�t plus humain et c�est sans
doute mieux ainsi, m�me si les avanc�es sont moins spectaculaires et rapides.
Bourane sous le
Soleil kazakh
Photo Emilie
Buzyn
J'aimerais voir se construire une soci�t� de l�espace. C�est
Jacques Arnould qui a
formul� cela et je suis en total accord avec lui : un jour l�homme habitera l�espace et une nouvelle
civilisation sera n�e. Ce ne sera plus le lieu r�serv� d�une �lite scientifique
et d�autres cat�gories de personnes pourront en faire l�exp�rience. On y na�tra
et on y mourra. Tous les rep�res humains d�velopp�s par les civilisations
depuis la nuit des temps devront �tre revus, repens�s et ce sera une aventure
unique et extraordinaire, peut-�tre un nouveau d�part pour l�humanit�. Et je
n�y vois aucun m�pris pour notre bonne vieille Terre, bien au contraire. Cela
sera sans doute l�occasion de lui donner une seconde chance, s�il est encore
temps�
Gagarine, c'est le mythe fondateur, une ic�ne, peut-�tre le
symbole d�une nouvelle religion ou civilisation ! Un homme courageux
d�pass� par son personnage. Il me semble qu�avec le temps, on aura de plus en
plus � faire avec des personnalit�s int�ressantes (c�est d�j� le cas !), comme
l�ont �t� Pierre Loti � l��poque des grandes exp�ditions navales ou
Saint-Exup�ry pour les d�buts de l��pop�e a�rienne, capables de nous faire partager leur
aventure.
Mir, ce sont les pr�misses ; et la confirmation
qu�habiter l�espace est possible. Il ne faut pas oublier qu�une pr�sence
humaine continue a eu lieu dans la station durant de longues ann�es.
Spoutnik, c'est le point d�origine. 1957, l�ann�e z�ro.
Merci, Emilie Buzyn !
Interview
r�alis�e par mail en avril 2008
La
semaine prochaine (lundi 12 mai 2008) : Christophe Chaffardon